L'éternel masculin existe habituellement en 2 modèles : l'éternel soupirant et l'éternel emmerdeur. Pour rendre hommage à l'éternel féminin, l'éternel masculin n'a jamais reculé devant les moyens : plus fort, plus vite, plus riche... sera le vainqueur (l'essentiel, en la matière, n'est pas de participer). L'éternelle histoire de cette rivalité est hoquetée en 3 époques, façon Intolérance romantique et rigolo : un très lointain (et très approximatif) âge de pierre, un pittoresque empire romain, une ère nébuleuse et néanmoins contemporaine. Les costumes changent, les hommes restent. Et ça essaie de nous faire croire que les hisoires d'amour finissent bien, en général.
C'est l'histoire d'un mec qui hésite entre sa maîtresse et sa femme, entre la ville et la campagne, entre l'ombre et la lumière. C'est l'histoire d'un type pour lequel tout semble difficile, qui doit se battre sans arrêt contre les autres, contre la nature et surtout contre la sienne propre. C'est l'histoire d'un homme qui est toujours un peu largué, dépassé, lourd, étranger à lui-même et au monde. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? C'est l'histoire d'un acteur qui a toujours l'air de s'être trompé de plateau, de ne pas être dans le bon décor. C'est l'histoire d'un cinéaste qui a inventé l'art de faire du sens avec des images, et des images avec du sens.
Roméo et Juliette sur le Mississipi : Bill, le fils du capitaine bourru du dernier steamer à l'ancienne, aime Marion, la fille du patron capitaliste satisfait du paquebot new style tout confort. Ca se présente mal, les enfants sont à peine les demi-portions de leur papa respectif, et les papas ne sont pas commodes. Et puis, Bill semble éprouver quelques difficultés avec la technique et avec la pesanteur. Quand les éléments naturels se déchainent, pourtant, il plie mais ne romp pas, affrontant arbres déracinés et maisons volantes avec un courage exemplaire. Grandeur et misère de l'acrobate au milieu de la boue et du vent. Misère et grandeur du poète funambule au pays de la Gravité.
A l'Ange bleu, cabaret mal famé, il y a une fille sur un tonneau qui chante qu'elle est "faite pour l'amour de la tête aux pieds". Il suffit de la voir pour y croire. Débarqué là-dedans pour y traquer ses élèves les plus dissipés, un vieux et sévère professeur de collège se met soudain à y croire -à l'amour. Avec la fille sur le tonneau. Mais l'ange l'entraine en enfer, la poule le transforme en coq de (très) basse cour. Et le mauvais théatre où il s'était égaré sera aussi le témoin cruel de sa lamentable déchéance. Première victime identifiée de Marlène Dietrich (ce sera pas la dernière), le vieux prof est pitoyable est touchant. On se régale de son piteux spectacle, parce qu'il y a des moments où il vaut mieux être dans la salle que sur la scène.
Le Maroc, dernier refuge avant le désespoir (cf. plus tard Casablanca). Evidemment, c'est plein d'occidentaux désoeuvrés. On peut faire confiance à Sternberg : c'est un des cinéastes qui parvient à mettre le plus de monde, d'accessoires et de barres d'ombres dans ses plans. Et pourtant, ils sont seuls. Elle, danseuse de cabaret bi, chargée d'agrémenter le séjour des légionnaires de passage. Lui, légionnaire de passage sentant bon le sable chaud. Elle trimballe des poupées exotiques dans sa valise. Lui les préfère dans son lit. Ils sont là pour oublier leur passé, et on voit bien qu'ils ne pensent qu'à ça. Ils se draguent par habitude, se séduisent par surprise, se séparent par force. Ils se retrouveront au-delà du cynisme, là où ceux qui ont déjà tout perdu découvrent qu'ils ont encore tout à donner. La beauté des extrêmes.
Guignol nous avertit : ce n'est pas un "drame social" ni une "comédie morale", et il ne faudra y chercher aucune leçon. On y verra juste, en effet, les méfaits de l'argent sur l'amour -et de l'amour sur l'argent. On y compatira aux malheurs d'un petit monsieur nommé Legrand, au coeur trop grand pour le portefeuille. On y croisera une poule dans une peau de vache, une chienne déguisée en fleur. On y rencontrera Dédé, batteur de pavé innocent aux mains sales. Pas un qui n'ait bradé son coeur dans le grand bazar des sentiments illusoires. Et Renoir qui crée quasiment le genre noir (un certain Fritz Lang s'en souviendra dans La Rue Rouge...).
Un petit docu sur la vie à Chicago au début du XXème siècle nous met dans le ton : les rues regorgent de petites cailleras à casquettes, toujours prêtes pour un mauvais (petit) coup. Mais les enfants grandissent et leurs coups aussi. Tom Powers est de ceux-là. Il a, comme son nom l'indique, une pile électrique dans le ventre et le poing baladeur. Il apprend vite à manier la gachette (et le demi-pamplemousse), à se rendre indispensable aux uns et encombrant aux autres. Dans ces cas-là, ce sont souvent les autres qui gagnent. Avec ce film et Little Caesar, sorti quasiment en même temps, le crime a trouvé son visage, son sourire malin et son énergie.
En bonne Vénus qui se respecte, elle est née des eaux, Hélène. Se baignant nue dans un lac de la Forêt Noire, elle a rencontré un américain (un certain Faraday) et l'a suivi dans sa cage dorée new-yorkaise. Leur histoire est devenue le conte préfére qu'ils rejouent à leur fiston, le soir au coin du lit. Mais Marlène, on la connaît : c'est quand elle est en tablier dans sa cuisine qu'elle a l'air déguisée. Bientôt, le gentil mari scientifique est victime de ses radiations, il doit aller se faire soigner en Allemagne. Pour sauver les meubles, Hélène remonte sur les planches. Succès immédiat, conquête immédiate du dandy local, compromis et états d'âme. Allemande et Américaine, Hélène incarne les contradictions de son époque : elle est à la fois la belle et la bête, l'étoile et le ver de terre, la maman et la putain. Une statue de chair, avec un chapeau. Toutes les femmes à la fois, mais en mieux.
Sans doute le premier film choral de l'histoire du cinéma. Décor idéal : le Grand Hôtel de Berlin, son grand hall circulaire, sa porte en tambour, ses sept étages en cercles concentriques. Tout tourne, comme le destin. C'est là qu'échouent toutes les élites financières et artistiques de la ville. Où débarquent aussi tous les jaloux qui ont échoué à en faire partie ou à s'y maintenir. Ou qui en rêvent. Rien que des grands cabotins de leur vie qui font des drames à tous les étages, comme il se doit (d'autant que les stars doivent rentabiliser le peu de temps d'écran qui leur est alloué). Le temps de quelques jours, ils vont donc s'échanger le peu qu'ils n'ont déjà plus vraiment : un peu d'argent, un peu d'amour, un peu de vie (un peu de gloire ?). En le criant un peu fort sur les tréteaux -pardon, le plancher- tout de même. Pas mal, pour l'époque. Mais où sont les blockbusters d'antan ?
Lily a été élevée -si on peut dire- à la dure. Son papa tient une espèce de bistrot, mais il tire surtout ses clients, et ses revenus, des beaux yeux -et de la jolie silhouette- de sa fille. Il y a tout de même, parmi les clients, des gens qui savent lire. Y'en a même un à l'accent allemand qui offre à Lily "La volonté de puissance" pour la draguer, c'est dire (un nietzschéen revendiqué dans un film américain ? on hallucine...). Un fois le papa parti brûlé en enfer, c'est le moment pour Lily de trouver une situation à la hauteur de ses talents. Direction New York, donc, et le plus haut building qu'elle peut trouver. Plein d'hommes, cela va sans dire, qui ne manquent pas non plus de remarquer ses compétences et sa jolie silhouette -ni ses beaux yeux bien sûr, qui n'ont jamais froid, malgré leur air innocent. Son ascension sociale fulgurante se mesure à la sophistication de sa coiffure, au poids de ses fourrures et au numéro de l'étage où elle est affectée. Les choses vraiment sérieuses commencent au niveau des chefs, pères et fils... Film (dé)culotté typique de l'époque pré-code Hays (tellement qu'on hallucine !).
Un beau jour, quelque part entre la Riviera et Paris (c'est-à-dire quelque part sur le chemin du Paradis), elle pénètre dans un compartiment de train (et sans doute dans les rêves) de deux charmants messieurs endormis. Elle les dessine et s'endort à son tour. Sans doute pour qu'ils puissent entrer dans ses rêves à elle. Tout est contagieux, dans ce film ; le sommeil, le bonheur, le succès. L'amour, bien sûr. Mais à trois, forcément, dans trois pays différents, ça complique un peu la vie. Et tout le reste... Ils ne pensent qu'à ça mais n'en parlent jamais -enfin si, en fait, tout le temps, mais en parlant d'autre chose. Pour se donner le change, ils se fixent des règles -gentlemen agreement- qu'ils s'empressent de ne pas respecter. Rien à faire : les objets, les choses, les lieux, leur parlent toujours de la même chose. De ce dont ils ne veulent pas parler, bien sûr. Ce remake par anticipation de Jules et Jim -la tragédie en moins- est du genre à donner envie de se compliquer la vie.
L'Angleterre du XVIème siècle, rubrique people. Le roi est un gros lard libidineux, genre Laughton vieux -pourtant, il est encore assez jeune. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne brille guère par sa lucidité matrimoniale : il lui faudra 6 mariages et quelques enterrements pour venir à bout de sa libido. La première femme nous est épargnée, pas la deuxième, décapitée le jour du mariage avec la 3ème. Dans le tableau de chasse, il y aura aussi une princesse de Clève (mais les français savent bien qu'elle ne se marie pas par amour). La leçon de politique est plutôt sommaire, mais la tentative d'auto-absolution (c'est la faute des femmes s'il est si seul, finalement) presque touchante (bel exploit de l'acteur).
A 5 ans, elle monte sur le trône de Suède. Elle devient belle, lit Descartes, s'habille comme papa et gouverne comme lui -tout en aimant un peu moins la guerre, tout de même. Elle croit connaître les hommes, puisqu'elle leur ressemble. Mais elle n'a pas encore rencontré l'ambassadeur d'Espagne. Antonio lui parle d'abord comme un frère, puis la séduit comme un amant. Avec lui, elle se découvre des envies bizarres (se vautrer dans du raisin, par exemple). Elle devient Garbo, comme Victor/Victoria, une anti-Impératrice Rouge. Et quand, par amour, elle quitte son trône pour abdiquer -au grand désespoir de ses sujets-, on la croirait en train de descendre les escaliers de Cannes, assaillie de paparazzi. A la fin, elle bat haut la main le record du plus long plan sans cligner une paupière. Une reine, une vraie, n'a pas besoin de déguisement.
Au cinéma, il est souvent sorti des eaux des choses intéressantes : un cuirassé nommé Potemkine, un Boudu... L'Atalante, elle, glisse : c'est une péniche. Le patron s'appelle Jean, la patronne (qui vient de se marier avec le patron, mais n'a encore jamais vu la ville) Juliette et le marinier (qui, lui, est allé partout et a tout vu) père Jules. Il y a aussi un gamin et des chats, mais on ne sait pas comment ils s'appellent. Trois fois rien, mais en liberté, une espèce de famille re/dé-composée dans une ambiance de fête foraine. Ca n'avance pas vite, une péniche, et pourtant le monde entier les attend aux 4 nations (le bistrot du coin), dans la mémoire et sur la peau du père Jules, au détour d'un canal. Pourtant la petite croisière vaudra bien l'expérience de toute une vie. Un film comme une pépite mal dégrossie sortie des flots calmes. Vigo, c'est le Rimbaud -ou l'Evariste Galois- du cinéma : un éclair, puis la nuit. Toute sa vie dans un film.
Un type dont on ne sait rien accueille chez lui une inconnue et, parce qu'elle lui raconte une histoire d'espions à dormir debout, la laisse coucher dans son lit. Au matin, comme la fille a un poignard dans le dos, le type se croit obligé d'aller en Ecosse, pour aller dire il ne sait pas vraiment quoi à il ne sait pas vraiment qui (il n'est pas exclu, d'ailleurs, qu'il ait tout rêvé). Le début et la fin évoquent L'Homme qui en savait trop, le milieu est un pré-make de La Mort aux trousses, c'est-à-dire la traversée somnambulique (mais pleine d'énergie) d'une histoire dont l'enjeu se modifie en permanence. Quelque chose comme la quête éperdue de la mémoire perdue des origines de la quête (tout Hitch, déjà, quoi).
A la pension Mimosas, situé juste en face du casino de Nice, on accueille tous les espoirs et toutes les désillusions du monde. Surtout ceux qui n'ont pas beaucoup d'argent, car Louise, la patronne a bon coeur. Et comme son mari est employé par le casino, rien ne se perd jamais vraiment. Il y a pas mal de formes d'amour, chez Louise : celui qu'elle porte au long cours à son gentil mari, celui qu'elle réserve à l'enfant qu'elle n'a pas pu avoir avec lui et qu'elle a juste brièvement élevé pour un autre, et celui, moins clair, qu'elle lui porte encore quand il est devenu grand, beau, et mauvais garçon. Mais il y en a d'autres, dans ce film. Le mauvais garçon est accro à une jolie semi-cocotte qui, elle, a surtout l'air passionnée par ceux qui lui permettent de faire ses courses. Et c'est sans compter la passion du jeu, qui accapare une bonne partie du (pas tant que si) beau monde qui gravite à la pension Mimosas. Le catalogue est complet, mais personne ne choisit vraiment ce qu'il veut dedans, les dés sont bien sûr pipés dès le début.
Arrivée d'un train dans une gare de Provence (La Ciotat ? Peut-être...) : ça parle espagnol, ça chante italien, c'est plein d'étrangers qui viennent prendre le pain -et les femmes- des français. Parmi eux : Toni (qui a pourtant déjà un accent marseillais d'au moins trois générations). Et, effectivement, en matière de femmes, les choses sont assez rondement menées : il séduit Marie, sa logeuse mais préfère Josefa qui lui fait la coup de la guêpe dans le cou. Mais Fernand, le méchant cadre de la carrière de pierres qui l'emploie, l'épouse avant lui, et du coup lui épouse Maris. Après, ça tourne de plus en plus mal, avec cette espèce de fatalité tranquille qui a l'air de pousser là-bas aussi bien que les olives. Le ton, semi ethno-documentaire, fait l'effet de s'inventer en route, avec une maladresse qui a l'air toute naturelle. Avec ses ouvriers et ses paysans en première ligne, c'est du proto-Ken Loach-sur garrigue, autrement dit du pré-Guédiguian.
Le danseur du dessus est un Américain à London. Le danseur du dessus fait du bruit -enfin, de la musique- avec ses pieds. En fait, justement, il connaît le secret de la transmutation de l'un en l'autre. Même, il sait transformer les pas en danse, en pas de danse. En plus, il est plutôt mignon. Dommage qu'il soit marié avec son producteur -enfin, avec la femme de son producteur -enfin, apparemment. Sa voisine du dessous est une amazone, aussi à l'aise sur un cheval que dans un costume de plumes. Dommage qu'elle soit mariée avec la femme du producteur du danseur du dessus -ou avec son couturier -enfin, apparemment. Ce vaudeville sautillant est un hymne aux plaisirs de l'artifice, qui ne sont pas des plaisirs pour de faux.
Un écrivain-auto-stoppeur en panne de tout débarque dans une station-service au milieu de nulle part, y drague la fille du patron qui lit François Villon, sous le regard jaloux et menaçant du mécano-gros-bras, ancien champion de football. La situation est donc, dès le début, un rien théâtrale. Ca ne s'arrange pas avec l'arrivée d'un caïd en cavale qui prend tout le monde en otage. La nuit d'attente est donc consacrée à disserter sur les temps qui changent et le sens de la vie... Le caïd est jouée par un petit (plus si) jeune débutant (pas si) gros dur nommé Bogart. A part lui, ce sont les dialogues qui font tout le boulot. Rencontre improbable entre le mélo-intello et le film noir, les grands espaces déserts et le huis-clos claustro. Molasson, bavard, énervant, pas si mal.
Il était une fois un petit rat des villes qui, pour échapper aux chats, se réfugie dans un labyrinthe. Le rat s'appelle Pépé, chef de bande de profession, et le labyrinthe, c'est la casbah d'Alger -période française. Débarque là-dedans une souris pomponnée dernière mode. "T'es belle comme le métro parisien", qu'il lui dit. "Tu me rappelles le pays", qu'elle répond (on a beau dire, les colonies, on les aime bien à condition de pouvoir en partir). Mais des facheux, des traîtres, des perfides trainent à tous les carrefours. Ils seront heureux (pas longtemps) et auront beaucoup d'ennuis...
Henry Fonda en méchant ? Non, il n'y a pas que Sergio qui a osé. Fritz, déjà... Mais lui, c'était par ruse. Une ruse pour faire comprendre aux américains que même les ex-taulards ont du coeur, parfois. Que même, ils peuvent être sincères, pleins de bonne volonté, et mériter l'amour des plus belles et gentilles filles du pays. Que même, ils pourraient de temps en temps avoir de bonnes raisons de ne pas faire complètement confiance à la société qui, des fois, peut les condamner à tort. Mais là-dessus, ils ont toujours été un peu durs d'oreilles, les américains. Au point qu'il y a des gars qui sont tellement américains qu'ils n'arrivent pas à croire eux-mêmes à leur innocence. C'est dire les dégats.
Alors que le roi Richard (coeur de lion) revient des croisades par le chemin des écolier, son frère Jean (langue de vipère) prend les choses (du pouvoir) en main. Sa trésorerie irait pour le mieux s'il n'y avait pas ce Robin (oeil de biche, sourire d'ange) pour contester son autorité. Robin est officiellement un noble, mais il est un peu mal élevé. A quelques années près, on aurait pu l'appeler un résistant. Au lieu de vivre dans un chateau, comme tout le monde, il préfère les camps scouts itinérants en pleine forêt, en compagnie d'hommes en collants qui passent leur temps à se bagarrer à coups de bâtons, ou à festoyer façon banquet de fin d'album d'Astérix. Marianne est apparemment la seule femme de la région. Elle s'habille en nonne et ne quitte pas sa forteresse, mais ne résiste tout de même pas longtemps à la meilleure flèche du Royaume. Le scénario est celui de tous les jeux d'enfants turbulents depuis 70 ans. Les costumes sont du kitsch qui ne se démode pas. Le film est de l'étoffe dont on fait les mythes.
Un espèce de professeur Tournesol, en quête de la clavicule intercostale (?) de son dinosaure préféré, croise la route d'une Miss Catastrophe flanquée d'un léopard de compagnie -le Bébé du titre. Pas mal, pour un début -et ce n'est vraiment qu'un début... Il faut donner le temps aux spécimens de toutes espèces de passer de la cage à la nature (et réciproquement). Les acteurs sont géniaux. Aux commandes, un de mes chouchous. Comme la plupart du temps chez lui, les femmes ont quelques longueurs d'avance sur leur partenaire masculin. Et comme toujours, la vérité a besoin d'un peu de désordre pour pointer le bout de son nez. Ce film est devenu l'étalon or de la comédie à la sauce américaine, ce monde où la fantaisie et l'invraisemblance sont un mode de vie.
Le roman de Zola proposait un vaste panorama du meurtre sous toutes ses formes. Renoir a tranché dans le vif (deux morts seulement !). Il a conservé le prétexte de la théorie un peu lourdingue de l'atavisme alcoolique, tout en se concentrant sur le trouble entrelacement du désir et de la pulsion de mort. Et il a exploité à fond la poésie visuelle des trains : le destin est sur les rails et il roule à toute vitesse. C'est l'enfer au fond de la chaudière. Quant au cheminot, lui, il sonne toujours deux fois (chez la femme du sous-chef de gare). Et Gabin, on dirait qu'il a fait ça toute sa vie.
C'est l'effervescence dans les couloirs du conservatoire d'art dramatique : aujourd'hui, on recrute les p'tits jeunes de la prochaine promotion. Se presse donc là une bande de postulants cabotins, tous plus insupportables les uns que les autres. Comme on pouvait le craindre, ce sont les pires qui sont pris -enfin, non, les pires, ce sont ceux qui ont été pris l'année d'avant. Ils sont tous jeunes, bêtes et beaux, c'est-à-dire, vus par ceux qui ne le sont plus (voir aussi Les Tricheurs), du genre à jouer avec leurs coeurs qu'ils pensent avoir déjà blasés, du genre à faire des paris stupides sur les sentiments auxquels ils pensent échapper. Mais qui n'hésitent jamais pour autant à en faire des tonnes avec leur peu (de talent) qu'ils ont. Pour paraphraser leur maître (à l'envers), ils mettent un peu trop de jeu dans leur (pseudo) vie, et pas assez de vie dans leur (imitation de) jeu. Ah, le maître... C'est bien simple, ses 10mn de présence à l'écran sont les seules dont on se souvienne. Y'a encore du boulot, les p'tits jeunes...
Encore un mythe qui passe de justesse la barre du potable à sauver. C'est un film choral, comme on ne le disait pas encore alors. Le décor : un hôtel au coeur de Paris, avec vue sur le canal St Martin et pittoresque à tous les étages. Les personnages principaux : Paris canaille, et Paris populo. Les histoires : des maris, des femmes, des amants, et quelques coups de feu. Celle qui est mise au premier plan (une histoire de petit couple tellement jeune, beau et amoureux que c'en est désespérant -c'est eux qui le pensent !) est de loin la plus tarte et la plus barbante. Heureusement, il y a quelques briscards, pas encore si vieux que ça, qui sauvent la mise. Ils s'incrustent, forcent un peu les portes de la fiction, changent l'atmosphère à force de brasser de l'air. Ils sont les seuls à parler parisien comme aucun parisien n'a jamais parlé. Les seuls à être dignes du mythe qu'ils ont créé.
Il y a des films qui deviennent mythiques pour de mauvaises raisons : une vague atmosphère d'époque, une réplique qui permet à des générations entières de draguer, les premiers pas d'une star... Quai des brumes possède tout cela, mais sa poésie s'est un peu égarée en chemin dans le brouillard. A moins d'être encore sensible à la poésie des quais, à la poésie des brumes, à la fatalité qui lie les destins des jeunes filles pas encore perdues à celui des mauvais garçons pas encore pourris. Pas gagné d'avance. Encore heureux qu'il lui reste quelques ingrédients indémodables : un méchant jublatoire (Michel Simon) et un couple éternel (Gabin/Morgan). Juste de quoi échapper de peu aux limbes de l'histoire, tout en restant à quai...
A 16 ans, Scarlett est la reine des pique-nique. Son papa lui donne la recette de la potion magique du Sud, à base de terre rouge de Tara, la propriété familiale. Elle commence sa longue carrière de peste professionnelle en dragant le copain de sa cousine -une sainte. En 4h, elle réussira tout juste à l'embrasser 2 fois, tout en se permettant d'ignorer superbement le superbe Rhett Butler. Lui, elle mettra 10 ans à l'épouser (le temps de liquider 2 maris falots) et 20 ans à se rendre compte qu'elle l'aime peut-être, finalement. Cette histoire est un peu le remake en son et couleurs de la Naissance d'une nation. La 1ère partie, en rouge, est une longue succession de scènes de dépit amoureux sur fond de guerre de sécession. La 2ème partie est un long mélo. Des fois, on se dit que Fleming, qui venait tout juste de finir Le Magicien d'Oz, s'est un peu embrouillé dans les scénarios et qu'il a recasé les mêmes répliques (sur le thème : "there is no place like home") dans les deux. Attention monument ! Mais à part quelques scènes, pas sûr qu'il tienne si bien au vent...
Un homme en tue un autre au seuil de son appartement haut perché. Le mort dévale l'escalier, le tueur s'enferme chez lui en attendant les gendarmes. Avant que le jour ne se lève, la nuit va être longue... Une nuit pour revoir l'essentiel de sa vie, résumée par les objets présents dans sa chambre, une petite vie d'ouvrier soudeur qui a bien le droit à sa(ses) petite(s) histoire(s) d'amour. Sauf qu'un autre homme s'en mèle toujours. C'est celui qui dévale l'escalier au début, il aime mener les hommes (surtout les femmes) et les chiens à la baguette, sa vraie profession est beau salopard. Le genre à déclencher tous les engrenages fatals. Le film qui a inventé le flash-back, le réalisme poétique, Arletty sortant de sa douche, les répliques de Prévert et les colères de Gabin : on s'incline...
Le titre sonne comme un compte à rebours -et c'en est un, puisque personne n'est censé ignorer quand et comment finit la vie de l'Archiduc François-Ferdinand d'Autriche. Bon, mais avant, en général, on sait moins. C'est donc une montre qui servira de fil conducteur à toute l'histoire -d'amour, bien sûr, puisqu'il n'y a que ça qui intéresse les spectateurs, quand il est question de têtes avec des couronnes dessus. Et ce futur Archiduc-là a en plus eu le bon goût romanesque d'épouser par amour une moins-bien-née que lui, ce qui permettra à tout le monde d'apprendre ce qu'est un mariage morganatique. Dans le rôle du méchant : le protocole, bien sûr. Et, en guise d'épilogue qui tombe du ciel, une petite morale sur la 2ème guerre mondiale. La patte du grand Max est discrète, dans cette affaire. Il préfère les drames intimes qui reflètent l'écroulement d'un monde, il est moins doué pour le bonheur -même quand il est le prélude à l'écroulement d'un monde.
Hildegaard -Hildy, pour tout le monde- a été une excellente journaliste, et l'épouse d'un grand patron de presse. Le divorce à peine consommé, elle vient présenter à son ex, dans les bureaux de son journal, son nouveau fiancé (qui ressemble à Ralph Bellamy). Officiellement, elle envisage désormais avec lui une brillante carrière de femme au foyer. Mais l'au-revoir à sa vie d'avant dure plus longtemps que prévu. L'ex, pas très fair-play, essaie de la faire replonger dans la dope du scoop. Il met les ficelles de son grand art (bidonnage et coups fourrés) au service de sa cause. Et, pour réveiller les plus bas instincts (journalistiques) d'Hildy, il la pousse à parler comme une machine à écrire, exercice où elle bat tout le monde. Jeu virtuose sur le pouvoir des mots et des regards.
Philadelphia, le berceau de la démocratie en Amérique. Un palais luxueux, écuries et argenterie comprises. Une déesse (aux pieds d'argile), trois prétendants au trône : l'ex, le fiancé et le journaleux. Autour de la piscine, ces enfants de l'Olympe débattent de l'aristocratie des âmes. En gros, ça consisterait non pas à être sans défauts, mais à avoir des défauts dignes de soi. Ainsi le fiancé, parvenu, a l'art de se rendre odieux, tout en étant toujours irréprochable. L'ex, lui, bien que violent, absent ou en pyjamas, est irrésistible. Et le journaleux douteux n'est jamais aussi charmant que quand il est bourré. C'est ça la classe, ça ne s'achète pas. Ne pas exclure une éventuelle lecture politique, mais ça n'empêche pas de rigoler. Et le tout grâce à quoi ? Au champagne, bien sûr !
C'est sur la French Riviera (lieu d'envoutement classique des films américains) qu'ils font connaissance. Il est anglais, veuf, très riche. Elle est jeune et innocente. Ils se marient et vont habiter dans la somptueuse demeure de Monsieur, à l'aura mystérieuse. Machine (comment s'appelle-t-elle, au fait ? personne ne l'appelle par son prénom) se retrouve à la tête d'une maison où tout est trop grand pour elle, où tout porte la griffe de Rebecca, la première épouse. Problème : comment lui faire oublier son ex ? Comment se faire aimer d'une propriété où tout -choses et êtres- est encore sous le charme de l'autre ? Comment lutter contre un fantôme qui ne se manifeste que dans les vivants ? Un drôle de cauchemar luxueux, un thriller mental au style gothique flamboyé, avec ce qu'il faut de fièvre et de secrets.
