A 10 ans, Douzi est abandonné par sa maman dans les coulisses de l'opéra de Pékin. Pour le faire accepter, elle a dû lui couper au couteau un petit doigt surnuméraire. Bientôt, on le force à chanter que (sans contrefaçon) il est une fille. Forcément, faut pas s'étonner après tout ça s'il a des problèmes d'identité sexuelle. Il devient, donc, chanteur d'opéra. Son rôle fétiche, c'est celui de la concubine malheureuse d'un roi. Son acteur fétiche, c'est le roi. Mais lui, hélas (l'acteur), lui préfère une vraie concubine. Bref, le coup classique des comédiens qui prennent le rôle de leur vie un peu trop à coeur. Mais, derrière les sentiments éternels, derrière la tradition immuable de l'opéra chinois, la vie politique de leur pays au XXème siècle connaît quelques rebondissements et coups de théâtre -qu'ils traversent comme des ombres. Fresque intimiste, mélo énorme ; à la largeur de son ambition.
Cette fausse suite d'In the mood for love prolonge en fait tout autant Nos années sauvages. On y retrouve brièvement Lulu -alias Mimi- et surtout M. Chow qui s'est laissé pousser la moustache. Il écrit des romans de science fiction érotiques, invite des filles chez lui et croise la route de trois femmes sublimes et impossibles qui ont toutes quelque chose en elles de Mme Su (ses robes, son nom, son imagination, allez savoir...). Mais, avec elles, il ne parle qu'argent ou départs. Répétitions, incantations. 2046, c'est le pays d'où l'on ne revient jamais, la chambre où le temps s'est arrêté, la date vers laquelle les trains du futur filent sans fin. Un film-univers peuplé d'hommes désenchantés et d'androïdes à émotions différées, en rouge et vert comme l'impossible réunion des contraires, en spirales ovoïdes comme l'impossible retour du temps perdu. Personne n'avait aussi bien fantas-filmé les femmes depuis Sternberg, autant aimé leurs jambes depuis Truffaut ni traqué aussi délicatement leurs larmes depuis Almodovar.