Au coin d'une rue de Budapest, années 30 : c'est chez Matuschek, on y vend de la maroquinerie (des ceintures, des sacs à main...). Alfred, brave garçon poli, est le chef des vendeurs ; Klara, gentille fille enthousiaste, est la nouvelle vendeuse. Pourtant, ils ne s'entendent sur rien. Il y a autant de différences entre eux qu'entre une boîte à cigares et une boîte à bonbons (entre un homme et une femme, quoi). Ils n'ont pas leur langue dans leur poche mais, dans leurs poches, ils gardent précieusement les lettres enflammées qu'ils s'envoient sous pseudo (boîte à lettres numéro 237). Subtiles variations sur les intermitences de la vie sociale et le petit commerce de la vie privée, ces théâtres où tout le monde est un agent double.
C'est le genre de films qui fait un genre à lui tout seul : le genre film de corrida hollywoodien. Le cahier des charges inclut du folklore, des filles sexys et des méchants taureaux. Et un p'tit gars qui part de rien et qui n'en veut. Qui veut devenir un mec, un vrai. Il rêve sans doute secrètement d'emballer les taureaux et de massacrer les filles, Mais, cet idiot, il fait exactement le contraire. Débuts difficiles, mais il s'accroche. Quelques aller-retour Seville-Madrid et quelques tours d'arènes plus tard, le gars commence à maîtriser sa géométrie (des cercles et des droites, donc) et son art. Maîtriser sa vie, c'est moins facile. Mais bon, c'est aussi le genre de films dont le titre donne le programme. Et de toute façon, on verrait mal l'intérêt d'un film hollywoodien avec un torero qui meurt de vieillesse dans son lit. Bref, tout est prévisible, sauf la beauté et la grâce du spectacle. Parfois.
Voici l'homme. Il vient de passer un an dans la jungle. Naïf, timide, maladroit. Papa dans la bière, très riche. Voici la femme. Elle passe sa vie à plumer des gogos. Perfide, tricheuse, aguicheuse. Papa dans les jeux de cartes, très malin. Il élève des serpents. Elle lui fait avaler des couleuvres. Il ne rate pas une seule peau de banane qui traîne. Elle ne rate pas une seule occasion de les laisser trainer. Ils sont forcément faits pour éviter de ne pas s'entendre -et plutôt deux fois qu'une. Au pays de la comédie romantique loufoque, tout est toujours pareil et prévisible -sauf quand ça n'a rien à voir. Dans les couples, c'est pareil.
Désolée : c'est pire qu'une erreur de casting, ça frise la faute professionnelle cinéphilique d'avoir ça dans sa collection. Non, je n'aime pas ce film, je l'ai commandé par hasard, je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu. Ce roublard de Stevens a sans doute voulu faire la crème des mélos, mais il appuie vraiment trop sur le champignon. Non je n'ai aucune sympathie pour Julie, dont la seule ambition professionnelle est de devenir une mère de famille parfaite. Rien ne m'énerve plus que de la voir en tablier avec un fichu sur la tête, tentant de passer son certificat de bonne ménagère apte à adopter un petit ange. La seule chose dont je lui suis reconnaissante, finalement, c'est d'avoir donné à Cary Grant le goût des voyages en train.
Tout commence dans un train : début de la romance. Tout continue dans un décor de cottage anglais avec vent dans les chapeaux, chevaux et bal du soir : mariage. Elle s'appelle Lina, il s'appelle Johnnie. Mais, à partir de là, on n'est plus dans le même film. Lina, qui ne voit pas bien de près sans ses lunettes, commence tout de même à trouver que son cher époux exagère. Est-il irresponsable, menteur, voleur, escroc voire plus (si affinités monétaires) ? La maison de Lina -et sa vie- ressemble de plus en plus à une toile d'araignée de lumières et d'ombres. Un tournage en sentiments subjectifs, avec dénouement final trop beau (comme Johnnie) pour être honnête.
Le Maroc, dernier refuge avant le désespoir (cf. Morocco). C'est un film qui en est plusieurs. Peut-être une fresque politique sur l'Amérique qui décide, en 1942, d'entrer en guerre pour libérer l'Europe, au nom des liens anciens entre les deux continents. Ou alors, un mélo tragique sur l'amour impossible entre un tenancier de bistrot et son ancienne maîtresse, retrouvée par hasard. Ensemble, ils auraient inventé la résistance glamour -celle dont le principal titre de gloire est de réussir à finir les bouteilles de champagne français avant que les allemands ne s'en emparent. Ou alors, c'est le drame de la lutte clandestine contre le nazisme, traquée jusque dans les colonies... Bref, de toute façon un film aussi généreux en intrigues, personnages, scènes d'anthologie et niveaux de lecture n'est sûrement pas devenu mythique pour rien. Play it again (and again...).
Oliver Reed est architecte. il vit dans un monde où les traits sont tirés à la règle et où les angles filent droit. Irena Dubrovna a le crayon plus souple : elle est styliste pour dames. Elle s'entraîne à dessiner au zoo, devant la cage des panthères. Elle a des ancêtres venus d'Europe de l'est, ce qui explique sans doute son accent français et qu'on la sent capable de tout. Elle a du chien -enfin, plutôt du chat. Comme toutes les choses intéressantes, elle fait envie et elle fait peur. Elle a envie et elle a peur... A quoi rêvent les jeunes femmes ? A la panthère tapie en elles. Et aux hommes qui la réveilleront... Pour se rappeller que la naissance du frisson, c'est la caresse d'une griffe sur du velour.
Les japonais viennent de s'en prendre à Pearl Harbour. Hitch, passé à l'ouest (de l'Atlantique) depuis Rebecca, veut participer à l'effort de guerre. Alors, il s'en prend aux ennemis du dedans, aux combattants de la Liberté planqués derrière les américains bon teint, aux saboteurs du politiquement correct. Il choisit ses alliés parmi les prolos anars et les aristocrates du coeur, les artistes et les freaks. L'histoire a un goût de déjà vu et un parfum de à revoir : c'est une marche forcée à l'intérieur de la démocratie, east by south east. Le gentil rencontrera la fille des rêves américains. Le méchant sera perdu parce qu'il n'a pas de tailleur anglais. Tout est pour le mieux dans le meilleur des films de propagande possible.
On est au temps (et dans les terres) des très riches heures du duc de Berry, la paix n'a que trop duré. Pour éviter aux hommes d'être heureux trop longtemps, le Diable a parfois envie d'ajouter son grain de fiel à l'histoire. Deux de ses envoyés arrivent donc sur Terre. Il y a Gilles, musicien mélancolique, parfois hélas un peu attiré par le côté lumineux de la Force. Et il y a Dominique, dont on se demande si les autres l'apprécient plus en homme ou en femme (et si il/elle eut jamais un coeur). Ils sont là pour faire des ravages, ils en font. Pourtant, s'ils utilisent les mêmes mots, leurs yeux ne disent pas toujours la même chose. En fait, Gilles se met même à croire un peu trop à son propre jeu avec Aaaannne. Alors, le Diable lui-même vient remettre un peu de (dés)ordre dans tout cela. Le film est un rien pompeux et solennel. On ne sait trop si c'est le coeur de la France sous occupation qu'il a voulu faire battre, à la fin, mais au moins a-t-il donné naissance à une belle statue palpitante, une certaine idée du cinéma français.
Passager clandestin d'un camion, il débarque dans une station service. En tablier dans la cuisine, elle se vernit les ongles. Un regard suffit : début de l'histoire. Entre eux : un mari gras et vulgaire, une passion dévorante. Et la misère, comme une menace. Ils sont trop pauvres pour être honnêtes, mais trop petits pour leur destin. Il prendra des chemins détournés, le destin, mais il est le plus fort et il fait mal. Et l'éternel malentendu entre les hommes et les femmes ne tarde pas à se manifester. C'est une tragédie grecque tombée dans la boue : un film noir (un bon). Une date dans le cinéma italien, qui préfigure à la fois Rosselini (mais moins lyrique et compassionnel) et Visconti (avant ses coquetteries d'esthète).
On se croirait dans une série de tableaux de Rembrandt en noir et blanc. Les dialogues pourraient être extraits d’un bréviaire protestant. La vie est sobre, digne, et très très encadrée, comme dans un plan de cinéma qui bougerait pas beaucoup. Le temps s’écoule lentement en attendant l’éternité. Ca se passe à une période où on croyait encore en l’existence des sorcières, surtout certains hommes quand ça les arrangeait de se débarrasser de certaines femmes. Le pasteur de l’histoire est un de ces pieux hommes, il joue accessoirement le rôle d’inquisiteur en chef quand sa Foi l’exige. Ou alors peut-être quand sa femme, deux fois plus jeune que lui, le trompe (désolée, je spoile un peu). Ca se passe à une période où les hommes (jeunes et vieux) décidaient de tout, étaient bornés et superstitieux, tenaient les clés de la maison et les cordons de la bourse, avaient avec eux la loi et Dieu lui-même. Il y a une éternité. Mais l’éternité du cinéma est encore plus forte.
Walter Neff est le genre de type qui se balade toujours avec des allumettes dans les poches -le genre qui s'enflamment toutes seules, en les grattant avec le pouce. Phyllis Drietrichson est le genre de nana qui se balade toujours avec pas grand chose sur le dos et une chaîne en or à la cheville. Il s'y connaît en assurances -il en vend-, elles s'y connaît en emberlificotage d'hommes -elle a déjà un mari. Entre eux, ça s'enflamme tout seul, presque sans gratter. Logiquement, la prochaine étape obligée consiste à zigouiller le mari, et à toucher l'assurance qu'il ne sait même pas qu'il vient de signer. Si possible en faisant jouer la clause de "double indemnité", qui optimise les profits. Et les emmerdes. Parce que, faut dire, c'est Walter qui nous raconte tout ça, une balle et pas mal d'amertume près du coeur, comme le fera aussi son cousin Joe du fond de sa piscine de Sunset Blvd. Encore un grand couillon avec un faible pour les pétasses perruquées. Le genre de films qui invente un genre nouveau. Le genre qui rend grandioses les criminels amateurs minables, genre grands couillons et pétasses perruquées.
Un rêve de journaliste : disposer du journal du lendemain avant même qu'il ne soit écrit. Un cauchemar d'être humain : connaître avant tout le monde les méfaits qui se commettront bientôt au coin de la rue et la date de sa propre mort, sans rien pouvoir y changer... Eternelle ambivalence de toutes les pulsions et de tous les fantasmes. Voici donc l'un des fleurons du fantastique tranquille de René Clair, où l'imagination remplace les effets spéciaux et la fantaisie l'angoisse. On est plus proche de La Vie est belle que des films de Murnau, Whale et autres effrayeurs en chefs comme Cooper et Schoedsack. C'est qu'ils ne sont pas si nombreux, ceux qui ont tenté d'attaquer l'inconscient par la face sud (celle qui est éclairée par le soleil...).
Transposée à la Martinique, c'est à peu près la même histoire que dans Casablanca, mâtinée d'une anticipation d'African Queen. Sauf que l'histoire d'amour (ici, entre Slim et Steve) ne s'écrit pas au passé : elle est dans le présent de l'action. Et même en direct, pour de vrai -tant les acteurs poussent loin la conscience professionnelle... Quant à en avoir (le titre original est quand même nettement meilleur), ils en ont tous les deux, ça ne fait aucun doute. En plus, tous les acteurs secondaire du genre sont aussi au rendez-vous : Greenstreet, Dalio, un bar et un piano. Et l'exotisme de pacotille. Et les 3 étages de l'hotel, pour suivre de près les fluctuations du désir. Il s'y sont mis à deux prix Nobel (Hemingway et Faulkner) pour pondre le scénario. Et un réalisateur génial. Et la grâce...
On n'a pas été introduits dans les formes mais, visiblement, ils sont amants (il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour...). Ils font aussi partie du grand monde -celui dans lequel ça ne se fait pas de se plaindre. Alors, quand elle sent qu'il s'éloigne, elle le quitte. C'est son genre. En fait, elle enrage et ne veut que sa perte. Mais il faudra y mettre les formes. Son atout, c'est qu'elle a l'art de bien parler, c'est-à-dire de ne rien dire qui la compromette tout en incitant les autres à agir dans le sens contraire à ce qu'elle semble dire -trop forte, quoi. Elle a quelques marionnettes en réserve, elle s'en sert. Mais dans le coeur des marionnettes, il se passe parfois des choses imprévisibles -et invisible. Et la grâce descend parfois par les fils les plus embrouillés, comme une flamme brûlante qui prendrait, pour tromper son (grand) monde, les formes les plus hiératiques et les plus épurées. Il n'y a pas de grâce, il n'y a que des preuves de grâce.
Le Docteur Edwardes est en fait un imposteur, sa Maison est un asile de fous. Ca démarre sur de bonnes bases. La douce (et belle) Constance, elle, est une vraie top psychanaliste de la Maison, qui semble avoir reçu (en vain) les tranferts de tous ses patients et de tous ses collègues. Elle craque pour le faux (mais beau) docteur amnésique, qui pourrait bien être le cas (et l'homme) de sa vie. Le faux (mais beau) Edwardes a des morts à aller récupérer au fond de son trou de mémoire. Et la douce (et belle) Constance, elle, se trouvera bien quelques portes à ouvrir et un père à tuer. La clé des révélations à double fond réside dans un rêve obscur, mis en image par M. Dali himself. Bien mieux qu'une leçon de psychanalyse pour les nuls, un grand film fantas(ma)tique pour tous les grands névrosés que nous sommes.
La Belle est contrainte de faire la bonne chez ses horribles soeurs. Elle adore son papa. La Bêêête vit dans un chateau fantastique au coeur de la forêt. Le papa s'y égare, fait une gaffe. Pour avoir le droit de rentrer chez lui, il devra laisser sa fille en otage au maître des lieux. Cette Bêêête au visage de lion, aux manières de prince et aux instincts d'animal est un concentré de douleurs et de contradictions. Son domaine est une prison végétale où les murs s'animent de membres et de figures humaines qu'il n'a pas. La magie et l'inquiétude naissent des objets les plus quotidiens. Rythme majestueux, images sublimes, profusion de symboles : le sortilège opère toujours.
Ils ne pensent qu'à ça -mais n'en montrent jamais rien. Ils ne parlent que de ça -sans jamais rien en dire. C'est un peu comme les politiciens de cette époque, qui ne parlaient jamais de guerre non plus avec Hitler. De quoi est-il question, alors ? De tuyauterie, de bonnes manières. De ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Par exemple, qu'il n'est pas très correct pour une jeune fille de s'occuper de la plomberie. Et que si un homme ose s'intéresser aux domestiques, c'est qu'il a au moins l'excuse d'être un dissident tchèque. Et que rien d'intéressant n'arrive si on ne fait jamais rien de pas correct. On sent le maître qui sourit derrière chaque sous-entre-entendu, jubile derrière chaque geste subtilement incongru. Et cligne de ses yeux malins derrière les paupières de sa caméra.
Elle aurait pu s'appeler Jane Eyre, le film aurait pu s'appeler Rebecca. Mais là, c'est Miranda. Au début, elle vit dans une petite maison dans la prairie. Un brillant destin de paysanne dévotte lui est promis. Mais un vague cousin très riche l'invite à venir jouer la dame de compagnie dans son antre, Dragonwyck, et sa vie bascule. Le cousin s'avère un irrésistible monstre, la maison se révèle gothique et hantée. Miranda est ravie, dès que possible elle épouse les deux. Il ne lui restera plus qu'à survivre le plus longtemps possible aux charmes vénéneux du lieu, et plus qu'à explorer les recoins obscurs du maître de maison. Il y a des gens comme ça qui ont l'air d'être faits pour s'épanouir à l'ombre, qui sont amoureux de leur prison, et de leur geôlier. La mise en bouche d'une grande oeuvre, en forme de curiosité gothique.
Dans un riche ranch du Sud -façon Autant en emporte le vent, quelques années avant-, vivent un vieux sénateur réac et impotent, sa femme qui a tout le temps l'air de pleurer en silence, et leurs deux fils : le gentil progressiste et le séduisant vilain garçon. On leur met dans les pattes une jolie métisse -lointaine cousine à secourir. Et plein de beufs et de chevaux à déplacer, surveiller et dresser. Avec de telles bases, il ne faut pas s'attendre à beaucoup de nuances : de la passion et des coups de feu. Comme dans l'incroyable duel final, qui conjugue l'amour et la mort dans un bain de poussière et de soleil. Un joyau de sang dans un monde de brutes.
Un tripot clandestin mais chic dans une Argentine de pacotille : voilà pour le décor. Deux hommes qui fondent leur vie sur le jeu, une femme sublime et superstitieuse : voilà pour les personnages. Fric, mensonges et dialogues à triple fonds : voilà pour les moteurs de l'intrigue. Pas facile de mettre un nom sur les sentiments et les motivations des protagonistes, qui s'échangent des déclarations de haine enflammées. Mais quand, dans une scène mythique, Gilda retire langoureusement son gant en chantant aux grands garçons qui la regardent de s'en prendre à Mame, tout le monde retient son souffle. Un film qui serait comme la partie émergée d'un iceberg de pulsion troubles.
Ca commence avec un travelling de quelques années-lumières sur l'univers, la terre et tout le reste. Ca enchaîne avec un coup de foudre par ondes radio et par temps de guerre, et une mort suspendue par le fog. Après, c'est une Near Death Experience d'1h30 en direct live et en images de rêve, à laquelle ne manque que l'odeur d'oignons frits. Autour du charmant petit couple en sursis, s'affairent d'étonnants personnages : un représentant de l'au-delà amateur d'échecs, comme dans Le 7ème sceau, et un sympathique et mystérieux neurologue, observateur omniscient de son village et de l'esprit humain, comme Im-ho-tep. Ce film, c'est la matrice du fantastique métaphysique à la Solaris (qui lui a piqué quelques plans), et du mysticisme amoureux façon Pandora (qui lui en a piqué quelques autres). Bref, l'accomplissement de tout ce que j'attends du cinéma : qu'il nous donne des images d'un autre monde qui serait aussi le nôtre.
Imaginons que le personnage de La Mort aux trousses soit un vrai espion, et que l'héroïne de Casablanca doive donner des gages de bonne conduite patriotique : le monde à l'envers ! A l'image du film entier, où tout le monde ment et joue la comédie. Sous prétexte de raison d'Etat, bien sûr. Parce que l'amour, il faut bien sûr faire mine, dans ce monde-là, de ne pas y croire. Pour y croire, le spectateur, lui, a droit au plus long baiser en pointillé de l'histoire du cinéma (entrecoupé de dialogues sur le poulet dans le frigo, pour détourner le code Hays). Mais ce n'est que le début : le reste du film est une longue jouissance retardée où la tension monte, se cristallise sur des objets fétiches (clé, bouteille, tasse) avant la délivrance finale. Difficile de ne pas adorer.
Bel(le) tronche et (faux) ami, George Duroy est un provincial sans le sou, arriviste et pique-assiette, promis à une belle carrière mondaine dans le Paris de la fin du XIXème. Son principal atout : il a l’air d’un gentleman distingué et il plait aux femmes. Son principal fardeau : la même chose. Grâce à un copain de régiment (et surtout à la femme du copain), il devient journaliste : couverture idéale pour aller partout et être au courant de tout. La politique, l’économie… rien ne lui échappe, surtout pas la rubrique people, qu’il invente au passage. Pour le reste, il préfère évidemment rater sa vie (amoureuse) que la gâcher (socialement). Les femmes -ses femmes- sont largement aussi intelligentes que lui -et nettement plus sympas-, mais ce sont des femmes. Il arrivera brillamment à tout foirer. Avec élégance. Le film est tout aussi élégant, et ne foire rien.
Ils ont pas mal bourlingué, ils ont un lourd passé derrière eux. Ils n'auraient jamais dû se rencontrer, mais l'amour leur tombe dessus. Puis leur passé les rattrape... Non, ce n'est pas Pépé le Moko (mais le scénario est du même auteur), ni Quai des brumes ni Remorques, et pourtant on est bien dans un port. On est dans le pur cinéma qualité française à l'ancienne -très bonne qualité, SVP ! Et puis, finalement, ce n'est pas tous les jours qu'on est convié au petit dej' de la troupe de filles à soldats du Big Moon. Pas tous les jours que la jeune première presque débutante s'appelle Simone Signoret, casque encore brun. Pas tous les jours que la violence de ces histoires de bas-fonds est aussi noire et explicite. Pas tous les jours qu'on découvre un très bon film oublié.
Berlin en 1945 : un peu comme un gros tas de légos dans lequel quelqu'un aurait mis un grand coup de pieds. Pas évident d'y caser une comédie. Mais tout n'est pas perdu, voici une délégation Républicaine du Congrès US qui débarque par les airs, avec pour mission de contrôler le (ou la, c'est pas très clair) moral(e) des troupes. Et, en son sein, une sénatrice de l'Iowa qui prend sa charge très à coeur, surtout depuis qu'elle est escortée d'un bel officier qui lui rappelle le pays. Côté moral(e), on ne demande pas trop leur avis aux autochtones, déjà trop heureux d'avoir survécu au gros coup de pied. Y'en a même qui sont encore debout, voire même sexy et bien habillée, et qui chante depuis toujours. Trop heureuse d'avoir pris très à coeur ses relations avec l'occupant, et particulièrement un bel officier qui n'est pas du pays. Le choc des cultures a déjà eu lieu (il a fait quelques millions de morts), il ne reste plus qu'à savoir laquelle est le côté pile, laquelle est le côté face, et de quel côté tombe la pièce quand c'est un bel officier qui la lance. Laquelle sauvera la face et le (ou la) moral(e) des troupes.
Vienne, 1900. Stefan, grand séducteur et petit pianiste, se prépare à fuir bravement de chez lui pour échapper à un duel. Et voilà que lui parvient une longue lettre -la lettre d'une vie. La signature ne lui dit rien et pourtant c'est celle d'une femme qui a mis toute son existence sous le signe de sa pâle étoile : adolescente, elle a guetté ses moindres pas, jeune fille, elle s'est donnée à lui juste avant -pas de chance !- qu'il ne parte pour une longue -très longue- tournée. Femme mûre, elle a croisé une fois encore sa route... L'éternelle histoire de la groupie du pianiste : rien de tel que de fréquenter un minable pour entretenir une âme sublime (et un peu maso quand même). Mon coeur de midinette ne s'en est jamais remis.
Henry James, grand coupeur de cheveux en 4000, a inspiré cette histoire de jeune femme sous influence, dans la bonne société new-yorkaise du XIXème siècle. La jeune femme est censée être très moche et très fade (bien qu’incarnée par Olivia de Havilland), si mal aimée de son père, docteur de la haute, qu’il n’imagine pas un instant qu’on puisse la courtiser pour autre chose que ses sous à lui, surtout si on est fauché et beau comme Montgomery Clift. Une fois toutes les pièces du jeu posées, il n’y a plus qu’à observer la lente destruction d’un coeur par tout ceux qui sont censés lui vouloir du bien. L’héritage (financier et biologique) comme malédiction et obstacle au bonheur : la leçon de maître Henri est, comme on pouvait s’y attendre, subtile et ambiguë, mais néanmoins assez claire, même découpée en 4000. Film de prestige typique de l’âge d’or hollywoodien, en mode beau boulot.
Dans l'Allemagne convalescente, les forces alliées occupantes sont multinationales... et mixtes. Le French Capitaine Rochard est ainsi amené à faire équipe avec la Lieutenante yankee Gates. Leur mission confidentielle tourne aussitôt à la guerre des nerfs et des sexes, puis à la scène de ménage pré-nuptiale. Ils signent l'armistice devant un maire, un curé et un pasteur, mais un ordre d'évacuation interrompt la nuit de noce. D'ailleurs, Cary Grant n'arrive pas à passer une seule nuit complète dans un lit, pendant tout le film (ce qui, vu par les américains, doit être le comble de ce qui peut arriver à un français). Comme ses mains ont parfois de drôles d'envies, il préfère mettre des gants. En fait, il découvre progressivement sa vraie nature, qui n'éclate que dans la dernière partie du film : celle d'épouse de guerre frustré(e). Comme quoi, une fois de plus, c'est en déguisant la réalité qu'on la découvre le mieux.
Trois marins en perm' de 24h dans le port de New-York : en moins d'une matinée, ils ont épuisé toutes les curiosités qu'il m'a fallu une semaine pour parcourir ; il ne leur reste que 3/4 de journée pour draguer quelques millions de jeunes filles. Alors que deux d'entre eux se font assez rapidement sauter dessus par deux girls pas nunuches et pas farouches (dont une Impossible Miss Baby), le troisième, lui, a plus de mal. Il tourne autour d'une "Miss Tourniquet" qui lui donne le tournis : poursuites, mensonges, RDV obligé (depuis Elle et lui) en haut de l'Emprire State Building , avant la tournée des bars de nuit. Un concentré de vie, d'énergie et de musique, comme si la forme d'une ville posait déjà sa marque sur le coeur des mortels qui arpentent ses rues.
Karen est très belle. Enfermée dans un camp de prisonniers, à la fin de la guerre, elle joue sa vie sur un coup de dé. Pas le droit d'émigrer en Argentine ? Elle épouse donc le bon gars qui la drague, de l'autre côté des barbelés, et le suit à Stromboli. Sauf que Stromboli, c'est tout sauf une retraite paisible. C'est une île et un volcan. A Stromboli la vie est rude, la nature sauvage, les traces humaines toujours menacées et provisoires. Les seules ressources y sont la pêche aux thons (qui donne lieu à une séquence documentaire mémorable) et ce qu'envoie la famille partie en Amérique. A Stromboli, la vertu essentielle est la modestie. Pas le fort de Karen, d'autant que son bon gars de mari se révèle tout juste un bon gars. Elle déprime sec. Elle vivra sa leçon de dépouillement comme un chemin de croix. Pour nous faire croire que la fin et un happy end, il faudra rien moins qu'un miracle (comme dans Voyage en Italie). Le cinéma, de toute façon, peut nous faire croire à tout.
C'est l'histoire d'un couple qui n'arrive pas à vivre au présent : chacun ressasse dans son coin ses souvenirs avec d'autres - pas particulièrement reluisants pourtant, les souvenirs - et les échanges entre eux ressemblent plus à des monologues alternés qu'à de vrais dialogues. Le huis clos d'une chambre d'hotel ou d'un compartiment de train ne fait rien pour arranger les choses. Malgré tout, ils reconnaissent eux-mêmes qu'ils préfèrent vivre dans l'enfer du couple que dans celui de la solitude. Elles sont insupportables et touchantes, ces petites marionnettes perdues dans leurs désirs, comme de perpétuels insatisfaits qui meurent de soif au bord d'une rivière.
Ca sent le piège : les amants sont en fait des époux, et apparemment plus tellement si épris que ça. Ils vivent en Australie, début XIXème. Pour se retrouver là-bas à ce moment-là, faut soit porter un uniforme, soit avoir eu des choses à se reprocher, et à fuir. On sait assez vite à quelle catégorie appartient chacun des personnages : tous enfermés dans leur rôle, leur histoire, leur héritage social, leurs petites prisons portatives. Pour zigzaguer à l'aise dans cette geôle, Hitchcock met des ailes à sa caméra. Il la fait virevolter dans les pièces, fureter entre ses acteurs, capter en douce la moindre esquisse de geste, la moindre ébauche de sentiment. L'histoire rappelle un peu celle de Rebecca : c'est du lourd, mais filmé par un papillon. Là sans doute est le piège... le gros monsieur cacherait-il donc une âme de midinette ?
En ce temps-là, le Maestro n'était qu'un apprenti. Il a fait l'assistant pour Rosselini, il a besoin de l'oublié Latuada pour oser co-signer son premier film qui déjà, pourtant, lui ressemble. Il y est question d'une troupe d'artistes de dernière catégorie : ceux des cabarets minables et des publics à rire gras. Il y a là un fakir, un bonimenteur et un chanteur de charme (d'ailleurs, ce sont les mêmes), de quelques playmettes plus ou moins affriolantes. Juste assez pour tout de même donner envie à une jeune première de se joindre à la troupe : une Eve du pauvre, en quête de gloire en polystyrène. Ses jambes retiennent l'attention du bellâtre vieillissant de la bande -pas sûr que ce soit une bonne pioche. Dans cette version méditerranéenne de La Nuit des forains, les OS du bastringue rament pour ne pas mourir de faim. Mais il n'est sans doute pas de plus grand maestro que celui qui met son grand art au service des plus merdiques de ses collègues.
Au début : un mari éploré à l'hôpital, au chevet de sa femme chérie : larmes, désespoir et souvenirs. Fausse piste. Belle-maman débarque et vend la mèche : sa fille n'en voulait qu'à son argent, elles se sont bien foutues de lui. Le mélo tourne vinaigre, le grand déballage commence... Pas joli joli pour la gente féminine, ce Rashômon en costume de cheval (le mari tente de faire vivre un manège). Pas terrible non plus pour les mâles, qui se partagent en salauds de pauvres et en pauvres salauds. Comme dans Le Mépris, les relation sociales se résument à la prostitution. Comme dans Lettre d'une inconnue, celui qui a tout compris est celui qui parle le moins. Bio cynique d'une Comtesse aux pieds nus un peu trash, dont l'élégance sentira toujours l'écurie. Noir c'est noir.
A Port-en-Bessin : des pêcheurs qui vont au bistrot, surtout celui où sert Marie, la "sournoise" taciturne. A Cherbourg : des marins en uniforme qui vont à la brasserie et au cinéma, propriétés d'Henry, le patron séducteur. 100km, une génération et pas mal d'obstacles les séparent. Un enterrement et un bateau les rapprochent. Ils parlent beaucoup (avec le quota réglementaire de bons mots du cinéma de l'époque) mais rarement pour dire ce qu'ils pensent, et encore moins ce qu'ils ressentent. Mais le patron a les idées larges : la preuve, il passe aussi bien des films de Georges Lampin que de Murnau, dans sa salle de ciné. En coupant les 10 dernières mn, avec une fin façon Enfants du paradis, ça pourrait tenir la route du large. Dommage...
Harry Fabian est un « artiste sans art », comme l’a bien compris son voisin (un vrai artiste, lui) : un artiste qui, pour accéder à la réussite, n’a toujours choisi que les chemins les plus courts, les raccourcis les plus risqués et les plus foireux. Harry Fabian, il a la bidouille toujours brillante, le ratage toujours flamboyant -bref, quand il demande, une fois de plus, de lui prêter de l’argent pour son dernier plan mirobolant, plus personne ne lui fait plus confiance depuis longtemps, même (et surtout) la (sainte) Mary qui (des fois) partage sa vie. Pourtant, cette fois, faut reconnaître qu’on aurait presque envie de lui donner raison, à Harry Fabian. Il a déniché le Dieu vieillissant de la lutte gréco-romaine et va, grâce à lui, organiser le combat de catch réglo (si ça existe) du siècle. Enfin, presque. Dans ce polar nocturne sans coup de feu, le noir et blanc et la profondeur de champ sont éblouissants. Du coup, les personnages ont souvent l’air de ne pas être à la même échelle : il y a ceux qui se camouflent, ceux qui se voient trop grand, ceux qui voudraient bien en rabaisser un(e) autre. Harry Fabian est de plus en plus traqué et cerné, mais sa dernière arnaque désespérée sera pour sauver son âme, à défaut d’autre chose…
Toujours Vienne, toujours 1900 (mais ça n'a aucune importance). La ronde, c'est ce jeu supide -j'te prends la main, tu m'prends la main- que les humains apprennent dans les cours d'école -un gars, une fille, un gars, une fille- et auquel ils jouent toute leur vie. Par "amour de l'art de l'amour", ils rejouent tous et toujours les mêmes scènes, inconsolables de leurs souvenirs, obsédés par le temps qui passe trop ou pas assez vite. Bref, ils ne pensent qu'à ça et le plus dur, pour eux, est de ne pas en avoir l'air. Pour faire sa typologie des prélimaires amoureux, Ophuls met en place un dispositif très artificiel, avec maître de cérémonie tireur de ficelles et passages de témoin systématiques d'un couple à l'autre. On a compris : le monde est un théâtre dont tout le monde fait mine d'être dupe...
Guerre de 14, en pleine brousse africaine, loin de tout. Une vieille fille anglaise, qui a suivi dans ce trou son frère missionnaire, et un aventurier frustre se retrouvent sur un bateau -le fameux African Queen. Personne ne tombe à l'eau, mais c'est thé à 5h contre gin à la bouteille. Ils échaffaudent pourtant bientôt un projet extravagant : en gros, transformer leur raffiot rafistolé en lanceur de roquettes et attaquer le plus gros navire allemand de la région. En route, ils font connaissance avec l'Afrique et avec eux-mêmes. Ce bizarre mélange d'héroïsme en haillons pour has-been qui ont de beaux restes et de romantisme exotique arrive à nous faire croire à l'aristocratie du coeur. Et à l'improbable magie du cinéma.
Stanley, la cinquantaine pimpante, est un parfait chef de famille responsable, époux d'une ménagère modèle comblée, et père de trois merveilleux grands enfants. Alors qu'il commence à envisager un repos bien mérité, il apprend qu'il est enceint de son premier petit-fils. Et comme il ne semble pas prévu dans son contrat que Liz Taylor (qui joue la future heureuse maman) prenne un gramme, la grossesse par procuration s'annonce nerveuse. Bon, avec un tel scénario, pas de quoi faire le film d'action du siècle. Juste assez pour lancer un petit coup de sonde dans les profondeurs de l'Amérique, et d'en tirer un petit sourire de surface. Les desperate housewives ont sûrement eu des parents et des grands-parents qui ressemblaient à ceux-là.
Un jeune homme en prison, beau comme Gérard Philippe, s'évade en douce pendant son sommeil, en rejoignant en rêve un mystérieux village où le temps s'est arrêté et où tout le monde est à la recherche de sa mémoire. Il a bien envie d'y rester, d'autant qu'il vient d'y rencontrer la jeune fille de ses rêves (c'est bien la moindre des choses), belle comme Suzanne Cloutier. Il a assez de mémoire pour tout le monde, mais ça présente aussi quelques inconvénients. Bon, on n'est pas vraiment dans Paprika ou dans Inception, mais il y a de ça quand même. En fait, c'est plutôt un remake caché du Jour se lève, où l'imagination prend la place du passé -avec le même mode d'emploi au début, pour ne pas larguer les spectateurs. Un poil de Magicien d'Oz, aussi, sans les couleurs. Tentative pour passer du réalisme poétique à la poésie réaliste. La magie et les grands sentiments sont un peu laborieux mais il y a de ça quand même.
C'est Homère-Geoffrey qui donne la clé du film : "L'amour se mesure à ce qu'on est prêt à sacrifier pour lui". Que ne sacrifierait-on pas pour Ava Gardner-Pandora ? La gloire, la richesse, la connaissance, la vie... Les mâles du film, en tout cas, ne ménagent pas leurs démonstrations de bonne volonté. Mais la sirène est en veilleuse. Pour qu'elle se jette à l'eau, il faut quelqu'un à sa hauteur. C'est alors que surgit un mystérieux "Hollandais volant" (qui, malgré son nom, est un marin et non un aviateur -et cache un lourd secret). Mais, au pays des Dieux, la tragédie, ça s'appelle du sublime. La deuxième clé, empruntée à Oscar (celui du Portrait de Dorian Gray), ça pourrait être : la vie -mort comprise- ne vaut le coup que quand elle imite l'art, quand celui-ci est une Question de vie ou de mort. Alors, la mythologie grecque peut rejoindre les vieilles légendes nordiques et le cinéma donne à vivre un instant d'éternité. Si je ne devais emporter qu'un seul film sur une île déserte, ce serait celui-là.
Tom et Ellen sont partenaires sur scène et inséparables dans la vie. Pas mariés pour autant -ça ne se fait pas, ils sont frère et soeur. Leur impressario new-yorkais les envoie à son frère jumeau de Londres pour jouer leur spectacle, juste quelques semaines avant que future Queen Elisabeth et Prince Philippe ne jouent le leur. Ca fait déjà pas mal de couples d'opérettes. Tom et Ellen s'empressent bien sûr d'en constituer deux autres avec d'authentiques autochtones -un vrai Lord et la fille d'un tenancier de bistrot qui est en fait celle de Winston Churchill (dans la vraie vie, pas dans le film !). Tout finira par des chansons -mais vu que ça commençait déjà comme ça, on n'est pas trop surpris. J'oubliais : 15 ans avant les spationautes de 2001, l'Odyssée de l'espace et 50 ans avant Spider-man, Fred Astaire, l'homme qui danse comme il respire, passait déjà sans effort des murs au plafond.
Un steamboat sur le Mississipi sert de salle de spectacle flottant pour comédies musicales à volants et à frou-frou. Papa est capitaine-metteur en scène, maman gère les coulisses. La vedette a les beaux yeux d'Ava (mais la voix de quelqu'un d'autre). Un dandy errant et fauché fait semblant de se prendre de passion pour la fille du patron et tout le monde y croit, même lui. A peine débarqué dans l'histoire, il embarque avec la troupe. Dehors, un vieux black chante Ol' man river. La vie, même en volants et en frou-frou, c'est pas drôle tous les jours. Sidney, spécialiste de ballets nautiques, a bien du mal à rester à flot avec cette adaptation très décorative d'un spectacle de Broadway qui échoue à inspirer la moindre émotion. On fait pas que semblant de s'emmerder.
Le temps d'un incident technique pendant une répétition, Marie la ballerine va faire un tour au pays de ses souvenirs. En particulier du côté de cet été passé au bord de l'eau avec son voisin Henrik. Ils avaient l'âge de Zéro de conduite. C'était le temps où faire des ricochets dans l'eau et ramasser des fraises des bois les amusaient encore ; c'était aussi le temps d'apprendre de nouveaux jeux... L'été au goût de paradis a précédé un automne au parfum d'enfer, dont il n'est pas sûr que Marie soit jamais sortie. Nostalgie de la douceur de l'enfance, douleur du temps qui passe et de la solitude : c'est triste et beau comme du Bergman.
Blanche, délicate petite chose, échoue un jour à La Nouvelle Orléans, chez sa soeur enceinte. Elle doit cohabiter avec le mari de la soeur, un ouvrier brut(e) de décoffrage qui a visiblement un fort mauvais tailleur (il n'arrête pas de déchirer ses marcels) et n'utilise apparemment pas beaucoup de déodorant pour atténuer l'effet de son abondante sueur. Mais beau comme Brando. Ca se flaire, ça se renifle, façon minauderies ou façon ours, c'est finalement à peu près la même chose. Ca sent le fauve et le renfermé, dans ce film là. Tout le monde y est comme embarrassé ou dépassé par son propre corps. Léger et doux comme du béton armé brut de décoffrage.
Elle est jeune, belle, riche -très riche. Une enfant gâtée. Il est beau, flegmatique et pauvre -très pauvre. Un postulant au rêve américain, qu'il verrait bien sous la forme d'un petit garage rien qu'à lui. Dès la première rencontre, ils s'échangent une baffe : coup de foudre. Elle s'intéresse au piano, aux échecs et à la mécanique. Elle a des petits problèmes de famille. Elle adore foutre la merde. Il n'a que sa carrure d'athlète et sa bonne volonté. Il est un peu mou et hésitant. Il ne pas voit pas bien ce qui se cache derrière les sourires. Ils sont faits pour s'entendre, c'est-à-dire associer leurs intérêts mal compris. Manipulations, jeux de dupes et névroses tapies sous les tapis... Un grand film noir, c'est noir.
Claude a deux vies : le jour, c'est un professeur de musique rêveur -et chahuté-, le soir c'est un compositeur d'opéra, rêveur aussi -et bien sûr complètement ignoré. Un ange musicien égaré dans un monde de cacophonie. Comme aucune de ces vies n'a l'air satisfaisante, il en a même une troisième : en fait, la bonne, c'est quand il dort. Gérard Philippe, à peine sorti du pays des merveilles de Juliette, replonge. Accro aux rêves dont il est le héros, encore. Ici, ils sont plus variés dans le temps et l'espace (la Révolution, les colonies, la Belle Epoque..), on sent qu'il est plus allé au cinéma. On dirait même qu'il a vu le Minuit in Paris de Woody Allen, tellement qu'on s'y croirait (Hemingway et Gertrud Stein en moins). Les réalisateurs vieillissants des années 50 n'aimaient décidément pas leur époque, ils espéraient encore que le cinéma les en sauvent.
Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils dansent bien ensemble. Elle s'appelle Marie, il est charpentier. Pour cela et pour leur bonne bouille, on leur donnerait volontiers le bonheur sans confession. Mais elle est maquée, il est fiancé. Ils sont pauvres, le monde est contre eux. Le monde, c'est ceux de la bande à Félix, des loulous d'arrière-boutique et de ruelles sombres. Paris : ses pavés, ses guinguettes et sa belle époque, réinventés pour nous. Noir comme ses rues noires, clair comme le soleil sur la Seine, comme notre mémoire l'imaginera à jamais. En prime, un mélo intense sur la seule chose qui compte : le prix du bonheur.
El, comme son nom l'indique, est un homme un vrai. Il vit au Mexique dans les années 50, autant dire qu'il n'a de leçons de machisme à recevoir de personne. Bon bourgeois et bon catholique, autant dire (on est chez Bunuel) qu'il est un parfait psychopathe... Avec sa toute jeune épouse, la lune de miel tourne rapidement au cauchemar domestique. Bunuel s'insinue dans la logique délirante de cet homme avec une délectation ironique. Avec lui, la façade respectable peut cacher l'horreur, les valeurs les plus traditionnelles dissimulent la folie.
Dame O'Haru naît en plein coeur du Japon médiéval, dans une noble famille. Manque de bol : elle naît femme, et cela seul suffira à son éternel malheur. A croire qu'elle l'a bien cherché : elle est trop belle, trop gentille, trop aimante, trop soumise. Les étapes de son chemin de croix se confondent avec chacun des hommes qu'elle a connus, qu'ils soient père, amants, maris ou maquereaux (ce qui de toute façon revient au même) : rien que des brutes, avec plus ou moins de savoir-vivre. Chaque plan du film rend sensible son enfermement, réduit son espace vital, la met en cage. Trop belle, trop gentille, trop aimante, trop soumise. Trop bon.
Ils sont provinciaux, ils débarquent pour leur voyage de noces à Roma la Grande. Monsieur a fait le planning : retrouvailles avec un vieil oncle, marathon touristique et audience papale. Mais Madame a des plans cachés : elle ne songe qu'à rencontrer le héros de son coeur, un Cheik blanc de pacotille (non, ce n'est pas le pape) qui parade dans les romans-photos qu'elle dévore en cachette. Alors qu'elle voulait simplement lui offrir un petit cadeau perso, son fantasme le plus secret se réalise : elle se fait kidnapper par (l'équipe technique de) son Cheik. Pendant ce temps, Monsieur se bat avec l'énergie de son désespoir pour sauver la face de son honneur baffoué. Le Maestro a déjà toutes ses cordes à sa lyre : les yeux exorbités d'un provincial monté à la capitale, un coeur de midinette, une verve de cartooniste, une patte d'artiste pour qui les rêves sont les meilleurs miroirs.
Un certain M. Truffaut (ou son double de cinéma) dit quelque part qu'un film est comme un train dans la nuit. Un "musical" à l'américaine, c'est pareil : ça embarque tout un tas de monde pour on ne sait trop où, et ça y va à toute vitesse. Des fois, ça fait rire en voulant impressionner, des fois ça impressionne en voulant faire rire. Des fois, ça déraille. Des associations de talents les plus hétéroclites peuvent y réussir à s'entendre, ou bien exploser, et les cabots les plus incompatibles devenir inséparables (enfin, c'est un "musical", tout de même, pas la vraie vie). L'art d'attraper la chance et la grâce, c'est un bricolage de pros. Et quand ça rend heureux, on se fiche de savoir si c'est notre double de spectateur ou dans la vraie vie.
Harry Graham est le parfait mari d’Eve. Ils vivent à San Francisco. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des amours possibles s’ils pouvaient avoir un enfant. Procédure d’adoption en cours. C’est l’agent chargé à cette occasion de se renseigner sur la vie des époux qui découvre le pot aux roses. En fait, à Los Angeles, où il va souvent pour son travail, Harry est aussi le parfait époux de Phyllis, avec qui il vient d’avoir un bébé. Pas de suspens, donc, on comprend vite la situation. L’enjeu du film c’est : comment il en est arrivé là, le pauvre chou ? Parce qu’attention : un bigame, c’est pas du tout quelqu’un qui méprise le mariage. Au contraire, il aime et respecte tellement ça qu’il préfère en contracter plusieurs que prendre une maîtresse. Admirable comportement. Et habileté suprême, c’est la quasi-seule réalisatrice répertoriée de l'époque qui se coltine avec empathie cette émouvante confession en l’honneur du traitre le plus sincère qu’on ait imaginé. Impressionnant dévouement de part et d’autre.
Madame de… est la très délicieuse épouse très gâtée d’un galant général. Pour régler de mystérieuses dettes, elle décide de revendre à un bijoutier des boucles d’oreilles -des diamants en forme de coeurs-, que son mari lui avait offertes « juste après leur mariage »… C’est, de tout son attirail à coquette, ce à quoi elle tient le moins, pense-t-elle. Le bijou passe de mains en mains, avant de lui revenir, en cadeau, de celles d’un très galant diplomate italien, par ailleurs très bon danseur de valses. Ce sont bien les mêmes, et pourtant ça n’a plus rien à voir. Cette fois, elle donnerait tout au monde pour les garder. C’est qu’entre temps, Mme de… a un peu changé. Elle a appris la valeur sentimentale des choses. Elle était superficielle ? Superficiellement seulement. Comme l'ambiance de l'époque. Comme la caméra, qui dessine des arabesques infiniment raffinées dans le temps et l’espace. Comme les personnages, et comme les dialogues, et comme la paire de boucles d’oreilles. Ils dansent tous très bien la valse à travers les pièces et à travers les coeurs. Les diamants en forme de coeur, ou les coeurs en forme de diamant…
Antonio est rentré dans la gendarmerie principalement, semble-t-il, pour le prestige supposé que l'uniforme confère auprès des dames. Le poil qui blanchit mais le coeur toujours vert, il trimballe ses galons, sa moustache et sa guitare au gré de ses affectations dans l'Italie profonde. A Sangliena, petit village (imaginaire) haut perché où il débarque, deux demoiselles retiennent son attention : une sauvageonne dévergondée qu'il laisse généreusement à son benet de subalterne, et une sage-femme plus mûre mais non moins gironde, qu'il trimballe généreusement partout sur son vélo -visiblement, il n'a que ça à faire. C'est un peu Don Juan chez Don Camillo, sans la dimension politique ni métaphysique - ni quoi que ce soit d'autre que pittoresque, d'ailleurs. Du pain et des jeux (de séduction) : tout ce que les italiens ont toujours aimé. Quant à la fantaisie, c'est à peu près celle de mes grands-parents.
Un très jeune couple rêve d'amour le temps d'un été au bord de l'eau, avant de devoir faire face aux difficultés de la vie quotidienne. Dans le rôle du petit animal sauvage, sexy et pas farouche, en France on a eu B.B., en Suède ils ont eu Monika - Harriett Andersson. "Monika", c'est l'irruption de la jeunesse, de la sensualité et d'un rêve de liberté dans le cinéma. C'est aussi la découverte d'un jeune réalisateur nommé Bergman (qui n'en est pourtant déjà pas à ses premiers essais quand il tourne ce film), à mi chemin entre le réalisme et le symbolisme. A l'époque, tous les cinglés de cinéma sont tombés amoureux de Monika.
Avant même le drame, elle est déjà tout en noir et pleine d'épingles, Thérèse, comme un papillon dans la vitrine de sa boutique de tissus. Un mari toujours au lit (mais uniquement pour dormir ou se faire soigner), une belle-mère comme on les craint toujours sur le dos : on la plaint, Thérèse. Alors, le collègue italien à biscottos, on le voit arriver comme les petits chevaux auxquels le mari ne cesse de jouer : avec ses gros sabots. Le drame est sur les rails... Pas très nouveau, pas très étonnant : un médiocre drame de la médiocrité. Une espèce de ressucé de la Bête humaine plein d'humains très bêtes. Sans oublier le matelot, qui sonne toujours deux fois. Zola a sans doute vu pire. On a vu mieux mais ça n'a rien de déshonorant.
L'homme (se réveillant dans la voiture) : "Where are we ?". La femme (au volant) : "I don't know exactly !". Tout est dit. Où sont-ils, effectivement ? Quelque part en Italie, quelque part dans leur vie, à côté de leurs pompes anglaises. Le prétexte du voyage, c'est la vente d'un héritage. Le résultat, c'est la confrontation avec eux-mêmes, face à face. La femme en profite pour visiter les musées et les rues de Naples. L'homme tente un séjour à Capri. Leur couple, c'est fini. Pas à la hauteur de ceux qui gisent encore sous les cendres de Pompei. Et pourtant, le Vésuve fume encore... Voyager en Italie, c'est prendre l'éternité en pleine tronche. Le film est un hybride de parcours initiatique et de documentaire sur la vie à deux. Un alliage étrange qui fait des étincelles, la rencontre inoubliable de l'eau et du feu.
C'est la même histoire, la même musique et c'est tout différent. C'est pendant World War II, Carmen tricotte des parachutes pour les GI, (Don) Jo(s)e est un postulant-aviateur qui a du mal à décoller et l'Escamillo de service est un taureau des rings. Les chansons ont été un peu reliftées, mais pas trop jazzy pour autant malgré la distribution all blacks. C'est tout différent mais, ici comme ailleurs, dès que Carmen passe, il y a de l'électricité -et du beat- dans l'air. C'est presque étonnant à quel point on jurerait que l'original est un plagiat par anticipation. La passion serait-elle l'ultime liberté des déclassés..? C'est tout différent mais c'est la même histoire.
Un décor de théâtre, un sombre complot en vase clos, un scénario à la Colombo, avec mondains pervers et objets fétiches dans les rôles principaux : c'est tout ce qu'il faut à Hitch. Fidèle à son dicton qui veut que meilleur est le méchant, meilleur est le film, il case là une des pires crapules les mieux habillées de son cinéma : un ambitieux opportuniste, faux-cul et manipulateur : bref, un vrai metteur en scène. Il est marié à quelqu'un à sa hauteur : une dame très élégante bien qu'un peu garce et hypocrite sur les bords -capable de tuer un homme avec ses jolies petits bras et ses ciseaux de couture, tout de même. L'un veut tuer l'autre, mais l'autre a l'art de tout gacher. Que le fin mot de l'histoire dépende d'une clé volée dans le porte-monnaie de la dame n'étonnera que ceux qui ignorent tout de la psychanalyse.
Ca commence le lendemain matin de la dernière nuit du précédent : une vraie suite, quoi. Mais comment relancer les affaires de coeur, apparemment bien stabilisées à l'issue du premier épisode ? Bon sang mais c'est c'est bien sûr : instiller un peu de jalousie là-dedans, à coup de quiproquos (plus ou moins) bien sentis. Un peu de comedia del arte (mais pas trop quand même : faudrait pas que les filles prennent goût au spectacle non plus !), un peu de superstition tournée en dérision (mais le bon père est toujours bien bon !), un peu de morale bien pensante (la jolie sage-femme qui a retrouvé son amour de jeunesse n'a plus qu'à reboutonner son corsage !). Bref, après un peu de pagaille (et de pasta) passagère, tout rentre finalement dans le meilleur des ordres possibles. Difficile d'être très drôle sur de telles bases...
Le meurtre mode d'emploi selon sir Alfred. Jeff a la jambe cassé et le platre qui le démange. Alors, il fait comme tout le monde : il regarde par la fenêtre dans la cour de l'immeuble en face de chez lui. Et il voit tout -ou presque : les étapes de la vie, les saisons de l'amour, les heurs et malheurs des hommes. Le reste, quand son infirmière et sa fiancée lui en laissent l'occasion, il a tout le temps de l'imaginer (ça tombe bien : il a beaucoup d'imagination !). Hitchcock invente le thriller en pyjamas, le huis clos avec vue sur le monde, la tragédie humaine dans une maison de poupée -bref, il ré-invente (une fois de plus) le cinéma.
Elle adore l'opéra. Elle est belle comme une actrice, noble comme une héroïne et elle vit à Venise qui, même occupée par les autrichiens, est le plus beau décor du monde. Elle a un cousin qui résiste avec panache et un mari qui collabore avec veulerie. Autrement dit : elle est mûre à point pour un destin de Bovary de 1ère catégorie. Sûr qu'elle ne demanderait pas mieux que de s'abandonner au premier uniforme ennemi à jolie figure venu. Il vient, et il est beau. Ah l'amour... impossible, interdit si possible, c'est ce qui fait les meilleures histoires. Mais tout de même, il abuse un peu, des fois, le bel officier. Il a besoin de sous. Tout de même, il a l'art de faire avaler les couleuvres. Jusqu'au trognon, A l'opéra aussi, les (meilleures) histoires d'amour finissent mal (en général). Elle n'a pas tiré le bon rôle, elle n'a droit qu'au malheur et à l'humilation. Elle va tout perdre, elle a tout perdu. Sauf, comme les meilleures tragédiennes, l'art d'être à la hauteur de toutes les trahisons qu'elle s'est déjà faites à elle-même.
Déjà plus si jeune et une étoile qui jusqu'à présent n'a ébloui personne : c'est l'apprentie chanteuse Esther Blodgett (en plus, impossible de caser un nom pareil en tête d'affiche). Dommage, la Star Ac n'existe pas encore. Mais elle tombe, en la personne de Norman Maine, sur un protecteur qui eut, un siècle avant, son heure de gloire à Hollywood. Maintenant, il a quelques beaux restes mais fréquente surtout les bouteilles de whisky. Il est un peu passé de l'autre côté de la pente... A eux deux, il vont pourtant trouver la formule magique du succès -à défaut de celle du bonheur. Un peu mélo et longuet à mon goût, mais avec quelques morceaux fulgurants et savoureux (le tour du monde dans le salon est mon préféré).
Frankie rentre au pays avec son bras de chair en or. Pourquoi en or ? Trois pistes simultanées : deux au passé -c'était le meilleur distributeur de cartes des tables de poker du coin, c'était le plus camé aussi- et un au présent de l'espoir -il a appris la batterie de jazz en prison (la musique, épatante, est devenue un standard). Frankie traîne aussi quelques autres casseroles de sa vie d'avant -mais je raconte pas tout, parce que tout est un peu trop too much, dans ce film. Le naturalisme social et le drame conjugal sont poussés un peu loin, aussi. La démo est lourde. Gonflée pour l'époque, sûrement, et pour toutes les époques. Portrait de l'humanité en état de dépendance qui guette, impatiente, l'heure de s'envivrer. De dope, de sentiment ou de musique, à votre guise...
On en prend d'autres (actrices, décor, réalisateur), et on recommence -en moins bien. Dans ce quasi remake paresseux du numero uno, Antonio, seul pilier encore en place est passé de la gendarmerie à la police municipale. Il a perdu (un peu) en prestige, quoique -toujours un bel uniforme et rien d'autre à glander que regarder passer les filles. Innovations : on est passé à la couleur, on a déménagé en Sicile, au bord de la mer, dans le village natal du héros et on lui a déniché un frangin prêtre, histoire de bien clarifier les enjeux dramatiques et moraux de l'affaire. Sinon, la typologie féminine ne s'est guère nuancée (bigotte coincée ou dévergondée affriolante, à votre guise, on n'a rien d'autre en rayon) et la subtilité du scénario pas des masses enrichie (plutôt l'une ? non plutôt l'autre !). Plus grand chose à croûter sur ces pains-là...
On pourrait faire une thèse sur les symboles sexuels chez
Billy Wilder (ça a sans doute déjà été fait -sinon, j'ai raté ma vocation !) : mouvements involontaires du pouce, problèmes de tuyauterie et de bouteilles à déboucher, trappes cachées, démangeaisons, torticolis et courants d'air : un vrai artiste en allusions, sous-entendus et contournements de censure. Son héros préféré, l'Américain moyen, est ici encombré d'une imagination débordante et d'une bombe -pardon, d'une blonde- en voisine du dessus. En plus, il vient d'envoyer sa femme et son fils en vacances et, comme tous les Américains moyens, cultive avec soin son complexe de culpabilité. Le mythe est à portée de main, c'est beaucoup trop pour un Américain moyen.
L'empereur est inconsolable. Il pleure son épouse, son grand amour, son seul amour. Depuis qu'il l'a perdue, il n'aime plus que l'art. Mais sa cour s'occupe de lui : on lui présente plus ou moins discrètement toutes les jolies jeunes filles du royaume. Un jour, il rencontre ainsi tout à fait fortuitement la jolie Yang. Ce sera sa nouvelle épouse, son grand amour, son seul amour. Avec elle, il connaît le grand frisson de sa vie quand, un soir de nouvel an, il se déguise en homme normal pour aller faire la fête dans la rue au milieu des hommes normaux en mangeant des brochettes. Le reste du temps, il n'aime que l'art, et ça tombe bien : elle aussi. Ils vivent comme dans une série de tableaux vivants, au milieu de jolies couleurs. Quel dommage que la famille de la dame ne soit qu'une bande d'arrivistes corrompus. Faudra payer pour ça, quitter le beau décor. Pas facile tous les jours d'être un grand empereur, ou un grand artiste.
"T'as trouvé le trou ? Le grand ?" C'est la première réplique du film. Archie s'adresse au type chargé de réparer la toiture de sa maison en ruine, mais on soupçonne déjà qu'il a autre chose en tête. D'ailleurs, il s'empresse aussitôt après d'agrandir un autre trou, dans le mur d'une chambre de sa maison en ruine, pour y observer en douce sa jeune épouse endormie dans son lit d'enfant qu'elle est encore. Et ça ne fait que commencer, de toute façon le film entier ne parle que de ça, ne pense qu'à ça, ne montre que ça, tout en faisant semblant de s'occuper d'autre chose. Du Sud profond, par exemple, et de ses plantations de coton -et de ses filles à la peau aussi blanche et douce que le coton. Ou alors de la rivalité économique entre les producteurs locaux, modèle fraichement immigré ou modèle vieux propriétaire déclassé -et de celui qui plait le plus aux filles. En fait, la seule question qui préoccupe tout le monde, c'est : qui aura le droit de jouer le premier à la poupée avec la fille du lit d'enfant ? Les hommes, dans leur cour de récré pour grands...
Une grande saga familiale qui voudrait, sans doute, être pour le Texas du XXème siècle ce que fut Autant en emporte le vent pour la Georgie du XIXème. 30 ans de vie commune, donc, pour Jordan, son plat pays et ses miliers de vaches, et Leslie, recrutée à Washington, un seul cheval mais de beaux yeux. Dans le rôle du méchant (successivement) : une belle soeur, quelques bons vieux préjugés racistes ou machistes, le temps qui passe... Dans le rôle, plus inattendu, de l'autre qui dérange (un peu), un marginal parvenu qui mettra 30 ans à comprendre que l'argent ne fait pas le bonheur. James Dean, de toute façon, joue dans un autre film. La civilisation vient de l'Est, et des femmes. Pour la richesse, descendez au sous-sol. Ca lorgne pas mal du côté de Douglas Sirk (surtout Ecrit sur du vent et Imitation of Life) mais ça préfigure surtout Dallas (le feuilleton).
Encore un scandale, encore un procès dont Londres est le théâtre. Personne n'est mort, mais il s'en est fallu de peu. Il s'agit de savoir qui, des trois girls de Barry, dit la vérité. Ensemble, ils ont dansé sur les scènes de tous les cabarets d'Europe. Mais laquelle des trois avait sa préférence, qui était la chouchoute secrète ? Bien sûr, c'était la française libérée, sa très intime partenaire de répétitions qui s'éternisaient. Evidemment, c'était l'anglaise portée sur la bouteille, qui connaissait ses manies de très très près. Of course, c'était la discrète américaine intello-bio, grande consommatrice de fruits et légumes. Trois visions de l'amour, trois versions de la vie (mais on ne saura jamais qui a gardé la montre). Un Rashômon glamour et rigolo qui ne sème le doute que pour récolter le tempo.
Dans le bus, il a encore son uniforme de soldat. Il revient de la guerre avec pas mal d'amertume dans ses bagages, et une fille collée à ses basques depuis la nuit d'avant. Il revient « chez lui » mais il a pris de la bouteille, toutes sortes de bouteilles. Son frangin n'a jamais bougé. Il devait être un peu planqué, maintenant il tient la banque. Lui, il a déjà publié un livre et il voudrait faire écrivain, encore. En fait, il veut tout : la respectabilité et l'encanaillement. Il drague la prof de littérature locale, tout en sympathisant avec les joueurs de poker. C'est le genre de ville un peu perdue mais pas trop, où tout est possible et tout est coincé en même temps. Où tout change mais où tout le monde fait comme si rien n'avait changé. Où on peut tout réussir et (encore plus facilement) tout rater. L'Amérique, en un tout petit peu plus petit. Qui suis-je, qui j'aime, quoi faire de ma vie ? that is the question, that is the big question... And this is a big film.
New-Orleans, années 30. Un journaleux qui a déjà perdu quelques plumes trouve le sujet en or de son prochain papier. Il fera le portrait d'une des troupes les plus minables qui traine dans le coin pendant le carnaval : un aviateur ex-héros de guerre, une ex-fan devenue sa femme, et le mécano dévoué, ex-prétendant de Madame. Il y a un petit garçon aussi, mais on ne sait pas trop qui est son père. Il sont là pour participer à des compet' aériennes, sortes de manèges pour grandes personnes où la queue du Mickey ne vaut pourtant pas tripette. Rien que des has-been en deuil de leurs espoirs passés, fâchés avec la gloire qui leur était promise, ivres de leurs rêves brisés. Avec le journaleux, la ronde à trois devient une ronde à quatre, qui ne résoud pas pour autant la quadrature du cercle. Un petit bijou qui démontre une fois de plus que le mélo, c'est de la tragédie déguisée en farce de foire.
A la fin des années 50, déjà, les djeun's, comme on ne le disait pas encore, posaient problème. Toujours à traîner dans les cafés, à boire et à draguer, au lieu d'avoir envie de bosser comme tout le monde. Parfois, ils faisaient des boums dans le château de leurs parents toujours absents, et manifestaient leur révolte en vidant la cave et en couchant avec n'importe qui dans le lit des parents toujours absents -l'horreur. En ce temps-là, déjà, venir de la banlieue était infamant, mais parce que ça voulait dire à l'époque porter une cravate et crêcher à Neuilly -l'horreur. Décidément, il y avait bien quelque chose de pourri au royaume du cinéma français : ces jeunes-là ont déjà mille ans, ils n'ont pas l'air de croire à leur cynisme. On ne prédit aucun avenir intéressant aux acteurs : à part au second rôle à longue figure, qui s'empressera de fuir cette galère au théâtre, et à un quasi-figurant à grandes oreilles qui ne tardera pas à passer à l'ennemi, dans le camp de la jeunesse qui se filme elle-même. Le film d'un vieux ronchon donneur de leçons.
Une version possible : un homme est obsédé par une femme, parce qu'elle ressemble à une autre, une qui l'avait fait tourner en rond et en bourrique dans les rues de San Francisco avant de se suicider (parce qu'elle-même était obsédée par une autre femme morte un siècle auparavant). Une autre version (pas plus simple) : les trois femmes n'en font qu'une, ou peut-être deux. Une autre : c'est l'homme qui a tout inventé - ou tout rêvé (comme dans Laura), ou tout mis en scène... Vertige de l'amour et de la culpabilité, spirale du temps et du désir : bienvenue au pays des fantasmes de Mr. Hitchcock ! On y tutoie des abîmes dangereux et sublimes, souvent blondes : très très haut dans mon Panthéon personnel.
Roger Thornhill, publicitaire new-yorkais surbooké mais sans histoires, est pris pour un certain Geoges Kaplan, ce qui lui vaut d'être kidnappé par une bande d'espions qui ne lui veut pas que du bien -et lancé dans une histoire de fous. Plus tard, c'est lui qui les poursuivra, de New-York à Chicago direction Rushmore (north by northwest of course), en se faisant passer pour Georges Kaplan. Les rôles s'inversent et s'échangent sans cesse dans ce cauchemar délicieusement emberlificoté où un homme finit par en devenir un autre. Roger devient donc Georges, endossant une identité inventée de toute pièce (au cinéma, on s'appelle ça un personnage), pour vivre une autre vie que la sienne (au cinéma, on appelle ça un scénario). Ce film est un musée du cinéma à lui tout seul, tant il enchaîne les scènes d'anthologie : le meurtre aux Nations Unies, l'attaque d'un avion en rase campagne, la poursuite sur les têtes du mont Rushmore, le train s'enfonçant dans un tunnel... Une histoire de fous relookée en film d'espionnage glamour, à revoir régulièrement comme on rend visite à un vieux pote délicieusement pervers.
C'est l'histoire d'un petit mec qui voudrait bien devenir grand. Attention, le décor a de l'importance : Angleterre, province laborieuse, au sortir de la guerre. Joe, le petit mec, vient du fond du trou du prolétariat. Même pas héros de guerre, mais belle gueule bien remplie, de l'ambition et une haute opinion de lui-même. Il vient de grimper comptable respectable, mais ne compte pas en rester là. D'autant que le boss upper class du coin à une fille à marier. Pour Joe, ce serait presque du gâteau s'il ne contactait un déplorable attachement contre-productif pour l'épouse française délaissée du gougeat local -Simone, dans le rôle qui lui vaudra son Oscar. L'art de gagner sa Place au soleil tout en perdant à peu près tout le reste a rarement été servi avec autant de rage et d'énergie noires.
Alberto, le veuf du titre, n'est en fait pas en mal de femmes. La vraie -l'officielle- est riche, brillante et cynique, et en a marre de payer avec sa fortune perso les pots cassés de ses projets foireux. L'autre -l'officieuse- est jeune, jolie et pauvre, et voudrait bien bénéficier (encore plus) des potentiels bénéfices desdits projets. La femme et l'argent, donc, les deux pôles de la vie d'Alberto (et pas que), dans une histoire de vases communicants avec dérivations multiples. Précisons au passage que le bonhomme est chef d'une petite entreprise de fabrications d'ascenseurs -ce qui montre bien son ambition (d'ascension) sociale- mais que ces derniers ont la fâcheuse habitude de causer de fâcheux accidents, ce qui l'empêche de payer ses ouvriers en grève, mais pas de promouvoir son douteux ingénieur en chef. Ce qui l'oblige, aussi, à avoir recours à divers subterfuges pour remettre la machine en marche... C'est un peu toute l'Italie qui est en panne dans ce film -à part son cinéma (surtout ses comédies sociales), qui commençait alors une fulgurante ascension dans l'estime des cinéphiles.
Michel Poiccard est aux abois, traqué par la police. De toute façon, il l'a bien cherché. Dès le début, il a tué un flic et il a préféré la vendeuse du "Hérald Tribune" à celle des "Cahiers du cinéma"... Deux erreurs fatales. Il voudrait ressembler à Bogart, il n'aura droit qu'au destin maudit de ses personnages. Quelques notes jazzy obsédantes rythment ses dernières bravades inutiles. Godard filme le Paris qu'il connaît : les cinémas des Champs Elysées, les cafés et les chambres de bonne. Il y case ce qu'il connaît aussi fort bien : une intrigue à l'américaine sur un vague scénario de série noir. La greffe prend grâce à un jeune inconnu à grandes oreilles qui nous balance en face : "si vous n'aimez pas, allez vous faire foutre !". Une grande vague (nouvelle) d'insolence et de liberté.
Ca se passe dans l'immense immeuble d'une compagnie d'assurance new-yorkaise. Les chefs sont en haut, ils disposent de grands bureaux individuels et de plaques à leur nom. Les employés ordinaires sont en bas, ils travaillent côte à côte sur d'interminables files de bureaux anonymes. Le pouvoir, l'argent et l'arrogance sont réservés aux uns, l'exploitation et la servilité aux autres. Jack Lemmon incarne un petit employé des bas étages qui a l'espoir de sortir du rang parce qu'il daigne prêter son appartement à ceux d'en haut en mal de garçonnière discrète. Shirley Mac Laine est une fille d'ascenceur (social ?) courtisée par les hautes sphères. Ce sera dur de rapprocher ces deux-là parce que l'amour, aussi, est plutôt réservé aux étages supérieurs... Une comédie grinçante et amère qui est aussi une critique sévère de la corruption "à tous les étages" de la société. Jubilatoire, drôle et intelligent.
Anna aime sandro qui aime Anna, tout en ayant l'air de s'ennuyer à mourir. Anna s'éclipse en douce, Sandro la cherche un peu, mais il a déjà trouvé Claudia qui était l'amie d'Anna. Claudia aussi cherche Anna et finit par trouver Sandro pas si mal. Ce film, c'est comme un brouillon qu'on raturerait devant nous, pour en ajouter ou en retirer un personnage. Pour les envoyer d'un côté, et puis finalement de l'autre. C'est aussi l'histoire d'un crime parfait : l'assassinat en direct d'un amour, et la naissance d'un autre qui ne vaut guère mieux. C'est un peu Stromboli et Voyage en Italie remontés à l'envers, comme en roue libre, en ayant l'air de s'en fiche mais avec la trouille (de ne pas être à la hauteur de sa vacuité) au ventre. Les paysages naturels et les couloirs des résidences sont d'une profondeur vertigineuse. L'abîme vide des êtres qui y déambulent aussi.
Au début, un type poursuivi, de nuit, par des malfrats, s'arrête 5mn pour papoter joies matrimoniales avec un inconnu qui lui a tendu la main. Le polar prend, déjà, le chemin des écoliers. Et puis, le type repart dare-dare aller plutôt emmerder son frangin. Le frangin est, comme le héros de Detour, pianiste de bistrot. Mais, lui, c'est aux autres qu'il porte malheur. Aux femmes surtout. Le film sera l'occasion de faire le tri entre les vrais et les faux frères (les vrais Saroyan Brothers s'appellent Edouard, Richard, Chico et Fido...), mais contribuera pas mal à embrouiller les genres : il entretient l'art subtil de filmer les choses sérieuses comme des conneries, et les conneries comme des choses sérieuses. Tarentino l'a sûrement regardé en boucle, et c'est impossible de le lui reprocher.
Holly et Paul habitent à la même adresse new-yorkaise, mais pas le même appartement -enfin, la plupart du temps. Il est gigolo d'occasion, elle est postulante croqueuse de diamants. Elle a un chat qui ne doit pas non plus en être à sa première vie. Parce qu'ils ne sont pas vieux, Holly et Paul, mais ils trimballent déjà pas mal de casseroles. Ils ont raté quelques virages, ont changé de route plusieurs fois et ne savent plus où ils en sont. Ils n'arrêtent pas de perdre leurs clés. Ils trainent leur mélancolie d'enfants gâtés abandonnés dans l'anonymat de la ville, dans la solitude de leurs Partys surpeuplées. Mais la surprise de l'amour atteint parfois les coeurs les plus blasés et les jeunes gens les plus vieux.
Le Cid, quand on est français, on connaît : on sait qu'il cause l'alexandrin couramment, qu'il souffre de cruels dilemmes incurables et on se souvient vaguement d'une querelle avec trois unités. C'était qui, celles-là, déjà ? Bizarre, il n'en est pas question ici. Pourtant il a du coeur, aussi, ce Rodrigue. Il aime aussi une Chimène, et tout irait pour le mieux si les beaux-pères ne s'avisaient de gâcher la fête. Le tout est traité en peplum tardif, dans un Moyen-âge ibérique pré-jihadique sous influence shakespearienne. Pas sûr que Gérard Philippe y retrouve son pourpoint. La morale est claire : ô rage, ô désespoir, le pouvoir et l'héroïsme vont rarement ensemble. Le Cid a choisi son camp, mais il n'aura droit qu'à une victoire post-mortem. Mais aux âmes bien nées, la gloire peut bien attendre le nombre des années.
Chez M. JLG, la femme est une femme est un petit animal charmant. Un peu pute, un peu conne, mais tellement charmante. Pour lui plaire, on a le droit de l'insulter un peu, mais gentiment. Elle a l'habitude. Pas fichue de faire correctement la cuisine, mais capable de répondre. Le seul vrai problème est que, cette conne, elle n'attend que de se faire épouser et d'avoir des enfants. En cas de refus du compagnon officiel, elle peut demander ça au premier voisin venu. J'vous jure, des fois. Et en chantant, s'il vous plait. Et on est heureux, et on rigole, et le monde est coloré et enchanté comme chez Jacquot. Des fois, M. JLG oublie un peu, ce con, que l'humour et la légèreté ne sont pas son fort. C'est un homme est un homme.
Dans le jargon local, un arnaqueur est un type qui fait mine de mal jouer au billard pour faire monter les paris, et envoie finalement tout le monde au tapis en empochant la mise. C'est un sport dangereux, qui ne marche qu'une fois. C'est le métier de Fast Eddie : beau comme Brando, sorti de nulle part, pas d'avenir très clair. Mental fragile quand il joue pour de vrai. A priori, donc : une histoire de boules et de queues, une histoire de mecs. Heureusement, il y a aussi Sarah, séduite par Eddie -et par les alcools forts : belle comme Liz, sortie de nulle part, pas d'avenir très clair. Mental fragile quand elle aime pour de vrai. Une histoire de fuites et de combats, une histoire d'anges déchus.
Roland, dandy glandeur, rencontre Cécile, une ancienne copine devenue maman et putain, dans le passage Pommeraye. La demoiselle de Nantes se fait appeler Lola, couche avec un marin américain de passage tout en attendant Michel, son premier et son seul amour. Or, justement, Michel est en ville après 7 ans d'absence (tiens, c'est l'âge d'Yvon, le fils de Lola), tandis que plusieurs autres Cécile guettent le grand amour au coin de la rue. Y'a plus qu'à regarder chacune chercher son chacun. Demy, déjà, sait y faire. On peut faire confiance à ses talents de marionnettiste, pour ne pas emmèler les fils de son intrigue virtuose : il arrive à concentrer en 3 jours et en quelques personnages toutes les étapes de la vie d'un coeur. Initialement, il voulait faire une comédie musicale en couleur. Il se contente finalement d'une épure en noir et blanc, tournée sans son mais pas sans brio : à défaut de choristes, c'est la caméra qui danse avec les acteurs et la lumière qui chante avec la ville.
Silvio est un brave garçon. Pendant la guerre, il fait le bon choix : il se retrouve dans le camp des anti-fascistes et se terre bravement dans un moulin abandonné pendant des mois, aux bons soins d’Elena, paysanne locale qui a tué à sa place un méchant nazi. Reconnaissant, il embarque Elena à la fin de la guerre partager sa vie de journaliste romain intègre et misérable. Brave garçon il est, brave garçon il restera. Il consacre sa vie à dénoncer les puissants, même si les puissants le sont souvent plus que lui. Accessoirement, il passe aussi sa vie à reconquérir Elena, pas sûre, elle, d’avoir fait le bon choix, et plus prompte aux accommodements avec les transformations de l’Italie de l’époque. Une Italie décidément pas trop faite pour les braves garçons. Le film est, lui, infiniment drôle et cruel, pied de nez aux puissants et hommage désabusé aux braves garçons dépassés par les événements. Du tout meilleur choix !
Dans le Japon de 1945, c'est pas la joie. Shûsaku, survivant déprimé et tuberculeux, est décidé à faire de lui-même une victime collatérale de plus. Il trouve un endroit charmant pour ça : une charmante auberge au bord d'une source thermale. Mais la fille de la maison est aussi charmante et le voilà requinqué. Ce sera son havre, son refuge intermittent en cas de coups de cafard pendant les 17 ans qui viennent. Elle, ce sera sa maîtresse à temps très partiel, pendant à peu près la même période. L'homme vit dans le béton, la femme est une source. L'homme est veule, la femme ne sait qu'attendre, se sacrifier et pleurer. Et pas qu'au Japon de l'après-guerre. En fait, les vrais héros de l'histoire sont Eros et Thanatos, qui jonglent avec les destins de chacun, comme se tressent et se courent après les deux magnifiques thèmes musicaux du film. Sublime mélo, beau comme du Sirk et triste comme du Ophüls.
Dans la première partie, elle s'appelle Cléo Victoire. C'est une chanteuse à la mode et à robe à pois, une poupée un brin capricieuse et superficielle vers laquelle les regards d'hommes se tournent avec un brin d'insistance. Le problème, c'est qu'elle pourrait bien être très malade. Mademoiselle Victoire sent le boulet de la mort lui défaire le brushing. Alors, dans la deuxième partie, elle fait sa mue. Elle s'appelle Florence, elle s'habille en noir comme déjà en deuil d'elle-même, et elle se met à regarder les autres, avec un brin d'insistance bienveillante. Les artistes, les garçons de café et les soldats en permission, même ceux qui ne savent pas qu'elle chante dans les juke-box. En 1h30 de vie et de film, elle réussit à parcourir quelques kilomètres de pavés parisiens : quelques petits pas pour une femme, un grand bond dans son humanité.
Elle met à peine 20mn à dire au revoir à son ex -qui s'accroche un peu- et à quitter sa maison pleine de murs, de miroirs et de silence. Ca va mal pour les solitaires. Elle erre un peu dans les rues. Dans un temple grec où l'on adore un Dieu étrange, elle retrouve sa maman ; c'est la Bourse, au moins là, il y a un peu plus d'ambiance. Elle rencontre un golden-boy sans parachute. Ils traversent presque sans changer de visage le crac de leur vie. Ca va mal pour les petits porteurs. Ils errent un peu, mais ensemble cette fois. Il l'emmène dans son appartement plein de portes, de vitres et de silence. Ils s'amusent un peu. Mais ça va mal dans le monde, ce truc plein à ras-bord de signifiants qui ont égaré leur signifié. On étouffe en plein air. Total eclipse of the heart, comme chantait l'autre... (ai-je assez fait comprendre que c'était génial ?).
Eva est une garce, les hommes le savent depuis un bon bout de temps. Elle est libre et elle n'aime personne, même Tyvian devrait s'en douter. Mais bon, vous voyez ce que c'est : elle s'incruste chez lui par hasard, squatte son tourne-dique et sa baignoire, et l'homme ne se sent plus de joie. Pourtant, il a déjà tout ce qu'il faut : une petite Dolce vita, de brillantes fréquentations, une jolie fiancée. Il s'est même fait une réputation (totalement usurpée) d'écrivain à la mode. Eva, rien, mais au moins elle ne triche pas avec sa réputation. Le jazz remplit sa vie, grâce à l'argent des hommes. Mais l'homme en veut toujours plus, vous voyez ce que c'est. Jamais content, toujours frustré. Une femme qui se vend sans céder à son charme irrésistible, non mais vous imaginez ça possible, vous ? Le ver est dans le fruit de la bourgeoisie depuis un bon bout de temps.
Jules, germanique mélancolique, tombe en amitié avec Jim, dandy français. Ils fréquentent Shakespeare, les cafés et beaucoup de jolies parisiennes. Ils vivent à toute vitesse. Le jour où ils rencontrent Catherine, elle leur rappelle quelque chose comme l'image de la beauté. C'est la première qui court plus vite qu'eux : Jules l'épouse. Ils font bien de se dépêcher, la Grande Guerre arrive. Puis les fluctuations du désir et le tourbillon de la vie. Ce film est une merveille de drame léger. Il est raccord avec ces stock-shot des années folles qui y sont intégrés, et qui montrent la vie en accéléré, comme en courant, à 23 images/seconde. Il est raccord aussi avec le présent de la mémoire, le goût de la liberté et la saveur inoubliable du bonheur en allé.
Entraîné par un collègue un peu plus audacieux que lui, Jean, jeune banquier comme il faut, entre pour la première fois dans un casino à Enghein. Il a commis son péché originel, son grand horloger de père le chasse de chez lui. Mais il a gagné de quoi s'offrir des vacances sur la côte d'azur, avec pour viatique sa veine de débutant. Son nombre fétiche, c'est 17 (impair et manque), comme dans Pension Mimosas. C'est comme ça qu'il croise Jackie, blonde platine simili-Marilyn, imprévisible petite boule blanche poussée par on ne sait quoi à errer sans fin vers une case toujours provisoire. Jackie, évidemment, mise tout sur la roulette. Elle a un grain auquel Jean n'est pas si étranger qu'il le voudrait bien -grain que Demy a malicieusement mis sur leur deux joues, au même endroit (d'ailleurs, Jean ne l'aurait-il pas refilé, par hasard et sans le faire exprès, à des demoiselles qui l'ont au creux des reins -c'est fou !- ?). Ils se coltinent ensemble les montagnes russes de la passion et du jeu. Qu'ils gagnent ou qu'ils perdent, le film, lui, sec et impitoyable, raffle toujours la mise.
Mon premier est une jolie veuve. Mon second un séduisant divorcé qui n'a jamais été marié. Mon troisième une bande de Pieds Nickelés menaçants. Le Mc Guffin : un mystérieux magot introuvable... Indices : le générique rappelle Vertigo, et certaines scènes ressemblent furieusement à celles de Les Enchaînés. Mais non, ce n'est pas du Hitchcock. On se croirait parfois dans Un Américain à Paris, les chansons en moins. Et mon tout aurait pu finir comme dans Les 39 marches ou La Dame de Shanghai, avec un poil de démesure en plus. De toute façon, l'art de brouiller les pistes aura rarement été porté aussi loin. Et l'éloge du mensonge rarement été aussi élégamment illustré.
La fresque au budget pharaonique qui sonna le déclin de l'empire Fox : 4h de démêlées politico-amoureuses entre quelques hommes qui prétendent, en toute simplicité, aux titres de rois, empereurs et Dieux, et une petite femme qui ose leur tenir tête -et quelle tête ! Cléopâtre, donc, mélange de Margaret Thatcher et de meneuse de Crazy Horse, change de robe et de coiffure à chaque scène. Les hommes, eux, causent beaucoup -et plutôt bien, puisque Shakespeare et Mankiewicz se sont occupés de leur texte. Et puis, Richard Burton porte très bien la minijupe. Mais la patronne, c'est elle. Maîtresse de cérémonie (en plus de César et d'Antoine) hors pair, elle a compris que le pouvoir, c'est avant tout la pompe. Hollywood, qui a pris le relai en la matière, lui devait bien un aussi grandiose hommage.
Sans doute la seule fois où B.B. a été actrice (où, du moins, son absence de jeu a servi un vrai personnage). En blonde ou en brune-Louise Brooks, elle trimballe son mystère avec une opacité têtue, sous le regard désarmé de son mari-Dean Martin. La première scène est un "blason" devenu scène d'anthologie. Après, il est question de cinéma, de l'argent qui pourrit les relations humaines, de l'Ulysse d'Homère et de vie quotidienne. Il y a une longue scène de ménage, beaucoup d'effets de distanciation, quelques statues antiques et les plages de Capri. Godard fait son Voyage en Italie. La géniale musique de Georges Delerue arriverait à rattraper n'importe quel navet. En l'occurrence, rien à rattrapper, juste à ajouter un peu de mythe dans un film déjà mythique. Pour les non-initiés, c'est le Godard le plus visible. A aimer totalement, tendrement, tragiquement (les initiés comprendront).
C'est une Mme Bovary bengali, qui aurait du talent, Charulata. Son mari la trompe avec la revue politique dont il est le directeur, le rédacteur en chef, l'imprimeur et peut-être bien le seul lecteur. "The Sentinel", ça s'appelle. Dans la maison vide, dans la chambre vide, elle attend. Elle attend qu'on l'entende. Qu'on la révèle. Qu'on la regarde comme elle sait regarder, qu'on la lise comme elle sait lire. Qu'on l'aime comme elle sait... Alors, le premier cousin poète, chanteur et rêveur venu sera évidemment le bienvenu. Alors, le dernier frangin aux poches vides aura évidemment tout loisir de vider un peu plus les coffres de la maison vide. La sentinelle a des absences. Peut-on imaginer Mme Bovary heureuse ?
A Climax, Nevada (nulle part entre Las Vegas et Hollywood), il ne se passe jamais rien. Comme quoi : se méfier de la pub... Mais il suffit d'y parachuter, sous un prétexte mécanique quelconque, un crooner très célèbre et très libidineux pour que la population locale atteigne la température d'ébullition. Enfin, pas n'importe qui tout de même mais, pour Orville J. Sponner, natif névrosé aspirant à son 1/4h d'heure de gloire, artiste aussi inspiré que frustré, cette présence est la chance de sa vie. Et le pire risque aussi pour sa charmante épouse, fan de la première heure du crooner libidineux. Pour optimiser ses chances (c'est-à-dire garantir ses gains tout en limitant ses risques), Orville se lance dans le plan le plus foireux de sa vie qui, apparemment, n'en manque pas. Beethoven, le nombril de Polly et le pamplemousse de L'Ennemi public : tout est bon pour arriver à ses fins. Mais Climax est si petit que tourner le dos au pire est le plus sûr moyen d'y arriver. Comme quoi : se méfier de tout, de tout le monde, et surtout de soi-même.
Marnie est charmante. Dommage qu'elle soit un peu cleptomane. Et frigide. Marnie est folle. De temps en temps, elle voit la vie en rouge. Elle a des terreurs et une voix d'enfant pendant les orages. Son patron, lui, est amateur de bêtes sauvages. Il l'a connue ailleurs "brunette with legs". Il la trouve aussi pas mal en blonde. Il la présente à papa, l'emmène dans ses écuries, lui force un peu la main (et pas que la main). Il fait ce que Alfred aurait adoré faire à Tippy, si j'ai bien compris les biographes. Un drôle de cours de psychanalyse illutrée (en couleur) pour débutants, façon Dr. Ewardes à l'envers. Ou cauchemar à l'endroit.
Suite à un pari stupide, le professeur Higgins (bien aspirer le "H") décide de faire sauter toutes les classes (sociales) en 6 mois à son élève-cobaye Eliza Doolittle -fleuriste de rue. Comment s'y prend-il ? Facile : la spécialité du professeur Higgins, c'est la phonétique. Or, l'habit ne fait peut-être pas le moine, mais l'habit + l'accent des beaux quartiers et la langue chatiée fait facilement la lady ! Mais changer de langage, c'est changer d'identité (les écrivains le savent bien). Eliza Doalot l'apprend vite, tandis que l'ignoble Higgins doit apprendre, lui, que l'être humain parlant est doué d'un peu plus d'autonomie et de sensibilité que le perroquet. Suprêmement méchant, profond et allègre.
Une belle histoire d'amour (contrariée) sur fond de guerre (qui ne dit pas son nom), pleine de couleurs éclatantes (sous la pluie) et où tout se chante (même le désespoir). Comme tous les bons mélos, c'est surtout une histoire de désirs individuels et de bienséance sociale : il y a des épines dans les roses, des lézardes dans les murs et de troubles intérêts financiers planqués sous le vernis des conventions... Le riche prince de l'histoire a un sombre manteau et un sombre passé sur les épaules. Les parapluies ne protègent pas contre le malheur. Dans ce film, il n'est question que de cacher (un amour, une difficulté financière, une grossesse...) tout en en mettant plein les yeux et les oreilles. De l'émotion comme s'il en pleuvait (et il pleut beaucoup !) pour ne pas oublier d'en pleurer.
Dans les années 60, on pouvait apparemment être un parfait bourgeois respectable, écrire des bouquins sur Balzac et avoir une notoriété de rock-star. A moins que ce ne soit possible que dans les films de François Truffaut. M. Lachenay, en tous cas, est cet intello idéal. Alors, quand il rencontre Nicole, modèle tout aussi parfait de poupée-hôtesse-de-l'air, c'est comme si deux fantasmes se rencontraient. Etincelles. Sauf qu'ils sont dans la vraie vie, avec ses contraintes et ses petites contrariétés, et que les fantasmes ne sont pas très utiles pour affronter la vraie vie. Sauf que Balzac, ça ne suffit pas longtemps à alimenter les discussions avec une hôtesse de l'air. Sauf que Monsieur est lâche comme un mari, mufle comme un amant, faible comme un homme. Sauf que Nicole sait tout de même faire la différence entre une vraie rock-star et un intello un peu chiant. Grandeur et misère de l'adultère ordinaire, celui qui finira forcément tué par les détails -à coups de carabine. Les détails, comme antidotes au fantasme.
Il s'appelle François Chevalier. Il est charpentier, elle est couturière. Ils se sont mariés, ils sont heureux et ont deux beaux enfants. Ils vivent au paradis des pique-nique et de la banlieue parisienne paisible. Un jour pourtant, M. (preux) Chevalier rencontre dans la rue du chateau (de Vincennes) une postière tentante -et se laisse tenter. Un anti-vaudeville commence, tout en provocations calmes, en couleurs vives et en douceur. L'utopie d'un monde sans drame et sans crise, où l'amour s'ajoute à l'amour et le bonheur au bonheur. Le rêve-malaise d'une humanité harmonieuse et sans culpabilité, qui serait enfin douée pour ce qu'elle prétend aimer.
Pierrot s'appelle en fait Ferdinand, et c'est en clown bleu (et non blanc) qu'il va finir sa vie (et le film). Avant d'en arriver là, il quitte sa femme pour une autre, croise quelques cadavres et écrit son journal intime. Godard, lui, avec ce film, fait exploser les sons et les couleurs (et pas que ça, d'ailleurs). Il hybride tout : la comédie musicale, le film noir, le road movie, les sketchs de Raymond Devos, la BD et la poésie. Il reprend, récapitule, essaie de réinventer une fois encore le cinéma avec de la vie brute, sauvage. Il repart à zéro, encombré qu'il est de tous les matériaux hétéroclites de sa culture, de ses passions littéraire et cinématographique. Il réalise un magnifique documentaire sur son paysage intérieur, en chaos et en harmonie en même temps. Et sur la vie-l'amour-la mort, en chaos et en harmonie en même temps.
Maria chante et danse au milieu des montagnes verdoyantes, façon "petite maison dans la prairie". Maria veut devenir religieuse. Mais avant, elle doit faire un stage de gouvernante chez un capitaine à la retraite de 25 ans, veuf avec 7 enfants. Elle se révèle pour ce qu'elle est : la nounou préférée des culottes courtes (à bretelles, on est en Autriche). En vrai clône de Blanche-Neige, elle fabrique des fringues pour tout le monde avec les rideaux de sa chambre (syndrôme Autant en emporte le vent typique) et invente une méthode rose-express pour tranformer sa nichée de nains en chorale de compet' (on est à Salzburg). Le père-capitaine, pas fou, l'embauche gratis à vie (il l'épouse) et se révèle pour ce qu'il est : un héros patriote anti-nazi (on est à la fin des années 30). Pour la décomposition de la haute société pré-World War II, mieux vaut voir La Règle du jeu. Pour les mauvais souvenirs du nazisme en chansons, mieux vaut voir Cabaret. Pour tout le reste, ça se lasse voir.
Dans "masculin", il y a "masque" et "cul" ; dans "féminin" il n'y a rien (extrait du dialogue). Dans les bistrots, il y a des dragueurs, et des jeunes filles à draguer. Préoccupations politiques pour les hommes (la conscience ouvrière, la guerre au Vietnam), chansons et cosmétiques pour les femmes (Salut les copains, mais surtout ne me mets pas enceinte). Une mort violente tous les 1/4h. Portrait d'une France qui s'ennuie mais ne le sait pas encore. Portrait d'une jeunesse concernée, portrait d'une jeunesse qui s'en fout. Enfants de Marx et de Coca-Cola (extrait des intertitres). Des gestes, des choses, des sondages : inventaire avant liquidation. Dans féminin, finalement, il y a "fin".
Madame rêve. Elle rêve de traverser en calèche une forêt obscure avec son gentil mari. Elle rêve de se faire humilier, attacher, fouetter, violer. Avec la complicité du gentil mari. Elle rêve qu'il lui arrive quelque chose. Madame vit dans un joli appartement. Elle ne fréquente que des gens raisonnables. A part peut-être ce Husson, passeur pervers vers d'autres mondes. Un jour, cédant à de douces suggestions, Madame va se décider. Elle va s'adonner à un très respectable petit artisanat local. Madame va faire la pute. Mais en maison bourgeoise. A mi-temps, dans ses heures creuses, avant 5h. Pendant le turbin de son gentil mari. Là, c'est comme si elle pénétrait enfin dans les coulisses du monde. Et dans les siennes. Comme si elle vivait une autre vie, enfin. Madame rêve, madame vit ses rêves, carambolage garanti. Et malaise assuré chez tous les spectateurs, dont la vocation est de se contenter de rêver.
Ils sont cinq, ils vivent ensemble confortablement dans un grand appart bourgeois mais attention, ce sont des révolutionnaires -tendance Mao foncé. Des vrais, des pros, à peine camouflés derrière des activités officielles (étudiants, artistes…). Leur occupation principale est de se former et de s’entretenir dans la connaissance approfondie d’un inépuisable petit livre (rouge). Ils causent beaucoup, font un peu d’atelier artistique, n’ont pas l’air de beaucoup baiser. Des espèces de moines modernes, en fait. A vrai dire, on ne comprend pas grand chose à leurs débats, et c’est pas sûr qu’eux mêmes y comprennent quelque chose. Qu’ils répondent à un interviewer invisible (le maître du logis et du film, bien sûr) ou se coupent la parole, ils frôlent souvent le ridicule d’assez près, et ne donnent pas des masse envie de les suivre. Le film-tract-collage qui annonce mai 68 mais aussi les attentats terroristes, le pop-art, les communautés foireuses, l’activisme, les gueules de bois qui suivent et le naufrage de Godard. Respect (mais en rigolant en coin).
Au départ, c'est un de mes livres préférés : l'histoire d'un fugitif qui se réfugie sur une île déserte (mais hantée et maudite) et devient la victime (bientôt consentante) d'une espèce d'hallucination scientifiquement générée. Ce livre, c'est le mot de passe absolu de tous ceux qui préfèrent un autre monde -qu'il s'appelle vin, poésie ou vertu, littérature, cinéma ou rêves- à la réalité. Et il marque l'invention d'un nouveau type de paradoxe, quelque chose comme la superposition des espaces. Le (télé)film est très (peut-être trop) fidèle, avec sa voix off littéraire, ses fantômes futiles et rationels et son ambiance années folles décadante à souhait. On dirait du Resnais (un peu cheap quand même) : un plagiat par procuration (de l'Année dernière à Marienbad) ou par anticipation (de Je t'aime je t'aime ou de certaines idées de Mon oncle d'Amérique), autrement dit de certaines des meilleures hallucinations cinématographiquement générées.
Il faut une épidémie de varicelle et pas mal de hasards pour que Mark et Joanna se retrouvent à faire un bout de chemin ensemble (et en France). Après, ils ne peuvent plus s'empêcher de repasser toujours par les mêmes routes. Au cours de leurs vacances successives, toutes mélangées au présent de la mémoire, on voit défiler les panneaux indicateurs de leur histoire, les bornes kilométriques de leurs souvenirs. Au fil du temps, les marques de voiture et les brushing gagnent en standing (c'est comme ça qu'on arrive à s'y retrouver) ce qu'ils perdent en insouciance. L'architecte fait des lignes de plus en plus droites. La choriste fait de moins en moins entendre le son de son rire. Ils finissent même, bien sûr, par franchir les feux rouges et les lignes jaunes (qui, d'ailleurs, en France, sont blanches). Avec un sujet pareil, facile de filer loin la métaphore. Pas si facile de ne jamais quitter la route des souvenirs universellement partagés.
Attention aux faux amis : ce Walerian-là ne va pas dans l’espace et son île d’amour n’est pas aussi sexy que certaines des autres oeuvres qu’il fera plus tard. Là, c’est plutôt du film politico-anar en mode bricolo conceptuel, fauché mais jamais en manque d’idées. Dans l’île, donc, règne un dictateur-de-père-en-fils méfiant, jaloux, cocu (de-père-en-fils aussi, sans doute) et très bête. Ca s’est déjà vu ailleurs. Les moeurs y sont étranges et rudes. On suit la destiné de quelques autochtones : le roi, la reine, son cher maître d’équitation, quelques écoliers étourdis et un ex-bagnard ambitieux. Celui-là a été gracié de justesse d’une mort funeste, et il escalade rapidement les barreaux de l’échelle sociale par son ingéniosité en pièges à mouches. Ca, c’est nettement moins banal. En fait, les dictatures, c’est des endroits où tout peut arriver. Dans les films de Boro aussi, mais c’est plus amusant à vivre.
Claude Ridder ne va pas fort, il vient d'essayer de se suicider. C'est ce qui en fait le cobaye idéal pour une étrange expérience scientifique : un mini-voyage dans le temps, la possibilité de revivre une petite minute de son passé, il y a un an, quand il allait mieux. Les souris font apparemment ça très bien, mais elles ne racontent pas grand chose en revenant. Claude, amateur de Magritte et de bons mots (il a écrit un livre, sur le temps en plus), sera certainement plus intéressant. Alors, il se laisse entrainer dans un sous-sol clandestin par des gens en costards qui ont l'air très sérieux, il se laisse enfoncer dans un gros pouf rose simili-organique et le flash-back commence. Mais la fonction Replay a des ratés, la minute dure, repasse en boucle, saute ailleurs dans la mémoire de Claude. La tête de lecture bégaie, s'emballe, s'enraye. Les images se suivent et ne se ressemblent pas toujours -la faute à Catrine, surtout, son grand amour disparu. Et à quelques autres aussi. L'afflux de souvenirs dure finalement le temps d'un film dont il est le héros (toujours plein cadre, au milieu), ce qu'il a eu bien du mal à faire de sa vie. L'art de faire une grande fresque intime avec des petits morceaux de pas grand chose, une vie dans la tête d'un homme, sans doute pas beaucoup plus intéressant qu'une souris, mais avec des images, des mots et du temps en plus -du cinéma, quoi.
Quiconque a un peu joué aux échecs (et je ne prétends pas du tout être une spécialiste !) sait que, pour s'assurer le contrôle d'une case adverse et menacer la pièce qui s'y trouve, il faut que plusieurs de ses propres pièces soient en position de prise. Et qu'une partie est une manière de tisser et retisser un complexe réseau de positions de contrôle réciproques. C'est la base du scénario de ce film (et de sa forme, aussi, puisque le split screen y est utilisé pour transformer l'écran en échiquier). Deux grands maîtres s'y affrontent. Ils disposent chacun de pièces maîtresses, des plus belles motivations humaines : l'argent, l'amour, le pouvoir -et partagent la capacité de savoir s'en servir et le goût du risque. Mais ils sont irrémédiablement adversaires. La partie culmine, of course, dans une vraie partie d'échecs torride (la seule chose dont se souviennent ceux qui ont vu le film il y a longtemps). Le plaisir est esthétique, sensuel et cérébral. Réussite et mat !
George est le parfait jeune américain modèle 60ies : uniforme jean-tee shirt-baskets, bien éduqué mais pas super motivé par le mode de vie de ses parents, cool et sympa. Il vit à L.A., au milieu des derricks, avec une blonde qui se verrait bien en haut de l'affiche. Il a des potes cools et sympas qui jouent de la musique (les Spirit, pour les amateurs), d'autres qui donnent dans le journalisme underground. Ambiance peace and love. Un jour qu'il cherche des sous à taxer, il croise une fille en blanc qu'il prend pour Eurydice. En fait, c'est Lola. Elle est là parce que Michel, son prince charmant, a foutu le camp avec la belle de la Baie des anges. 24h de la vie d'un homme sans boulot qui, en quelques heures, perd tout ce qui lui reste, et que l'armée veut envoyer passer ses vacances au Vietnam. Mais il a trouvé Lola qui lui a rendu l'envie du bonheur, alors qu'elle ne savait pas elle-même où elle l'avait rangée. Keep trying, George. C'est la traduction en idiome local de la maxime éternelle des films de Demy.
Héron de Fois est étudiant, jeune, beau et idéaliste. Il veut voir la mer. Mais dehors, c'est la guerre de 100 ans : il mourra avant d'en voir la fin. En attendant, il se trouve une dame à aimer : Claudia, jeune, belle et idéaliste. Nos deux tourtereaux, babas dans un monde pas cool, essaient de s'y faire un nid. Dehors, tout n'est que sang, rage et barbarie : des illuminés, des puritains, des chevaliers rendus à l'état sauvage, des paysans morts de tout. Le service militaire n'a pas encore été inventé, mais on sait déjà très bien faire souffrir les jeunes gens qui s'aiment. Huston fait son Septième sceau post-68 : une ode à la jeunesse en collants, et à l'amour à réinventer en rêvant.
Au début, l'homme vivait dans des grottes. Un peu plus tard, il s'est mis un costume de marquis et a appris à danser le menuet -puis la valse- sans jamais cesser d'aimer la viande. Certains specimen en ont même fait leur métier : ils sont devenus bouchers. Et puis, est apparue la blonde hitchcockienne : belle, froide, inacessible. Quand elle débarque dans le Périgord, elle ne passe pas inaperçue. Et cinéphile, avec ça. Comme elle a vu Rio Bravo, elle sait qu'il faut se méfier des gouttes de sang qui tombent du ciel. Comme elle a vu L'Inconnu du Nord-Express, elle sait qu'il faut aussi se méfier des histoires de trains et de briquets qui trainent. Mais son propre film à elle restait à faire (merci M. Chabrol !). Cette transposition de M le maudit dans la province des années 60 n'a rien perdu de son tranchant.
Y a-t-il une vie après le mariage ? Telle est la question pour Antoine Doinel -celui des 400 coups et Christine -celle des Baisers volés. Christine donne des leçons de violon. Antoine, lui, teint des fleurs pour le marchand du coin, dans sa cour avec vue sur fenêtres. Mais, après avoir échoué dans sa tentative d'atteindre le "rouge absolu", il doit se reconvertir dans la manipulation d'Atalantes miniatures pour une compagnie américaine. Il devient papa, veut écrire un roman, s'intéresse aux femmes japonaises. Il pratique toujours la mauvaise foi et la dérobade avec grand art. Il a vieilli mais pas beaucoup grandi, comme le M. Hulot qu'il croise dans le métro. Comme une chronique du temps qui ne passe pas tant que ça.
Pasha est une provinciale complexée, une jeune femme persuadée quelle n'a pas grand chose pour elle, dans une petite ville qui n'a pas non plus grand chose à vendre. Doublement has been donc, avant même d'avoir commencé à vivre. Le film la prend quand il commence à lui arriver des choses. D’abord, un homme la remarque. Bon, OK, il est marié, velléitaire et pas très élégant, mais c’est un début. Pour la première fois, elle est choisie. Le meilleur reste à venir. Elle fait du théâtre amateur (le rôle de la sorcière !) et là, c'est carrément un metteur en scène de cinéma qui la repère. Cette fois, c'est pour jouer Jeanne d'Arc, une débutante idéaliste assez prometteuse, elle aussi. Ce film est l'histoire d'une transformation, donc, du moment où une chenille des champs se mue en papillon des villes. Du moment où un cinéaste découvre et invente sa muse qui s'ignore encore. Un film qui remonte à sa propre source, en douceur et en délicatesse.
L’ours vit en pleine campagne -en fait, à quelques kilomètres de Paris, mais il y règne perpétuellement un microclimat tellement normand que ça paraît très loin. Il exerce le délicieux et désuet métier de contrebassiste de l’ORTF et élève tous seul une ribambelle d’enfants -pas tous à lui mais on s’en fiche. Il porte des pulls à cols roulés et circule en 2CV, une vraie caricature de bobo hypster avant que ce soit vintage. La poupée habite seule un loft design et classieux, occasionnellement envahis de prétendants distingués et de gourous enfumés. Elle collectionne les toiles de maître et les ex-maris, a un corps à faire rougir sa baignoire immaculée. Un papa poule et une poule ultra branchée : deux France qui ne vivent pas dans le même monde. Le hasard et/ou le caprice d’un Dieu malicieux fait se croiser leur voiture sur une route de campagne. Elles se frôlent un peu trop fort. Les conducteurs mettront un peu plus de temps à faire la même chose, à croire que c'est pour ça que le cinéma a été inventé…
Dans le pays bleu, vit un roi très riche, grâce à un âne banquier (comme tous les banquiers). Il aime tellement sa fifille qu'il voudrait bien l'épouser. Ne cache-t-il pas une âme de bête, celui-là ? Comme cela ne se fait pas, la princesse -très belle- s'enfuit planquée dans la peau de la bête (l'âne, pas le père). Pendant ce temps, dans le pays rouge, un prince très charmant et très déprimé s'ennuit. Une fée des lilas high-tech et quelques stratagèmes permettent leur rencontre... Tous les contes donnent un mode d'emploi du bonheur. Ici, c'est clair. Les jeunes filles doivent avoir quelques peaux en réserve, avant de pouvoir montrer qu'elles sont belles à l'intérieur. Mieux vaut aussi pour elles savoir tenir une maison et faire des gâteaux. Les jeunes hommes seront bien inspirés d'écouter les roses, et de ne pas se lasser trop vite des pâtisseries. Les couples, alors, pourront se permettre de faire des projets ambitieux (faire des galipettes et fumer la pipe en cachette). Le bonheur (très flower power) du cinéphile, lui, est disponible à tout âge.
Zabriskie Point, c’est un coin paumé de la Vallée de la Mort, en Californie. Du désert jaune à perte de vue, un infini de sable gratiné au soleil. C’est là que se retrouvent Mark, étudiant contestataire et emprunteur d’avion occasionnel (pseudo Karl Marx, pour les flics) et Daria, employée-modèle-voire plus d’un entrepreneur audacieux (promoteur d’une station balnéaire en plein désert - une mauvaise interprétation de ces paradis artificiels dont parlent ses contemporains, sans doute). Ils y font l’amour-pas la guerre, en rêvant y être rejoints par tous ceux qui ont aussi jeté la clé (de leur maison bleue).
Bon, très bien mais ça s’appelle pas Vallée de la Mort pour rien et le road-trip-psychédélique movie ne se terminera pas très bien pour Mark. Daria, elle, enverrait bien tout valser (son patron et toutes ses babioles capitalistes avec) dans un feu d’artifice Pink Floyd final. Antonioni, lui, a 58 ans mais il se verrait bien à la pointe de la contestation hippie. Toujours dans les bon plans, les bons coups et les bons coins, Michelangelo !
Blanche est très belle et très convoitée. Elle est mariée à un respectable (mais pas très jeune ni très beau, pardon Michel) Seigneur, elle attire le regard du Roi himself, en visite, ainsi que du page fort joli garçon qui l’accompagne. Et même de son beau beau-fils. On l’aura (peut être) compris, ça se passe au Moyen-Âge. Sans frou frou et sans chichi, mais avec armes et bagages, dans une ambiance minérale austère de chateau fort à conquérir et de belle sauver (et le contraire). Conte cruel, drame pervers, histoire éternelle d’hommes qui doivent élire parmi eux le mâle dominant. Enfin, comme on est au Moyen âge, c’est pas vraiment une élection et le résultat est connu d’avance : à la fin, c’est le Roi qui gagne. Et le cinéma y a aussi un peu gagné.
Truffaut disait lui-même que ce film raconte Proust tombant amoureux des soeurs Brontë. Ca donne une bonne idée de l'époque, de l'ambiance et de l'importance de la littérature dans cette histoire. Autant dire que les longues robes, les voilettes, les missives enflammées, les sifflets de trains et les balades à bicyclette y joueront un grand rôle, comme dans Jules et Jim (c'est adapté du même auteur), en plus calme mais avec la même voix off racontant la même exquise délicatesse anachronique des sentiments. La femme est artiste de sa vie, l'homme court après l'art. Mais ce sont toujours les mêmes choses qui font peur et envie, qui procurent joie et douleurs. Proust tombant amoureux des soeurs Brontë -mais filmés par Truffaut.
DJ amateur de jazz, animateur de nuit sur la radio locale, Dave est la star de son bled. En Califormie, au bord de la mer, pas mal le bled (tellement que Clint en sera le maire, en plus d'en être la star, mais c'est pour plus tard...). Et, bien sûr, il les fait toutes craquer, facile. Il a bien une petite préférence pour Tobie, artiste quoique poupée Barbie blonde, mais elle est souvent absente. Alors quand Evelyn se présente, brune mais tout de même fan de première catégorie en mini-jupe, il ne se fait pas prier. Dommage, parce qu'Evelyn est aussi une harceleuse-schizo de première catégorie qui s'ignore (mais pas pour longtemps). Une vraie Norman Bates en mini-jupe. Jeune encore et déjà persécuté par les jolies femmes qui en veulent à sa virilité, le pauvre Clint ! Il résiste mais faut pas le chercher trop longtemps, quand même. Un bon film de genre avec une petite touche perso en plus (le jazz, filmé en direct dans un festival), facile.
Un gentil astro-mathématicien américain, marié à une jolie paire de jambes anglaises, en congé sabbatique dans le trou à bouseux où est née madame. Au milieu d'écluseurs de bouteilles, c'est le seul à porter un pantalon blanc et des lunettes. Pendant qu'il analyse la structure de l'univers dans son bureau, sa femme montre sa jolie paire de jambes aux ouvriers bouseux qui travaillent sur le toit de leur grange. Une souris et des hommes. Si au moins ils avaient vu Orange mécanique ou Délivrance, ils se seraient peut-être méfié, les jeunes mariés. Mais non, ils ne savent pas jusqu'où ne pas aller trop loin. Si bien qu'ils y vont. A la fin, ils ne seront plus capables de faire la différence entre ce qui fait plaisir et ce qui fait mal. A la fin, le gentil mathématicien aura un peu sali son pantalon et cassé ses lunettes.
Cours d'italien élémentaire à usage de businessman américain (stressé, cela va sans dire). Au programme : ethnologie des rites funéraires des îles du sud, bain de soleil et dîner forcé en amoureux... Rossellini avait pourtant prévenu : on croit faire un Voyage en Italie pour régler une affaire d'héritage, et on se retrouve face à l'éternité. Billy Wilder, lui, a plus de 2h devant lui et c'est un coquin. Il se perd dans les couloirs d'un hôtel géré par les descendants méditerranéens de Feydeau, infiltré d'autochtones trop typiques pour ne pas être vrais... Malgré de mauvaises dispositions initiales, le businessman apprend vite. Par exemple, que la traduction approximative mais correcte de "Avanti !", ça pourrait être "vas-y coco", ou encore "cours-y vite (il va filer...)".
Les chansons, ça peut aider à consoler les chagrins d'amour. Ca permet de ne pas craindre la pluie, d'espérer aller au-delà des
arcs-en-ciel. Mais de là à se confronter avec l'Allemagne nazie, c'est une autre paire de manchettes... C'est pourtant ce que tente ce film, à travers la petite histoire de Sally, chanteuse de cabaret et de son collocataire Brian, étudiant anglais, et de quelques autres. Evidemment, depuis l'
Ange bleu plus personne ne s'étonne de trouver, dans les cabarets allemands, des dames avec des jambes interminables. Mais les parenthèses musicales très désenchantées qui ponctuent le récit n'ont plus à offrir que leurs sarcasmes ironiques et grinçants. Les derniers petits ilôts d'innocences sont menacés par une grande vague brune. Chantons sous le 3ème Reich, pendant qu'il en est encore temps...
Allan (pas si) Felix (que ça) est de ceux qui rêvent de faire de leur vie un remake de Casablanca. Au moment où commence le film, il est en pleine déconfiture sentimentale, En fait, vu qu'il foire tout ce qu'il entreprend, il est plutôt bien parti pour suivre l'exemple de Nick (celui de Casablanca, justement) . Ses meilleurs amis, les Christie's, jouent au coach en essayant de lui refiler toutes les célibataires névrosées de Manhattan qu'ils connaissent (y'a le choix, pourtant). Mais Allan a un gros problème : son sur-ça (c'est-à-dire à la fois son ça et son surmoi freudiens) a la tête et la voix de Bogart et c'est pas commode tous les jours. Ecrit (pour le théâtre) et joué par Woody, mais officiellement réalisé par un obscur tâcheron : ça aurait presque pu être un pré-make de La Rose pourpre du Caire. Pas si mal pour un brouillon par procuration.
1, rue Jules Verne. C'était au temps béni où on trouvait, à Paris, des apparts vides de 120 m2 avec Marlon Brando dedans en cadeau Bonux. Jeanne passe par là, visite (l'appart), essaie (le bonhomme). Emballée, elle revient régulièrement. Dans leur île déserte, la petite française pimpante et le mâle américain vieillissant explorent leurs mystères. Lui en a gros sur la patate depuis le suicide de sa femme. Il est pas mauvais en français, le bougre, mais c'est son vocabulaire anglais qui impressionne ("God" et plein d'insanités qui ne sont même pas dans mon Harrap's). Chair triste, etc. Elle, on se demande comment elle supporte son fiancé-cinéaste exalté qui espère refaire l'histoire du cinéma rien qu'en la regardant. Le film qui inventa le genre psycho-mélo-érotico-intello-dépressif.
Au commencement était la pochade : Agnès et Catherine, enceintes toutes les deux, auraient involontairement suggéré le sujet à Jacquot jaloux : et si l'homme pouvait tomber enceint, lui aussi !? Aussitôt dit, aussitôt fait, Demy ne fait pas les choses à moitié (quoique). Le couple le plus glamour du moment, au lieu de glander dans son Olympe, se retrouve avec plus ou moins les occupations de ses parents (papa dans les autos, maman dans les shampoings), et l'aîné blondinet qu'il fut, c'est le fils de Michel Legrand qui l'incarne. Voilà déjà pas mal de perturbations en vue dans la Sainte Famille. Pour ajouter à la confusion des genres, il multiplie les seconds couteaux à l'identité trouble -mais c'est pour de rire. Le tract féministe déconnant et un peu désinvolte aurait pu être explosif, mais il fait un peu pchitt. Tout n'est pas, hélas, accompli pour les siècles des siècles. Mais pour le début des années 70, c'est déjà pas si mal.
Voyage en Italie, vers le sud, d'un nain et d'un géant. Le géant est un aveugle extralucide, grande gueule intarrissable, grand amateur de femmes, suprêmement insupportable. Le nain est un jeune militaire timide qui lui est affecté comme guide officiel et souffre-douleur attitré. Un Fanfaron blessé et sa victime de compagnie, embarqués pour une drôle de mission dont on ne sait rien, qui les mène sur une Terrasse crâmée de soleil, où ils retrouvent des collègues et une nuée de jeunes filles. Là, les masques grimaçants tombent, la souffrance de ceux qui ont renoncé à aimer affleure. Une comédie-mélo dopée à l'énergie du désespoir.
Voir un film de Cassavetes, c'est comme alller au cinéma pour la première fois : on n'a jamais vu ça, c'est comme dans la vie ! Le scénario n'est pas bien poli et lissé, les dialogues ont l'air improvisés (ils ne le sont pas toujours tant que ça), les scènes s'étirent au-delà du raisonnable. Il y a des gens devant nous, qui vivent et qui souffrent et ni eux ni le réalisateur n'ont l'air de savoir de quoi ils sont capables. A ce jeux-là, Gena Rowlands (la femme de Cassavetes) est la reine. Elle déborde de tendresse, elle en fait trop, elle est bouleversante, elle passe pour folle ; c'est notre voisine, notre cousine, notre soeur, c'est encore mieux et pire que dans la vie !
Elle est amoureuse, fauchée, en fuite de chez papa-maman. Elle écrit, elle écrit, elle écrit. La demoiselle a de qui tenir. Papa est le plus grand écrivain de l'univers et elle a, semble-t-il, pris un peu trop au sérieux ses leçons de romantisme. Aimer une fois pour toute, s'abandonner à en mourir : il l'a rêvé, elle l'a fait. Son plus beau roman à lui est aussi sa fifille la plus cinglée. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux (non, ça c'est pas de lui). Mais tout ça ne fait pas nécessairement le scénario le plus palpitant de l'univers : trop monotone pour étonner, trop cheap pour emballer. Isabelle se démène bien mais pour elle, la folie est un minimum syndical. Pour elle, sans doute que Truffaut était aussi prêt à tout mais ça ne suffit pas à faire le plus beau film de l'univers.
Marguerite, c'était la gourou de mon adolescence ; Le ravissement de Lol V. Stein un de mes livres cultes. Autant dire que je suis capable de tenir des heures devant un vide aussi plein qu'India Song... Nocturne indien, réception chez l'ambassadeur. Champagne, musique. Une femme passe de bras en bras. Un homme pur et maudit crie qu'il l'aime. Mélancolie ouatée, élégance du désespoir. Des fois, il y a des personnages ensemble dans le même plan, mais ils n'habitent jamais le même espace. Sauf quand ils dansent. Sinon, des paysages flottants, des bouts de conversation. Comme L'année dernière à Marienbad, ce film, c'est comme un objet qui serait quelque part entre l'écran et le spectateur. Ailleurs, avant. Les images en sont une projection partielle, les sons en sont une autre. La meilleure, c'est celle qui reste dans la tête,
Johan et Marianne, 10 ans de mariage, 2 enfants, couple modèle. Lui : parle bien, dit ne pas douter, se sent un peu enfermé. Elle : réservée, a peur de douter, ne se rend pas encore compte de son enfermement. En fait, le ver est déjà dans le fruit du paradis conjugal. A la première tentatrice venue, Johan se tire. Marianne pleure un peu, mais au fond c'est elle qui a la meilleure part. Ils se déchirent, se séparent, se revoient, se redéchirent. En fait, on ne les voit s'embrasser et se désirer qu'au plus fort de leurs scènes de ménage. Les corps ne veulent jamais la même chose que les paroles qui en sortent. Les années passent. Johan et Marianne, 10 ans de divorce, couple modèle. Un film de chambre avec vue sur les âmes par temps d'orage. Avec deux musiciens experts dans l'art du sentiment qui traverse un visage.
Monsieur aime les belles choses : sa maison, son épouse, les églises de Florence (où il l'a connue) et la fille qu'ils ont faite ensemble. Tout irait parfaitement dans le meilleur des paradis possibles s'il était un peu moins riche. Kidnapping de l'épouse et de la fille, demande de rançon, intervention de la police qui foire : il perd tout (sauf sa maison). Seize ans plus tard, il est toujours riche, de nouveau à Florence et face au sosie de son épouse décédée. On rembobine le film, la copie sera-t-elle meilleure que l'originale ? Ce remake sur les remakes pompe explicitement Vertigo, Rebecca, Marnie et quelques autres, en un poil plus pervers, dans l'esthétique kitsch des années 70 parfois au bord du ridicule (et pas toujours du bon côté du bord). Il se prendrait pas pour la réincarnation du gros bonhomme du cinéma, le
De Palma ? C est son obsession à lui...
Woody Allen joue Alvie Singer, un comique dépressif qui habite Manhattan (rien de bien surprenant, donc) ; Diane Keaton joue Annie Hall, une apprentie chanteuse aux goûts vestimentaires très personnels. Le temps d'une partie de tennis et d'une mémorable chasse à l'écrevisse dans une cuisine, ils deviennent amants. Elle a peur des araignées et fume des joints pendant l'amour. Il aime Bergman, est lâche et inconstant, mais aussi capable de grands sacrifices (comme d'aller se perdre quelque temps en Californie pour la retrouver !). Le film est une chronique constamment inventive, drôle, ironique et émouvante, de leur relation : ses hauts, ses bas, ses à côté... et surtout, ce qu'il en reste, après : des lieux à jamais marqués, des situations qu'on essait de reproduire (les écrevisses...), l'envie d'en parler et de la reconstruire en écrivant une pièce de théâtre. Comme presque tous ceux de son auteur, ce film raconte à sa manière sa propre génèse. Comme presque tous ceux de son auteur, il est excellent.
Dans le compartiment d’un train, Mathieu raconte à ses compagnons de voyage (qui, bizarrement, se connaissent tous : le monde est décidément petit), comment il en est arrivé à adorer et à détester une femme. En fait, vu qu’elle l’encourageait et se dérobait sans cesse, l’objet de son désir à lui n’est pas difficile à deviner. Il attrape très bien les souris et les mouches mais, avec elle, il a plus de mal. Il a l’esprit tellement obscurci qu’il ne voit même pas que cette femme aux deux visages a aussi, littéralement, deux incarnations (deux actrices se partagent le rôle, en alternance, sans logique claire). A vrai dire, vu que Fernando Rey est doublé par Michel Piccoli, on a un peu l’impression que Matthieu est double, lui aussi. Quant au monde autour, dont tout le monde se fiche, il est obscurci d’étranges attentats terroristes. L’obscurité, c’est comme la lumière : dans l’oeil de tous les spectateurs.
45-57 : quelques années dans l'histoire de la musique américaine. Quelques années dans l'histoire de l'âge d'or du musical. Quelques années dans la vie d'un couple désaccordé : une chanteuse à chignon et un fanfaron du saxo. Il fonce, elle dit non, elle cède. Il exagère, elle craque. Ils sont passionnés tous les deux, mais de musique avant toute chose -et pas de la même. Robert en impose en roi de l'impro toujours en mouvement, insupportable et charmeur. Liza épate dans le rôle de sa mère qui tournerait dans un film de son père. En Amérique aussi, tout finit par des chansons -même l'amour. Une tragédie en notes et en néons ; le brouillon ou le remake d'un film musical idéal qui n'existera jamais.
Une drôle d'histoire d'espionnage tragique, mâtinée d'humour anglais où, pour réchauffer un peu la guerre froide agonisante, on fait appel au bon vieil apartheid sud-africain, alors florissant. Le cadre, c'est la cellule africaine des services secrets anglais, peuplée de petits fonctionnaires paisibles et discrets : des Sherlock Holmes en attaché-case, des James Bond de bureau. Malgré leur volonté affichée de mettre leur vie dans des petites boîtes étanches, elle prend l'eau. Il y a des fuites. Et le téléphone, comme ailleurs, est en train de devenir l'instrument de torture le plus raffiné de ce monde raffiné. Un film pour rire, pleurer et avoir peur tout à la fois. Pour transformer tout spectateur en agent double.
New York, mode d'emploi. Son aède s'appelle Isaac. Il a une ex-femme qui a viré lesbienne, une petite-amie-trop-bien-mais-trop-jeune-pour-lui, et une attirance poussée pour la maîtresse de son meilleur pote, une cérébrale presque aussi tourmentée que lui. Tous, cela va sans dire, artistes-intellos-bobos très intelligents, très cultivés et très malheureux. Grâce à ce sublime hypocondriaque, la carte du tendre du XXème siècle a pris la forme des rues de Manhattan. Mais c'est une carte en 3D, avec ses tours, son parc, ses ponts et ses cafés. Et une quatrième dimension pour la vie de l'esprit, les cinémas et les musées. Un petit univers en entier dans une grosse pomme, le paradis des vers de terre qui ont la tête dans les étoiles. Et la BO de la ville est du Gershwin forever.
Kim Yesenin est un écrivain russe. Donc torturé, concerné, engagé, arrogant, chiant. Normalement, il vit à Moscou, mais là il est en tournée en province (comme on ne doit plus dire), accompagné d'un confrère encore pire que lui et d'une jeune maîtresse pas passionnante (et apparemment pas non plus très passionnée). Il s'incruste dans la visite guidée d'un musée local. La guide est jolie, voilà que la province l'intéresse finalement plus que prévu. Il retrouve la fille dans un dîner le soir, il essaie de lui faire le coup du grand écrivain russe : passionné, passionnant, possessif, arrogant, chiant. Elle ne marche pas. Elle a pourtant été amoureuse de lui, quand elle avait 10 ans. Mais maintenant, elle préfère l'authentique. Elle ne s'intéresse plus qu’à un poète-paysan du terroir local, un artiste un vrai, brut et inconnu, mort et oublié de tous si elle n'était pas là. Et voilà de quoi relancer la machine du grand écrivain russe. Amoureux, concerné, inspiré, torturé, vain. Engagé, passionné, jaloux, arrogant, chiant.
Se sentant sur la fin de sa vie, une dame qui s'appelle Colette se sent assez sage comme ça pour se permettre de faire poireauter dans son potager son gentil voisin trop jeune pour elle. Vial, le voisin, a toujours quelque chose à tripotter entre les mains, mais manque un peu de belles paroles en l'air. Colette, elle, a le stylo et le caractère bien trempés et comme elle sait s'en servir, c'est elle qui mène la danse (qu'elle ne danse plus, justement) en observant et manipulant tout ce beau monde de loin. Et puisqu'elle décide aussi du temps qu'il fait, elle décrète que son automne à elle vaudra bien une naissance... Un joli miroir plein de mots et de lumière pour Agnès, qui le lui rendra bien.
Richard Collier, écrivain dramatique beau comme un Dieu (qu'il fut dans un autre film, une autre vie...), est l'idole des vieilles dames (enfin, surtout d'une, apparemment…). Un jour qu'il est un peu contrarié, il se paye une petite escapade dans un grand hôtel des environs (de Chicago). Là, il tombe amoureux d'un portrait sur un mur : celui d'une très belle actrice du début du XXème siècle à la carrière aussi fulgurante que brève, prématurément retraitée des planches… et devenue 60 ans plus tard sa groupie sénior. En fait, il se sont connus en vrai, en 1912, dans ce même grand hôtel. En fait, il va l'y rejoindre en voyageant dans le temps, par la seule force de son mental et de ses sentiments, pour lui permettre d'accomplir ce destin qu'elle a déjà vécu. En fait, tout a commencé là bas, à ce moment-là, dans ce passé dont lui n'a encore aucun souvenir. L'amour comme éternel paradoxe temporel, comme flash back mental idéal dans les souvenirs qu'il nous reste à découvrir... Pandora nous a déjà fait le coup, mais (pour moi) ça marche à tous les coups. C'est beau, romantique et kitch comme on n'en fait plus, tellement premier degré qu'on est obligés de s'incliner.
Sandy Bates, clnéaste américain, la quarantaine. Fut drôle en début de carrière, mais plus au mieux de sa forme. Assailli par les chasseurs d'autographes et les groupies amoureuses, traqué par les fans, les exégètes et les extras-terrestres, il déprime sec (et pas toujours sec, d'ailleurs). Il ne sait plus où donner de la tête et du désir. Il a pourtant toujours excellent goût dans le choix de ses muses-actrices (même s'il a décidément un faible pour les névrosées), mais elles n'ont pas toujours le bon goût d'avaler tous ses atermoiements. Alors, il se verrait bien jouer son propre rôle dans son propre film (même si le seul qui lui plairait vraiment, c'est celui de Dieu). Il imagine un truc un peu surréaliste, sous influence italienne années 60. Pas du tout indigne du maestro du genre, sur le mode désespérément drôle et drôlement désespéré.
"C'est une joie et une souffrance" qu'il disait dans "Le dernier métro". Des fois, c'est même pire... L'amour qui crame tout sur son passage, qui rend fou de joie et malade de jalousie, raide dingue et raide mort, en même temps, fatalement : c'est ce qu'a voulu filmer Truffaut, ici et ailleurs (mais encore plus ici). L'histoire : ils se sont connus, terriblement aimés et fuis il y a huit ans. Ils se sont mariés chacun de leur côté, ont retrouvé ce qui ressemblait à de la paix. Ils redeviennent voisins par hasard. Quand ils se croisent dans le parking souterrain d'un supermarché (ce qui sera aussi l'enfer selon Demy), ça repart direct, c'est too much. Les corps ont gagné, ils sont trop faibles. En Dieux de l'Olympe fréquentant les hôtels douteux, Gégé et Fanny sont plus que crédibles. Leur cadre de vie terriblement banal (la campagne de province) ne colle décidément pas avec l'exceptionnelle intensité de leurs sentiments. Leurs dialogues récapitulent toutes les étapes et tous les détails d'une passion : exceptionnelle à vivre, terriblement banale à dire. Tout sauf de la paix, mais qui a envie de paix (à part les grands cramés)...
Point de Lieutenant français dans ce film. Quant à celle censée avoir été sa maîtresse, jamais ne le fut. Mais on est au cinéma, alors ne nous étonnons de rien, surtout qu'on est dans ce type particulier de films qui racontent la fabrication d'un autre film, dans une histoire d'amour qui en cache une autre -la même sans doute- et d'autres temps et d'autres lieux. Subtil entrelacement de sentiments retenus et de fantasmes entretenus, de libertés compromises et de liaisons dissimulées, hommage raffiné à l'intensité du vécu et à celle -encore plus grande ?- du souvenir et de la représentation.
Armée d'une pauvre chanson de cabaret recyclée, Willie, modeste employée de bastringue (mais beau cul), traverse la guerre presque sans encombres. Malgré un amant juif, elle a des protecteurs à galons et des millions de fans, ce qui compense largement. Elle en perd son nom, pour s'identifier à celui de sa chanson. C'est fou le nombre de soldats morts en l'écoutant -sans compter ceux qui écoutaient Marlene chanter la même chose, de l'autre côté des lignes. C'est fou le nombre de vitres, parois et cloisons qui la séparent de la réalité. Fassbinder regarde l'Allemagne dans le miroir de son passé nazi et il ne l'aime pas. Il la trouve futile et vulgaire. Otage de sa pompe, vendue au confort, pas sortie de ses rêves de midinette.
Sabine a un amant, mais elle n'a plus l'air bien accro. Elle a décidé de se marier, mais surtout pas avec lui. En fait, elle ne sait pas encore du tout avec qui. Mais elle a une copine qui, elle, a l'air d'avoir un avis sur la question. La copine lui lance presqu'habilement son gentil cousin entre les pattes. Ca ne se passe exactement comme prévu, mais pas forcément pour les raisons prévues. En fait, les postulants-tourtereaux ont tout pour se plaire, et c'est ce qui les sépare le plus. Ils ne se fréquentent guère, parce qu'ils se comprennent peut-être trop bien. Bref, il ne se passe quasiment rien et pourtant c'est comme si on venait d'assister à une grande aventure. Rohmer plagie par anticipation son futur Conte d'automne. Ca, encore, c'est compréhensible. Mais comment donc fait-il pour inventer ce qui se passera plus tard dans la tête de filles comme moi qui n'en ont pas encore la moindre idée ? Ca, c'est le vrai mystère.
Nantes, quelques années avant Lola. Grève d'ouvriers dans les chantiers navals, rififi domestique chez les bourgeois. Tout converge vers l'appartement de Mme Langlois, un antre purpurin rongé par l'ombre, à mi-chemin entre la cathédrale et la préfecture. La dame est une ex-baronne qui a perdu sa particule et ses illusions en épousant un colonel, mort depuis en Indochine. Pour éponger ses dettes et son gros-plant, elle loue une chambre à un ouvrier (en grève) et tente de rabibocher le tout récent mariage de sa garce de fille Edith. Le beau métallo se bat pour défendre ses droits (au bonheur), Edith aussi, Ils sont faits l'un pour l'autre, aussi à poil l'un que l'autre, avec ou sans fourrure. Ce film, c'est comme une pierre de volcan : dense, sombre, dure et rapeuse, très longuement cuite et recuite dans les entrailles de la terre (et du réalisateur), et qui vient exploser à la figure des tièdes. Du Demy en musique, mais sans voiles.
Le titre fleure bon le "Martine au parc" de mon enfance. Le cadre : petite disponibilité estivale, comme dans La Collectionneuse ou Le Rayon vert. Les personnages : deux cousines en vacances, et leurs prétendants. Le décor : une grande plage normande, deux résidences secondaires. Les couleurs : primaires. Le sujet : l'amour. Côté femmes, on a le modèle ingénue en maillot de bain, et une poupée qui se voudrait passionnée. Côté hommes, un nomade opportuniste et un romantique ténébreux. En guest stars : un dragueur des sables et la marchande de cacahuètes. Au court d'un banquet initial, chacun choisit son rôle, définit son personnage. Puis essaie de le tenir, et d'influencer le jeu des autres. Au gré des rencontres et des rendez-vous, les double-jeu se révèlent... La morale : en matière d'amour, tout le monde se raconte des histoires ; chacun sa vérité.
Des meurtres à la pelle, un suspect tout trouvé, sa brune secrétaire qui mène l'enquête. La ville, la nuit, la pluie, le mystère pour rire. Truffaut s'amuse. C'est comme s'il récapitulait tous ses films : les détectives privés de Baisers volés, l'ascenseur de la Peau douce, l'imperméable de La Femme d'à côté, le théâtre du Dernier métro... et un Homme qui aimait (trop) les femmes. C'est comme s'il faisait des clins d'oeil : à maître Hitchcock, à maître Hawks, à L'Ange bleu et aux Sentiers de la gloire. Et c'est comme si, aussi, il rendait hommage à la langue française, en casant dans les dialogues le plus grand nombre possible d'expressions idiomatiques. Et il s'en va (c'est son dernier film) dans un sourire.
Michele Apicella (cf. épisodes précédents) est nommé prof de maths dans un collège romain modèle (juke box dans les salles de classe et psy à demeure pour les enseignants), et il continue à faire la tronche. Le monde tel qu'il est, ou devrait être, c’est toujours trop pour lui. Il serait peut-être un peu rigide sur les bords, d’ailleurs il n’aime que le chocolat et les chaussures des femmes. Même Bianca, la prof de français plus que modèle (d’ailleurs elle a de très jolies chaussures) qu’il arrive à draguer, elle est trop pour lui. Le couple, l’amour, c’est vraiment des trucs qui l’obsèdent et le dépassent. D'ailleurs, c’est jamais comme il faut, toujours trop ou pas assez bien. Eternel inadapté, rigide sur les bords, l'esprit pas très bianco. Débordé de partout, le Michele.
Danny n'a peut-être jamais existé, ce sont les autres qui en parlent le mieux. Les autres, ce sont tous les tocards du show-biz dont il s'est occupé -et à New York, ça fait du monde. Danny est l'impressario des nazes et des (futurs et déjà) has-been, le genre doué pour tous les ratages, le genre dont on se sépare dès que le moindre succès pointe. Pour se consoler, il a en stock une tripotée d'oncles philosophes (qui n'ont peut-être jamais existé) qu'il cite à tout propos. Un jour, il doit accompagner une poupée Barbie au spectacle d'un de ses crooners... En sous texte, je crois que Woody raconte sur le mode burlesque mineur son incrédulité et son émerveillement d'avoir réussi à séduire l'ancienne femme de Frank Sinatra, et de ses supposés dangereux soutiens mafieux. Un récit dans le récit qui finit les yeux dans les yeux.
C'est, paraît-il, l'opéra le plus joué au monde, le top 50 du lyrique à l'ancienne. Là-dessus, Francesco Rosi n'a pas cherché à faire le malin : les décors naturels (bien astiqués) sont splendides, les costumes d'époque (bien repassés) sont parfaits et le livret est scrupuleusement respecté (pour les voix, je n'y connais rien, mais je crois qu'ils chantent juste). L'Espagne, ses fleurs et ses taureaux, ressemblent aux souvenirs qu'on en avait avant d'y être allé -mais personne ne va à l'opéra pour prendre des leçons de réalisme. D'ailleurs, les sentiments des hommes devant Julia Miguenes-Johnson en plein numéro de Cabaret sont, eux, parfaitement crédibles. C'est comme un souvenir d'enfance : le plaisir ne vient pas de la surprise, mais du déjà-vu et déjà-entendu, du ressassement d'une mémoire rêvée. Comme un beau livre d'images en musique.
Louise vit en banlieue avec Rémi. Mais Louise habite aussi Paris, et sort avec Octave, qu'elle adore tout en se refusant à lui. Elle aime aussi aller danser dans des soirées ; elle se laisse draguer par Damien. Les soirs où elle préfère être seule, c'est parce qu'elle n'a réussi à débaucher personne au téléphone. Elle ne sait pas ce qu'elle veut, Louise ? Si, elle sait très bien : elle veut autre chose, pour s'assurer qu'elle a bien ce qu'elle a. Elle veut être libre. En fait, Louise, d'abord, elle fait. Après, elle raisonne. Et elle s'explique si bien qu'elle arrive à se croire elle-même (mais être libre, c'est vouloir ce que l'on peut et pas pouvoir ce que l'on veut, disait Jean-Paul). Et la lune, là-dedans ? C'est peut-être la vraie cause de tout, mais on ne le saura jamais.
Je ne sais pas si Terry Gilliam avait entendu parler de l'effet papillon. Lui, en tout cas, a inventé l'effet moustique. C'est un stupide moustique écrasé tombé sur un listing qui est le point de départ cataclysmique de ce film. Fatal engrenage parce que, dans le monde de Brazil, les papiers, les machines et les tuyaux sont bien plus importants que les hommes : un moustique, et tout peut dérailler. D'ailleurs, tout déraille. Au fait, où et quand ça se passe ? Bonne question ! Il y a des gens qui travaillent (plus ou moins), des riches qui se pavanent et des pauvres qui rament, des faux-culs, des clandestins et des fonctionnaires. Donc c'est à peu près comme ici et maintenant et toujours -mais en pire. Ce monde-là, on ne l'a jamais vu nulle part mais on a l'impression de le reconnaître tout de suite. C'est par où la sortie ? Alors là, pas de bonne réponse. Essayer la musique et le rêve, à tout hasard.
Orphée n'est pas encore rangé des voitures : il s'est réincarné en pop-star-idôle des jeunes à pantalons blancs et pulls en laine, époux d'une artiste conceptuelle japonaise et amant d'un ingénieur du son qui, pour réussir à le supporter, doit manquer un peu d'oreilles. Sur scène, il porte déjà le costume des damnés du dernier sous-sol mais, une fois vraiment en enfer, il ne cesse de clamer qu'il n'est pas à sa place. Comment choisir, pourquoi choisir ? C'est lui qui le dit, mais au moins le réalisateur aurait-il pu lui donner des idées (ou des chansons), au lieu de le faire bégayer toutes ses répliques. Demy se serait-il égaré sur une voie de garage ? Il a perdu toutes ses couleurs en route et ne décolle pas vraiment du purgatoire
C'est l'histoire de deux serial killers très glamours, des corrida-addicted qui ne jouissent qu'en sacrifiant leur partenaire. Ils sont donc tout naturellement faits depuis la nuit des temps pour s'embrocher mutuellement à la mode Escamillo dans un orgasme sublime... Eros et Thanatos sont potes, on le sait au moins depuis Duel au soleil. Avec ce film, Almodovar a voulu faire son Pandora pervers (clone d'Ava Gardner compris). Il y a mis toutes les névroses de l'Espagne : l'Opus Dei, les mères abusives et les arènes de sable chaud. Dans cette succession de couples en rouge et noir, anges et démons se bousculent : lesquels sont les taureaux, lequels sont les toreros ? C'est pas toujours clair. Le film est un tantinet abstrait et théorique. Pas si mal pour un quasi-débutant.
Un soir de réveillon en bonne compagnie à Dublin, 1904. Des vieilles tata-gateaux, leur neveu chéri, raisonnable et éloquent, quelques artistes sur le retour, quelques jeunes gens plein d'avenir, quelques parasites. Et quelques fantômes. Dehors, il neige. Dedans, tout est en ordre. Chacun y va de sa petite performance, près du piano ou du whisky. Des conversations anodines, de la musique et du pudding. Rien. Dans cet océan de bienséance, errent pourtant les ombres blanches de passions endormies. De secrets du coeur qui affleurent, tels des icebergs à la dérive. D'autres vies possibles qui refont surface, après la fête. D'autres mondes, d'autres gens. Aux côtés des vivants déjà morts, il y a des morts bien vivants. Qui étaient cachés dans l'ombre, ce soir-là, pour ce réveillon en bonne compagnie à Dublin, en 1904.
Les anges sont parmi nous. Invisibles (sauf aux enfants), ils voient tout, entendent toutes nos pensées, traversent les murs (même celui de Berlin, alors bien debout !) et ne peuvent (presque) rien pour influencer le cours du monde et le destin des hommes -commes les artistes, peut-être. Ils nous plaignent et nous envient parfois, nous pauvres mortels, d'avoir des sens et des émotions. Alors certains franchissent la barrière (des espèces) pour apprendre à vivre vraiment... Ce magnifique poème visuel, ode incantatoire à l'humanité, à l'amour et à ceux qui en témoignent dans leur art, est là pour nous rappeler encore et encore la dureté et la beauté du monde.
Un jeune homme tombe amoureux d’une jeune fille mais, le papa de la fille n’étant pas d’accord, il doit faire ses preuves en passant une série d’épreuves initiatiques, avant de la retrouver… Puisque le scénario est intemporel, la forme l’est aussi, en mode vintage, style Europe de l'Est avant Staline. Les décors, les costumes et tout le story board sont donc pompés sur les icônes du coin, la partition est piquée au folklore local et pourtant, bizarrement, on a plus l’impression d’être dans une installation d’art contemporain que dans un musée à l’ancienne. Et par une sorte de charme magique et mystérieux tombé direct sur la caméra, ce conte du Moyen-Age en tableaux vivants devient une espèce de comédie musicale moderne en costumes traditionnels, ou de mythe au présent.
Ce sont des experts en cruauté, des docteurs ès alcôves, des professionnels du coeur humain. Ils s'appellent Valmont et Merteuil, respectivement Vicomte et Marquise de. Ils ont compris avant tout le monde que le pouvoir repose sur le contrôle de la circulation de l'information (à l'époque : la correspondance). Ils sont persuadés de reigner sur leurs propres sentiments mais c'est à force de se mentir à eux-mêmes. Ils sont pervers, raffinés, libertins. Extrêmement brillants. Ils se lancent des défis absurdes, dans le seul but de faire souffrir. Ils y arrivent souvent. Ils vivent dans le plaisir et sont malheureux comme des chiens. Le film n'est pas complètement à la hauteur du livre, mais quelque chose de la fine fleur de l'esprit français y passe malgré tout.
M. Yves Montand himself se paie un petit flash-back sur son début de carrière, dans un musical autobiographique monté à Marseille, sa ville d'enfance. Il en profite pour chercher à retrouver son amour de jeunesse, trouve sans le chercher un amour de vieillesse, avant de découvrir que l'une est la fille de l'autre -voire pire. Il y a du lemon incest dans le pot aux roses. Le spectacle lui-même a l'air pas mal, mais la vie autour semble s'être figée dans les années 60-70 et la musique -hélas- engluée dans les harmonies de synthétiseurs. Le film n'arrête pas de chercher à se trouver beau dans tous les miroirs du passé (et d'essayer de se reconnaître en Tous en scène, par exemple), en retard d'un TGV sur son époque. Montand lui-même a l'air un peu trop vieux pour jouer son propre rôle (de père un peu indigne). Comme testament, ça reste malgré tout largement au-dessus du minimum notarial.
Une histoire d'amour entre deux petits gansgters encore en apprentissage, une autre histoire d'amour entre l'un d'eux et sa gentille cousine. Le gars est en short-tongs-tee shirt, la fille est jolie. C'est à peu près tout. Des bastons au ralenti, des cigarettes en gros plan qui ne sont pas pressées de brûler. Des couteaux, des dominos et des pistolets, qui finissent bien par se rencontrer. C'est à peu près tout. Un Mean Street du pauvre en idéogrammes très déchiffrables, parce qu'écrit dans la langue d'un poète de l'image. Encore en apprentissage, mais déjà ceinture noire de mélancolie. Chez lui, le temps a toujours plein de bonnes raisons de s'arrêter, et il s'arrête souvent. C'est à peu près tout, c'est déjà suffisant pour qu'on ne l'oublie jamais.
Un mari riche, beau, à qui tout réussit -même ses infidélités. Une parfaite épouse bourgeoise qui n'aime pas qu'on la touche. La soeur, artiste sur les bords, qui couche avec le mari. Un doux copain d'enfance du mari, un peu paumé, qui n'a plus envie de toucher. Le sexe, ce sont les non pratiquants qui en parlent le mieux -les autres ont mieux à faire. Ce sont les seuls, aussi, à savoir qu'ils ne vont pas bien -les autres ont autre chose à penser. Voilà un jeune cinéaste qui nous dit qu'il est temps de ne plus passer autant de temps à mater des images, et qui soigne sa névrose avec celles de ses personnages. On lui souhaite toutes les névroses de la terre.
Alice est une grande petite fille pas bien dans sa vie : son appart est trop grand, son mari trop gentil, ses enfants trop polis. Trop heureuse pour être heureuse. Le sourire d'un saxophoniste de passage et les étranges herbes du mystérieux Dr. Yang sauront-ils la faire passer de l'autre côté du miroir ? Possible, mais faudra beaucoup de zen et pas mal de magie pour décoincer la grande bourgeoise, et la faire devenir ce qu'elle est. Dire qu'elle a failli ne jamais ressembler à Mia Farrow, quel gâchi ça aurait été ! Période où Woody se passionnait pour les états fluctuants et les métamorphoses des femmes -et surtout de la sienne. Période où son génie, c'était de révéler le sien.
Au désespoir de tout le personnel féminin de l'établissement, Ricki est enfin autorisé à quitter l'institution psychiatrique où il a passé sa jeunesse. Il n'a qu'une idée en tête : épouser Marina, la belle actrice porno qu'il a déjà croisée (et même un peu plus) une fois. Pour lui démontrer ses qualités de mari idéal, il la traque, lui offre des chocolats puis finalement la sequestre chez elle et l'attache sur son lit, tout en la pourvoyant à volonté en psychotropes divers. Jaloux, possessif, attentionné : pas de doute, il a la vocation d'époux modèle à la mode espagnole de l'époque. Le mariage comme syndrôme de Stockholm librement consenti (bien plus horrible que les films d'horreur que tournait Marina avant de connaître Ricki) : la pilule est tellement colorée qu'on l'avale sans s'en rendre compte.
Tiens, une femme qui pense. Parler, ça, oui, elles ont toujours su faire, chez Rohmer. Mais penser comme une philosophe qu'elle est, en citant Kant et Hegel, c'est plus rare. En plus, Jeanne est jeune et jolie, momentanément éloignée de chez elle et de son copain officiel. Libre quoi, à tout point de vue. A une soirée emmerdante, elle sympathise avec une autre égarée qui tient beacoup à lui faire rencontrer son père. Il faut attendre pas mal pour voir venir le climax du film : le temps de compter jusqu'à trois, Jeanne va vivre un petit, tout petit moment d'égarement. Il y a une histoire de collier, aussi, dont on ne sait pas ce qu'il est devenu. Perdu, volé ou caché, c'est les trois options possibles. Et c'est à peu près tout. Trois fois rien. Ca ne fait pas un pitch très sexy mais ça sufit à faire un film. Jeune et joli, éloigné de tout. Libre quoi.
Petit garçon, Antoine supportait mal le maillot de bain en laine tricotté par sa maman. Il aimait la musique orientale et rêvait d'épouser une coiffeuse, en hommage à celle qui lui tripottait si agréablement les cheveux en laissant voir un sein généreux, à côté de chez lui. Ainsi fut fait : Antoine est devenu le mari d'une coiffeuse, c'est son métier ! Patrice Leconte a toujours eu une prédilection pour les amours sublimées ou étranges : le champouinage comme substitut et déclencheur des rapports amoureux est une belle trouvaille. La lumière chaleureuse du salon de coiffure un peu démodé, la beauté d'Anna Galiena, la nonchalence de Jean Rochefort et ses danses du ventre improvisées contribuent à donner à ce rêve d'enfant réalisé le parfum d'un conte oriental tragique qui parlerait de l'amour idéal.
Ca commence dans le New-York des années folles, ça se termine dans les dunes du Sahara. Y paraît que ce serait l'histoire d'un couple qui se noie dans les sables. En fait non, c'est l'histoire d'une femme qui tente la traversée de son désert intérieur. A la rame, en solitaire. Comme dans l'appart' désert du Dernier tango à Paris. De mari en amants, sur des terres de plus en plus arides, sauvages, étrangères, elle devient de plus en plus aride, sauvage, étrangère à elle-même. On ne sait pas trop si on la plaint ou si on l'envie. C'est comme un voyage dans le temps, aussi, ou une expédition à la recherche d'une source perdue. Pour voir ce qu'il reste quand la civilisation a sombré : de la sensualité, du soleil et du désespoir.
Sailor est un jeune homme à la peau de serpent, mais au sang (très) chaud. Lula est une délicieuse évaporée qui a toujours l'air d'étouffer dans ses mini-fringues. Ils brûlent rien qu'à se regarder. Leurs vieux n'aiment pas ça et, ayant crâmé plus d'un cable, leur collent quelques tueurs et mauvaises sorcières au derrière. Alors, les p'tits jeunes qui n'ont pas (non plus) froid aux yeux, font comme on fait chez eux : go west, santiags au plancher. Ce remake rock n' roll hot du Magicien d'Oz nous embarque encore au coeur des ténèbres américaines, à la rencontre des bouseux, des zombies et des fêlés. Au coeur du brasier, là où se cuisent les vieilles soupes et où se tordent les vieilles lames, là où se forgent les mythes nouveaux.
C'est l'automne, on a l'impression de tout voir en vert, comme de derrière une bouteille. En Pologne, vit une jeune femme à la voix d'ange prénommée Weronica. Douce, aimée, mais fragile du coeur. Si fragile... A Paris, vit une jeune femme à la voix d'ange prénommée Véronique. Un soir, elle se sent bizarre, comme en deuil d'elle-même. Pour comprendre ce qui lui arrive, il lui faudra suivre la piste d'un tireur de ficelles qui lui envoie des signes, pour pouvoir écrire le roman de sa (double) vie. La métaphore, comme tout le reste, est double : politique (l'est et l'ouest, pays frères), ou psychanalitico-théologique. C'est un peu lourd et appuyé mais (en même temps, évidemment) sauvé par une multitude de détails subtils.
Mike vit dans la rue. Des fois il tombe -littéralement- de sommeil. Il a des blancs, c'est-à-dire des trous noirs. Et le film aussi. Et
Mike gagne le peu de vie qui lui reste en se prostituant. Auprès des hommes, des femmes. Mais il préfère les hommes. Surtout Scott, qui lui aussi tapine. Sauf que lui, c'est l'héritier d'une grande lignée. Il est juste là pour faire chier son papa. Il fait le voyou pour de faux. A sa majorité, il sera riche. Et
Ils sont différents et ils se ressemblent. Des fois, ils parlent comme Shakespeare (Henri IV). Des fois
C'est deux vies qui vont diverger radicalement. Une, c'est l'enfance d'une star -pardon, d'un chef. L'autre, c'est un drôle de voyage en pointillé, au goût de gruyère (surtout les trous). Toujours au bord ou au fond du trou. Et qui ne va pas tarder à y rester pour de bon.
Shakespeare dans le caniveau.
Woody en mode autofiction, play and play again. Ca se gâte dans son couple, il se rattrappe comme il peut, caméra au poing, poing à la caméra, devant et derrière. Il se dédouble en deux couples amis qui forment les deux piliers du récit : le premier a décidé de se séparer, l'autre va apparemment plutôt bien. Moins de deux heures plus tard, ils ont échangé leurs maillots comme des joueurs de foot... Le film orchestre leur errance, en serrant au plus près leur corps qui fait le contraire de ce qu'ils disent avec pourtant plein de conviction et de rationnalité apparente. Le spectateur est aussi invité aux séances psy de tout ce beau monde et se régale de tant de mauvaise foi. On rit de se voir si vil dans son miroir.
A 10 ans, Douzi est abandonné par sa maman dans les coulisses de l'opéra de Pékin. Pour le faire accepter, elle a dû lui couper au couteau un petit doigt surnuméraire. Bientôt, on le force à chanter que (sans contrefaçon) il est une fille. Forcément, faut pas s'étonner après tout ça s'il a des problèmes d'identité sexuelle. Il devient, donc, chanteur d'opéra. Son rôle fétiche, c'est celui de la concubine malheureuse d'un roi. Son acteur fétiche, c'est le roi. Mais lui, hélas (l'acteur), lui préfère une vraie concubine. Bref, le coup classique des comédiens qui prennent le rôle de leur vie un peu trop à coeur. Mais, derrière les sentiments éternels, derrière la tradition immuable de l'opéra chinois, la vie politique de leur pays au XXème siècle connaît quelques rebondissements et coups de théâtre -qu'ils traversent comme des ombres. Fresque intimiste, mélo énorme ; à la largeur de son ambition.
Ca ressemble à la Toscane -ou au Paradis, ce qui est à peu près pareil. Mais c'est trop tard : les humains ont déjà appris à parler, pour s'aimer ou pour se tromper. Les hommes reviennent de guerre, de la gloire plein les poches. Les femmes les attendent -plus ou moins-, des fleurs plein les bras. Ils se parlent, ils jouent à jouer, à s'aimer et à se tromper. Ils en font toute une histoire, ils n'ont que ça à faire. Les acteurs, eux, jouent à jouer à jouer et à se faire prendre au jeu avec délices. "Shakespeare, Shakespeare..." c'était pas le nom d'un scénariste de Howard Hawks, ça ? Ah non ! Plutôt de Mankiewicz et de Wise -entre autres. Une espèce d'ancêtre commun, de nègre universel à tous les peintres de la tragédie de l'existence, et de la comédie du bonheur.
De l'influence d'une petite clope (Smoking or No Smoking ?) -ou d'une petite parole en l'air- sur le déroulement d'une vie. Ou bien : la Théorie du Chaos appliquée au destin des hommes, dans un théâtre en plein air déguisé en campagne anglaise. 9 personnages, 2 acteurs en majesté, 3 ou 4 décors et le regard muet d'un chat égyptien sans doute échappé du Portrait de Dorian Gray : une multitude de combinaisons possibles. Pour les explorer, le récit est un sentier aux chemins qui bifurquent (et, en bonne informaticienne que je suis, j'ajouterai que l'arbre des possibles est parcouru en "profondeur d'abord"). Cette variation-ci est centrée sur un couple mal assorti : Miles et Rowena Coombes. Lui a choisi l'option conformisme timoré, elle est plutôt du genre excentrique excitée. Ils sont en pleine crise de vaudeville ; une remise au fond du jardin de leurs amis Teasdale va jouer le rôle du placard. On suit, comme dans un feuilleton qui bafouille, les aléas de leurs amours, de leurs amitiés, de leurs projets. Mais, la plupart du temps, après un petit dérèglement passager, tout rentre dans l'ordre des choses, l'ordre des classes, l'ordre des couples. En fait, c'est simple : ou bien on aime, ou bien on adore.
Ca se passe au XIXème siècle en Nouvelle-Zélande. Quand les frèles corps d'Ada et de sa petite fille débarquent sur une plage, aux portes d'une forêt sauvage, pour un mariage arrangé, on ne donne pas cher de leurs peaux douces. D'autant qu'Ada est muette et qu'on la sépare tout de suite de son piano, sa voix, son âme, qui échoue par marchandage chez un voisin analphabète. Alors, il va lui falloir tout reconquérir : son indépendance, son art, sa vie, au prix de quelques sacrifices. Elle a tout à apprendre mais c'est elle qui donne les leçons et c'est ça qui la sauve. L'art et de la barbarie, les corps et la nature enfermés dans un bocal : c'est la recette de la passion.
De l'influence d'une petite clope (Smoking or No Smoking ?) -ou d'une petite parole en l'air- sur le déroulement d'une vie. Ou bien : la Théorie du Chaos appliquée au destin des hommes, dans un théâtre en plein air déguisé en campagne anglaise. 9 personnages, 2 acteurs en majesté, 3 ou 4 décors et le regard muet d'un chat égyptien sans doute échappé du Portrait de Dorian Gray : une multitude de combinaisons possibles. Pour les explorer, le récit est un sentier aux chemins qui bifurquent (et, en bonne informaticienne que je suis, j'ajouterai que l'arbre des possibles est parcouru en "profondeur d'abord"). Cette variation-ci est centrée sur un couple BCBG au bord de la névrose : Celia et Toby Teasdale. Elle a choisi l'option conformisme fleuri, lui le rôle du bougon imbibé. En embuscade : deux outsiders qui attendent que passe l'ascenceur social, façon Tout ce que le ciel permet pour Lionel Hepplewick, façon My Fair Lady pour Sylvie Bell. On suit, comme dans un feuilleton qui bafouille, les aléas de leurs amours, de leurs amitiés, de leurs projets. En fait, c'est simple : ou bien on aime, ou bien on adore.
Portrait de la moderne ultrasolitude en son palais : Hong-Kong. Ici, tout va très vite. Ici, c'est la Grande Braderie des choses et des gens, tout s'achète et tout se vend. Et tout (objets, identités et sentiments) est périssable et interchangeable. Deux histoires, quatre ou cinq personnages dont deux flics. Ils sont mignons, les flics de Honk-Kong (cf. déjà celui de Nos années sauvages). Ils ne sortent jamais leur flingue, sont surtout préoccupés par leurs peines de coeur. Dans ce cas-là, leur horloge interne ne marche plus tout à fait à la même vitesse que celle de la ville. Ils noient leur chagrin dans la foule, dans la bouffe et dans la nuit. Deux histoires, quatre ou cinq personnages qui se croisent mais se reconnaissent rarement. Qui se cachent, se déguisent, s'observent de loin, s'ignorent, se ratent. Deux doux policiers rêveurs au pays de la l'ultramoderne mélancolitude.
Au bout de 2mn, n'importe quel spectateur normalement constitué devrait déjà sentir l'eau salée lui monter aux pupilles. Maggie chante dans un karaoké, et c'est comme si sa vie en dépendait. D'ailleurs, c'est le cas. Heureusement, il y a au moins un bon gars dans le pub qui s'en rend compte. On apprend, avec lui, ce qui bout dans Maggie : 4 enfants, de 4 pères différents, placés dans 4 foyers différents. Un passé lourd comme une enclume et comme les coups de poing qu'elle a déjà largement encaissés. La bon gars va s'employer à alléger les souvenirs, et à fabriquer avec elle d'autres enfants, puisqu'il n'y a que comme ça que Maggie se sent vivante. Toujours borderline, toujours en rage, mais toujours vivante. Au bout de 2h, si vos yeux ne se sont pas complètement noyés dans un océan d'eau salé, c'est que vous n'êtes pas un spectateur normalement constitué.
Elle s'appelle Nathalie, elle vit officiellement avec Antoine mais harcèle Eric, son ex, et cherche à coucher avec Fabrice, son rien du tout. Rien que des gentils garçons, pourtant. Elle veut tout, dit le contraire de tout et ne sait plus ce qu'elle veut. La parole est sa principale arme, elle s'en sert pour séduire et pour faire mal, mais elle se blesse au moins autant que les autres avec. Elle fait n'importe quoi et ne va sans doute pas fort, elle énerve même ses meilleures amies. Portrait virtuose de chieuse en majesté, de celles qu'on aurait du mal à supporter plus que le temps d'un film. Portrait aussi, par la même occasion, d'une nouvelle génération d'acteurs, de celle qu'on va adorer pendant les 20 années qui viennent. Noémie commence sans fard, par sa pilule la plus amère ; elle apprendra plus tard à napper ses déprimes du sucre de son humour.
Coiffeur pour dames polonaises archi-diplômé, Karol est devenu mari impuissant en France. Déchu, abandonné, il ne réussit à regagner son pays que d'un cheveu, caché dans une valise (c'était juste avant qu'on se rende compte que l'homme est devenu une marchandise...). Il se refait une santé et une fortune avec les moyens pas très nets du bord, et trouve un moyen pas très propre de faire revenir sa chère ex-épouse française chez lui (question de vie ou de mort). Il s'agit d'une histoire de couple mais aussi, bien sur, des relations entre l'est et l'ouest. Dans la trilogie, ce film-là est le plus politique. C'est aussi le plus drôle, ironique et grinçant. Epais et froid comme de la neige.
Les anges, comme les vampires, sortent plutôt la nuit et ne causent pas beaucoup. Ils remplissent avec beaucoup de sérieux des boulots étranges : auto-employé clandestin de magasin pendant les heures de fermeture, nettoyeuse d'appartement de fonction pour tueur à gages, emmerdeuse professionnelle. Ils ont des partenaires de travail -voire plus si affinités- qu'ils mettent beaucoup de soin à ne jamais rencontrer. La plupart du temps (qui, au pays de Wong, ne s'écoule jamais tout à fait comme ailleurs), ce sont des oiseaux de nuit au regard las, des marginaux qui ne se promènent jamais très loin d'une balle perdue. A moins que ce ne soient des hommes perdus, jamais très loin des balles gagnées. Cette histoire était prévue pour être la troisième de Chunking Express. La solitude, comme à ses personnages, lui sied bien.
Leo est une encore belle femme presqu'en fleur, presque toujours au bord de la crise de larmes. Elle écrit des romans pour dames. Elle a aussi dans ses tiroirs le scénario d'un futur film d'Almodovar (cf. Volver), mais il n'est pas encore intéressé. Elle a aussi une maman, une soeur, une bonne et une copine qui, toutes, contribuent autant à son bonheur qu'à son malheur. Et quelques anges gardiens barbus. Comme les héroïnes de ses histoires, elle ne pense qu'à l'amour -surtout celui, parti on se sait où, de son mari. Comme les héroïnes de La Garçonnière ou de Casablanca, elle se trompe d'amour. En attendant d'enfin coïncider avec elle-même, elle se cache derrière ses lunettes, ses pseudos et ses mini-jupes. Magnifique portrait de femme en train de subir une greffe de personnalité, qui se bonifie avec les revoyures.
Les grands pervers et les grands saints sont faits pour s'entendre (pour racheter les uns, il faut bien que quelques-uns des autres se dévouent...). Jan descend du ciel dans un hélicoptère ; attention, c'est un piège, c'est lui le grand pervers. D'ailleurs sa santé -en fait : son salut, bien sûr- ne tarde pas à se déteriorer. Coup de bol : il a juste eu le temps, avant, de se marier avec Bess, esprit fragile mais coeur en or massif et une foi en béton, prête à tout pour sauver son homme. Il y en a qui ont commencé à lacher Lars von Trier avec ce film : moi, c'est plutôt après que j'ai commencé à trouver ses intentions un peu douteuses. Ici, j'ai marché comme à ma première communion !
Victor est né sous une bonne étoile -en néon- et dans un bus désert. Pourtant, sa vie de jeune jomme ne démarre pas très fort : il a 20 ans quand une jolie fille, un flic jaloux et une balle pedue l'envoient en prison sous le signe d'Archibald de la Cruz. Au bout de 10mn, on a compris que cette histoire allait se coltiner avec le désir, les fantasmes et la violence -et ne pas lésiner sur les symbôles. Victor, qui a appris la pédagogie en prison, apprend à faire l'amour avec Clara. Il ne lui restera plus qu'à apprendre la vie avec Helena. C'est l'histoire du passage de la théorie à la pratique, donc, et de l'incarnation des sentiments. Un des plus beaux films d'Almodovar.
Holden et Blanky sont des geeks pratiquants de l'ère pré-Internet. Ils publient ensemble des comics (une série BD, quoi) à succès, ont des copains cools et sympas comme eux et cohabitent en tout amitié (et plus si affinités). Dans un salon pro plein d'autres geeks amateurs de leurs oeuvres, ils rencontrent Alyssa, comme eux auteuse prometteuse et (plus qu'eux) fille libérée. Holden voudrait bien un peu plus (étant donné son affinité), mais Alyssa aime les filles, quoiqu'en fait elle a aussi aimé des mecs, quoiqu'en fait elle n’en sait plus rien. Le film a ce côté bricolo qui sied bien à son sujet, sans doute parce que la parole y est le vrai personnage principal. Il ne s'y passe quasiment que des mots. C'est cru, cash, couillu, tout en lorgnant vers le mythe, genre quête éternelle de l'amour impossible. Du performatif un peu fauché, mais cool et sympa, quoi. Et avec des poils.
Dans tous les couples, disait Gainsbourg (ou un autre), il y en a un qui s'ennuit, et un qui souffre. Ho s'ennuit, Lai souffre. Leur quotidien est immuable et toujours changeant : ils s'aiment, s'engueulent, se quittent, se retrouvent, se trahissent. De temps en temps, ils repartent à zéro. En général, c'est pour arriver nulle part. Sans doute qu'ils ne vieilliront pas (heureux) ensemble. Gays asiatiques au pays du tango, ils sont doublement en exil, doublement aux antipodes. Habitués, comme tous les personnages de Wong, à être en même temps ici et ailleurs, à vivre en mode décalé. De l'autre côté du monde et désynchronisés. Même si l'envers du miroir, et de Hong Kong, ressemble furieusement à son endroit.
Nishi est un flic taciturne, plus à l'aise avec les coups qu'avec les mots (2 lignes de dialogue dans tout le film) et plus habile avec les yakusas qu'avec les sentiments (2 secondes de sourire dans tout le film). A la suite d'une négligence, il envoie toute son unité à l'hôpital et démissionne de la police. C'est alors qu'il se voit confier la mission la plus difficile de sa carrière : distraire sa femme, à qui il ne reste que quelques mois à vivre. Alors, il règle ses derniers comptes et entame un road movie vers nulle part, mais au bord de la mer -lieu de tous les sursis chez Kitano. Dans ce monde-là, on ne cause pas (Monsieur), on ne pleure pas. On joue, on fuit, ce qui revient au même. Les hommes sont des handicapés, des empotés du coeur. Des convalescents en exil d'eux-mêmes, des jolies fleurs dans des peaux de bête, des tournesols à l'ombre. Dans ce monde-là, les humains ont la nostalgie de l'avoir été.
Il m'arrive d'avoir des faiblesses et des fautes de goût. J'avoue donc : j'aime beaucoup ce film. Parce que c'est gros comme un immeuble et sans complexe, comme Autant en emporte le vent (vers lequel ça lorgne pas mal). Parce qu'ils sont jeunes et beaux, et caricaturaux à souhait. Parce que la vieille dame a été la fiancée de l'Homme invisible. Parce que la métaphore féministe, aussi, est énorme : c'est le symbole du machisme le plus brutal et le plus attardé qui sombre avec tant de fracas et de victimes (mais quand on aime, on ne compte pas). Parce que, même en sachant tout à l'avance, on arrive encore à se laisser surprendre. Parce que c'est du faux bâti sur du vrai bâti sur de l'imposture. Parce que c'est du cinéma grandeur artifice.
Il y a 9 ans, comme l'apprend la fille qu'ils n'ont pas eu ensemble, Rahul et Anjali étaient les meilleurs amis du monde (mais c'était toujours elle qui gagnait au basket). Et puis, maman est arrivée. Et puis, la fifille est née et maman est morte (je ne révèle aucun secret, c'est au début). Il serait temps de retrouver la trace d'Anjali... Ca tombe bien : elle s'est laissée pousser les cheveux et, de garçon manquée, est devenue une fille très réussie. Avant de se marier, elle doit s'occuper toute seule d'une centaine de gamins dans un camp de vacances... Moitié "college movie", moitié film de colo : le public visé est plutôt jeune. Habilement construit, c'est un plaidoyer sympatoche pour la diversité des sentiments (amour-amitié, relations triangulaires) qui s'arrête juste au seuil de plus grandes audaces (le réalisateur serait un peu gay que ça n'étonnerait personne). Sympa-pa-toc, donc.
Certes, c'est l'histoire de la crise d'un couple. Mais c'est aussi un remake du Magicien d'Oz pour adultes, autrement dit un voyage au pays des rêves et des fantasmes des grandes personnes, ce monde des apparences aux valeurs inversées, peut-être plus vrai que le monde réel. Tom Cruise joue (plutôt bien) un bon docteur un peu benêt, manipulé par ses désirs -et perpétuellement frustré. Sa femme de l'époque joue (encore mieux) sa femme de l'époque. Quels dangers court-il exactement dans cette aventure ? A-t-il fallu que quelqu'un meurt pour que lui vive ? Pour peindre cette superposition des mondes réels et mentaux, Kubrick utilise des contrastes de couleur étonnants et une construction en miroir. Vertiges et confort, malaise du banal.
Elles sont quatre copines de lycée, pour la vie évidemment. A cet âge-là, tout ce qu'on dit est fait pour qu'on y croie soi-même, comme le titre performatif le laisse entendre. Elles voudraient bien, donc, ne pas craindre ce qui les attend dans la vie, elles en attendent beaucoup, mais ne savent pas quoi. C'est long, la salle d'attente des années lycées. Les parents n'y comprennent pas grand chose, les garçons sont mignons mais un peu cloches, les hommes sont un peu trop vieux, la musique est trop forte. En quelques mois, quelques années, elles vont apprendre à faire connaissance avec elles-mêmes. Noémie en a visiblement été si marquée que, plus tard, elle aura encore envie d'y retourner, pour n'y pas changer grand chose. C'est là sans doute, qu'elle a trouvé la recette de ses meilleurs films à venir.
Ce serait comme un souvenir lointain, embelli par la mémoire. Elle aurait une robe couleur du temps : toujours la même et toujours différente. Il aurait la cravate élégante et les cheveux bien gominés. Ils habiteraient Honk Kong, sur le même palier. Ils seraient mariés, mais pas ensemble. Ils se croiseraient éternellement dans tous les couloirs du monde, en allant chercher leurs nouilles aux marchands du coin. Ce serait comme une danse éternellement recommencée. Ils finiraient pas se parler, de nouilles et de romans de chevalerie, en fumant dans le noir. Ils finiraient pas inventer leur histoire qui n'existerait pas. Tout autour d'eux ne serait que trahison, compromission. Mais eux, non. Droits sous la pluie, imperméables aux ragots, éternellement -ou presque. Et le secret de leur histoire à jamais préservé. Sublime, éternellement sublime.
Jallel est un étranger sans papiers à Paris. Un passager clandestin de la vie. Au début, il fait mine. D'être quelqu'un d'autre. Petits boulots, gros sacrifices. Il touche presque du doigt l'objet de son désir : une femme, un statut, des papiers, le gros lot. Presque. En fait, c'est là qu'il perd tout. Détour par la case hôpital psy, tout à refaire. Il n'a plus envie de rien mais ce sont les autres (surtout une autre) qui vont avoir envie de lui. Alors, c'est son corps qui va le reconquérir. Lui permettre de retrouver son équilibre au milieu du déséquilibre. De réapprendre à marcher, quoi. Jusqu'à ce qu'un jour, à la station de métro Nation on lui fasse comprendre qu'il n'est toujours pas le bienvenu... C'est un film du genre râpeux, pas cool, pas sympa, pas marrant. Pas feelgood du tout. Avec des scènes trop longues et quelques éclairs de fraternité cabossée. Un film de passager clandestin de la vie, comme tout le monde.
Il semblerait que le lantana soit un buisson australien, une sorte de rosier avec des roses petites et des épines beaucoup. Il semblerait que les quadras australiens soient autant en désarroi que partout ailleurs. Ils parlent, ils font. Ils savent très bien ce qu'ils font. Ils savent très bien ce qui (les) fait souffrir, mais ils ne sont pas foutus de faire autrement. Ni de dire ce qu'ils ont à dire à ceux qui doivent l'entendre. Petites lâchetés, petites méprises, gros dégâts. Il y a une victime, il y a une enquête, mais là n'est pas l'essentiel. L'essentiel est dans la mosaïque des désirs frustrés, dans le puzzle des impuissances rageuses, dans le lantana des coeurs déchirées.
Le coiffeur, dans les films, c'est au mieux un second rôle. Ed, lui, rêve d'une Place au soleil. Il n'est pas causant, notre coiffeur. Il écoute, il observe. Il regarde les cheveux pousser, s'émerveille que ça continue même après la mort. D'ailleurs, il est peut-être déjà mort. Ou alors, ce sont les autres qui le sont. Le monde selon Ed est un peu étrange. Pour changer de vie, il tente bien une ou deux choses. Mais alors, invariablement, des hommes très sérieux en costume 3 pièces viennent lui annoncer des trucs horribles : la prison, la mort. Un remake prolétaire et somnambulique de Noblesse oblige qui est aussi la meilleure adaptation que je connaisse de l'Etranger de Camus, à la sauce noir(e).
Il serait une fois une troupe de Bunraku (des marionnettes tradis japonaises) qui nous raconterait une histoire. Ou plutôt trois histoires. Plus celle de la troupe, c'est-à-dire celle du réalisateur, c'est-à-dire celle du lien entre les histoires. Ca ferait donc un triptique aux formes épurées : des couleurs fortes, des saisons franches, des costumes de gala. Des personnages de Dieux vivants, mais errants, comme en deuil de leur grâce perdue. Des gestes héroïques, des sentiments de grand chemin. Quasiment aucun mot mais une plainte infinie au fond de la gorge. Un abîme de tristesse au fond du regard où ils manquent (mais pas toujours) de se noyer. Des pantins en quête de liens, et qui n'arrivent qu'à s'emberlificoter dans leurs ficelles (un peu grosses, d'ailleurs). Des poupées de chair, quoi.
Peinture à l'hollywoodienne de la plus mexicaine des peintres. Frida Khalo est au Mexique ce que Diego Rivera fut un moment pour elle : une idole (après, elle l'a épousé). Sa vie est un roman, il n'y manque pas une touche de musique, pas une note de couleur, pas un parfum de mythe. Rockefeller, Breton et Trotsky font de la figuration, King Kong passe dans le décor. De la souffrance, de l'amour et encore de la souffrance. Le biopic est un peu épicé, mais pas trop. La douleur est sur l'écran, qui fait tout de même un peu écran à la douleur. Des petites tentatives timides pour mettre de la vie dans le tableau, en rendant vivants les tableaux. Mais ces toiles, pour ce qu'on peut en voir, gagnent fastoche le match de l'intensité dramatique avec la peinture hollywoodienne.
Des têtes d'ados dans un décor de barres d'immeubles : une banlieue anonyme, ailleurs, à côté (où sont les voitures qui brûlent ?). Les têtes parlent, beaucoup, très vite, toutes en même temps, avec de drôles de mots. Elles ont toujours quelque chose à négocier, des intrigues compliquées à mener. Lydia, Rachid et Frida, eux, utilisent comme ils peuvent les mots de Marivaux : ils répètent Les jeux du kif et du hasard (un truc de ouf qui embrouille grave). Krimo voudrait bien faire partie de la bande, changer de costume, toucher la main de Lydia. Mais sa prof de français n'est pas très encourageante. Dans le langage de sa tribu, elle lui dit qu'il devrait sortir de lui-même, que le bonheur, ça se travaille. Il est long, le chemin jusqu'à lui-même. Le mode d'emploi, il est peut-être bien écrit dans la langue de Marivaux. Pas sûr que tout le monde arrive à le décoder.
Au départ, c’est une opérette légère de 1925. Elle est montée comme le serait un classique, sans « modernisation », sans condescendance mais pas sans malice. De quoi est-il question ? D’amour, toujours, par tous les bouts et tous les « trous » (de la serrure). De sexe, en fait, pour être clair. Tout le monde a sa petite théorie sur la question - et ses petites pratiques. Tout le monde ne parle que de ça, même en parlant d’autre chose. Alors, la mise en scène va en rajouter dans les sous-entendus. Ce serait peut-être plutôt des « sous-vus », d’ailleurs, parce que j’ai bien l’impression d’avoir reconnu, planqués dans les décors et dans les effets de perspective, tous les organes concernés. Quant aux acteurs, en costume d’époque, rien de mieux pour les mettre à poil que de les faire chanter eux-mêmes. Un film délicieux et malicieux, décidément, à regarder par le trou (de la serrure).
Au début, ils sont deux, deux garçons qui se ressemblent et qui jouent ensemble. C'est comme dans un rêve. Ils se courent après dans le labyrinthe des rues du quartier, et tout à coup il n'y en a plus qu'un seul. C'est tout ce qu'on verra de la disparition de l'autre. Cinq ans plus tard, le rêve est passé, le fantôme hante encore. Le garçon restant a grandi, sa maman est enceinte, la voisine est jolie. Papa anime un comité pour relancer l'organisation d'une fête dans les rues du quartier, mi-carnaval mi-cérémonie ancestrale. Exorcisme et célébration. On déambule, on cause, on se prépare à la fête. On apprend un peu du passé, on prépare un peu l'avenir. En douceur et en longs plans séquences, ça heurte et ça coule, c'est fluide et ça accroche. C'est à peu près tout ce qu'il y a dans ce film et c'est énorme. La vie, l'amour, la mort et leurs labyrinthes, à l'échelle d'un quartier, d'une vie, du monde. Enorme et en douceur.
Bollywood pour les nuls occidentaux, 1ère leçon. On prendra une (ou plusieurs) histoire(s) d'amour(s) contrariée(s). On a le droit de recycler pour cela le bon vieux fond romanesque occidental (Jane Austen, par exemple, ça collera parfaitement). On y mettra des filles superbes, des chansons et plein de confettis. De la culture locale (l'Inde éternelle) et du high tech (l'Inde moderne). Tisser tout ça avec les liens de la famille (très important, ça, les liens de la famille). Attention : pas le droit pour les indiens de s'embrasser en public. Faudra se débrouiller autrement -mais les jeunes gens ne manquent pas d'imagination. Happy-end obligatoire. Mais pas obligatoire de s'en tenir à la 1ère leçon d'exotisme kitch pour occidentaux.
Après nous avoir plongé en apné Dans la peau de John Malkovich, un scénariste fou récidiviste nous embarque pour un voyage au centre de la tête. La tête appartient à un certain Joel, elle dort et en même temps elle est en panique, parce qu'on s'attaque, avec son consentement officiel, à tous les souvenirs qu'elle a engrangés de Clementine, l'ex de Joel. Vous suivez ? Normal, ça va plus vite que dans Solaris. Pas facile tous les jours de voyager sur les voies de l'association libre, à la vitesse des synapses. Pour éviter le syndrôme de la surcharge cognitive et profiter des trouvailles et inventions visuelles qui se cachent dans les coins, on conseille la télécommande (touches "pause" et "replay"). RDV dans 10 ans pour voir ce qu'il en restera quand on aura tout oublié.
New-York, 2095 : des élections se préparent, des hommes meurent, des avatars 3D se mèlent aux vivants sans que personne n'y trouve à redire. Le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. Orus, Dieu égyptien en instance de mortalité, se réfugie dans un corps humain en hibernation, expulsé par erreur de son congélateur géostationnaire, et répondant au nom de Nikopol. Orus est un rapace ; il a plus à voir avec le "ça" qu'avec le "surmoi", ce Dieu-là. Nikopol, lui, fait de temps en temps des crises de Baudelairite aigües. Et puis, il y a Jill, superbe jeune femme de 3 mois 1/2. A eux trois, ils rejouent Jules et Jim chez Metropolis -à moins que cela ne soit Stalker au Brazil, ou L'Odyssée de l'espace des Ailes du désir. Et l'Homme, dans tout ça ? Une jambe de plomb, l'aile bleue d'un ange tatouée sur le bras.
Il fait chaud et humide, c'est plein d'herbes et de silences. Il y a des hommes, deux surtout. A moins que ce ne soient deux animaux. Y'en a un qui porte un uniforme de militaire et l'autre, une peau de tigre -mais dans l'autre histoire seulement. En fait, il y a deux histoires différentes qui se suivent. Qui d'ailleurs n'en sont pas vraiment. Qui peut-être n'en font qu'une. On ne sait pas trop laquelle est la cause, ou la conséquence, ou la métaphore de l'autre. Pourtant c'est très simple. Ils s'aiment, c'est tout. Dans une vie, c'est dans un village, au bord de la forêt. En douceur, en famille, en silence. Dans une autre vie, c'est dans la jungle. Avec du sang, de la boue, et de drôles de bruits. C'est comme un trip calme, un jeu de fauve et de souris en mode contemplatif. Tranquille et beau comme un amour rêvé. Beau et tranquille comme un rêve qui vit.
Veer c'est lui, Zaara c'est elle. Ils sont faits l'un pour l'autre depuis l'éternité, mais les hasards de l'Histoire l'ont fait, lui, indien indouiste, et elle, musulmane pakistanaise. Il se sont rencontré à 20m au dessus du sol. Ils se sont échangé un peu de leur temps et beaucoup de leurs sourires (pas de baisers, c'est interdit par le protocole). Se sont raconté leur vie qui commençait... Mais tout ça, c'est du passé. Aujourd'hui, Veer est en fait le prisonnier numéro 786 (un numéro saint, semble-t-il) d'une sombre geôle. Il n'a parlé à personne depuis 22 ans. Montagu et Capulet ne sont pas dans le coup, mais ils ont des dignes héritiers. Il faudrait au moins un ange pour le sortir de là. Comme les amants de Pandora, Veer-et-Zaara s'aiment pour l'éternité -sauf que la leur dure plus que le temps d'une étincelle. Made in Bollywood, first class.
Lee est un jeune acteur porno désabusé, Chen une jeune fille romantique et solitaire. Ils vivent dans le même hôtel, mais pas dans le même monde. Depuis qu'ils se sont croisés dans d'autres films de Tsai Ming-liang, tout le monde sait qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Mais dans les films de Tsai Ming-liang, ça peut reprendre un peu de temps. Dehors, c'est la canicule du siècle. L'eau, comme l'amour, est une denrée rare. Les postulants tourtereaux n'emploient visiblement pas la même stratégie pour s'en procurer et supporter la chaleur. Lee n'est de toute façon jamais très habillé, Chen ne sort pas trop de chez elle. Chen collectionne précautionneusemnt les bouteilles en plastique, Lee se baigne directement dans les réservoirs. Tous les deux ne demandent pas mieux que chanter sous la pluie (sous les parapluies de Cherbourg) -ce qu'ils font d'ailleurs, mais sans doute uniquement dans leurs rêves. L'amour, comme l'eau, ne se laisse pas facilement saisir. Chen a perdu la clé de sa grande valise, Lee les essaie toutes une à une patiemment. Il y a à boire et à manger, dans ce film, comme dans la pastèque. Mais en prenant son temps. Sa chair est triste, hélas.
C'est le film où Nanni fait le tour de ses meilleurs ennemis. D'abord, il se déguise en son contraire : un ex-producteur de nanars anticommunistes, un has been névrosé, incompétent, fauché et en retard d'une ou deux époque(s). Aussi papa en instance de divorce, mais ça, ça le rendrait plutôt sympathique, c'est par là que Nanni pourrait bien ne pas être si différent. Pour brouiller les pistes, il se regarde aussi dans le miroir d'une jeune postulante cinéaste aussi motivée que stressée par sa propre ambition. Le genre citoyenne concernée, altère egotte en plus jeune et moins blasée. Enfin, il affronte sa bête noire, l'espèce d'hydre bronzé à la tête d'à peu près tout en Italie. Il lui pique son texte, le dé-joue et le dé-sincarne en lui otant tout folklore. Et là, ça ne fait plus rire du tout. Autoportrait en négatif, en creux et en décalé. C'est en s'éloignant de lui-même que Moretti s'en rapproche le mieux.
Sur la scène de sa petite télé intérieure, Stéphane est un homme orchestre. Images, sons, cuisine : il sait tout faire. Dans la vraie vie, c'est pareil en un peu moins bien. Il est de retour à Paris auprès de sa maman, qui prétend lui avoir trouver un boulot "créatif" dans une boîte de calendriers. Dans ses rêves, il révolutionne le concept et subjugue ses collègues de travail. Dans la vraie vie, c'est pareil en un peu moins bien. Et puis, il croise sur son palier la charmante Stéphanie, sa voisine, sa semblable, sa soeur. Il la séduit en lui fabriquant sur mesure des machines mirobolantes. Mais on ne sait jamais trop dans quelle vie ses machines et ses charmes marchent correctement. Stéphane, il a le don d'être un magicien de lui-même : il arrive à se faire croire à peu près n'importe quoi. D'une non-histoire d'amour, il fait simplement une belle histoire. Dans la vraie vie, Michel Gondry aussi, en encore mieux.
Fin des années 60 : un petit gars de Liverpool à la recherche de son paternel se décide à traverser l'Atlantique pour le retrouver. Personne ne l'attend, lui, à l'arrivée. Mais il tombe sur une bande d'étudiants en plein trip contre la guerre du Vietnam. Ils s'installent à New York et commencent, presque sans bouger, un Magical Mystery Tour (qui ne figure pourtant pas dans la BO) dans l'Amérique flower power, à la rencontre entre autres d'un certain (I am the) Walrus et d'une certaine (Dear) Prudence. Ils sont bourrés d'idées et d'idéaux (comme la mise en scène), en quête de Revolution et en quête d'eux-mêmes. Hey Jude (ben oui, c'est comme ça qu'il s'appelle), faudra quand même patienter un peu avant d'envoyer Lucy (ben oui, c'est comme ça qu'elle s'appelle) in the Sky... La musique de Quatre garçons dans le vent comme mode d'emploi (les sons, les couleurs et le saint esprit) de toute une époque. Un coup à vous faire regretter de ne pas être né au bon moment.
Ils sont jeunes et beaux, ils s'aiment (à deux et plus) de toutes les façons possibles, sans jamais en faire un drame. Ils ont des amis, une famille sympa, bossent dans le créatif, vivent à Paris dans un monde en-chanté qui ressemble (beaucoup) à ceux de Demy et de Truffaut -en version légèrement upgradée... Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir leur arriver d'un peu intéressant ? Un drame-un vrai : la mort brutale et inattendue, le deuil. Et la reconstruction quand même, par l'amour toujours plus -légèrement upgradé encore. Et toujours en musique et en chansons, s'il vous plaît, douces et mélancoliques si possible. L'air et la couleur du temps (d'un temps où les seules vraies crises étaient intimes), en douce. Un film sur la porosité des désirs, la fluidité des sentiments, la tragédie de l'existence et la comédie du bonheur. La vie en version légèrement upgradée.
Pour une fois, Wong se met lui-même (plutôt que ses personnages) en exil, il va voir en Amérique s'il y est. Il commence par organiser soigneusement, comme toujours, le carambolage aléatoire de quelques coeurs brisés, Anges déchus à qui il oblige à faire le tour du pays à cloche pied (ou quasi) comme gage de malchance. C'est grand, l'Amérique. Sans doute pour ne pas trop se perdre, il recycle le tube d'In the Mood for Love à l'harmonica, remplace le Chungking Express par tous les modèles de bars qu'il croise sur sa route, et mise de nouveau tous ses jetons, comme dans 2046, sur une triplette féminine : une histoire en bleu nuit, une partie en rouge sombre, une virée en violet-doré et au grand jour. Est-ce à cause des contrastes visuels trop accentués, des dialogues trop explicites ou des acteurs qui ont oublié de mettre du mystère asiatique au bord de leurs yeux ? Ca fait le même effet qu'une tarte aux myrtilles avec de la glace vanille : assez écoeurant à la longue.
Shanghai et Hong-Kong, début du XXème siècle, alors que la Chine est occupée par les japonais. Comme toujours dans ces cas-là, il y a des collabos et des résistants. M. Yee est un collabo de haut rang très très méchant et très très séduisant, un tortionnaire en chef et un homme raffiné qui a le charme noir de Tony Leung. Le rôle des résistants très très gentils qui veulent le tuer est pris par une troupe de comédiens amateurs, nationalistes et idéalistes, et par leur jeune première ingénue, la jolie Wong Chia Chi. Pour faire illusion, elle va devoir passer pro et donner -de plus en plus- de sa personne. Quand elle joue au Mah-jong avec les amies de Mme Yee, elle joue à jouer au Mah-Jong -ce qui nuit d'ailleurs sensiblement à ses performances dans ce jeu. Avec M. Ye, elle joue carrément avec le feu -en improvisant pas mal sur les règles... Avec ce Lorenzaccio érotique, l'éclectique Ang Lee refait le coup du caméléon mal dans sa peau, du taiseux dont le corps menace sans cesse de dévoiler ce que l'esprit s'acharne à dissimuler. Quelque chose à cacher, M. Lee ?
Quelque part au Nord : une usine avec des (femmes) ouvrières et quelques (hommes) patrons. Un jour, elle n'est plus là, elle est partie faire sa grande migration vers l'Est. Une seule solution : se venger du patron. Une ouvirère lambda, pas plus à l'aise pourtant avec le français qu'avec le grec, se charge de dénicher le tueur à gages idéal. Et elle le trouve, même s'il est un peu fauché tendance mégalo. Elle s'appelle Louise, il s'appelle Michel - à moins que ce ne soit le contraire. Mais les patrons ont une facheuse tendance à se délocaliser aussi vite que leurs usines. Le contrat tourne alors au road-movie artisanal. Les plans sont presque fixes mais, comme les personnages, ils cachent presque toujours quelque chose. Et le film est tellement anar qu'il mélange et inverse tous les genres. C'est de la tragédie poilante, du thriller trash, de la romance désespérée. On en ressort en se sentant tout propre, comme un gant de toilette retourné.
Chelsea est une girlfriend à vendre, une call-girl, une vraie pro haut de gamme. Evidemment, c'est une professionnelle du sexe mais elle ne traite qu'avec des clients qui ont les moyens de croire qu'ils lui achètent surtout du temps et de la présence, et que ce n'est pas (que) leur argent qui compte. Tout est une question de prix. Son vrai boyfriend à elle s'appelle Chris, il vend de la gonflette dans une salle de sport. On le voit négocier ses services et ses produits ; lui aussi s'y connaît sur le prix de la beauté, en version mecs. Ils se sont trouvés, c'est-à-dire visiblement évalués au même niveau sur l'échelle économique du capitalisme du look. Un bon investissement mutuel, tout est under control dans le meilleur des mondes modernes (impersonnels et glaçants) possible. Enfin presque...
Ah Paris, Paris…! Ah, les douze coups de minuit…! Conte de fée au carré, donc, pour Woody, plus Américain à Paris que jamais. Parce que ce qu’il aime à Paris, au fond, c’est quand les meilleurs américains de leur temps (Fitzgerald, Hemingway, Gertrude Stein, Joséphine Baker, j’en passe et des pas moins bons…) y faisaient la fête loin de chez eux. Alors, quand il y envoie un jeune couple américain côte ouest bien propre sur lui, c’est pour le subvertir à coup de trou noir temporel en forme de carrosse de cendrillon shooté à la culture. Un peu Belles de nuit, un peu Quelque part dans le temps, beaucoup de jazz et de fayotage francophile. Pas sûr qu’il ait dépassé le périph’ ni la page 1930 de son encyclopédie, l’oncle Woody, mais il a à coup sûr parcouru tout le bottin des stars du moment. Et on pardonne tout à ceux qui font les même rêves que nous.
Si un jour des extra-terrestres intelligents frappent à la porte de notre planète, le gros problème, ce sera de pouvoir causer avec eux. Le vrai héros d’un film de SF réaliste, ce sera donc forcément un-e linguiste : voilà un point de départ qui ne peut que me plaire ! Bon, dans le film y’a aussi un physicien qui est mis sur le coup, mais vu que les aliens jouent avec la gravité comme avec des baballes, il est vite dépassé par les événements. Vraiment bizarres, ces bébêtes venues de l’espace. Pour elles, le haut et le bas, l’endroit et l’envers, l’avant et l’après, c’est du pareil au même. Elles ont l’air à la fois de venir de l’âge de pierre et de maîtriser la high tech la plus avancée. Mais la vraie star c’est Louise, spécialiste ès-xénolinguistique générale et appliquée, confrontée aux énoncés en forme d’oeuvres d’art circulaires qu’elles produisent pour s’exprimer. Les déchiffrer et comprendre leur fonctionnement, ce sera l’oeuvre de sa vie à elle (et ça la changera à jamais, comme dirait la tagline…). Le film pousse le bouchon de la thèse de Sapir-Whorf (selon laquelle, en gros, la langue que l’on parle influe sur notre façon de penser) un peu loin, mais c’est pas tous les jours qu’on trouve un pitch inspiré d’une théorie scientifique. De la SF sérieuse et poétique en même temps, de la gourmandise pour l’oeil et l’esprit.