C'est l'histoire de deux serial killers très glamours, des corrida-addicted qui ne jouissent qu'en sacrifiant leur partenaire. Ils sont donc tout naturellement faits depuis la nuit des temps pour s'embrocher mutuellement à la mode Escamillo dans un orgasme sublime... Eros et Thanatos sont potes, on le sait au moins depuis Duel au soleil. Avec ce film, Almodovar a voulu faire son Pandora pervers (clone d'Ava Gardner compris). Il y a mis toutes les névroses de l'Espagne : l'Opus Dei, les mères abusives et les arènes de sable chaud. Dans cette succession de couples en rouge et noir, anges et démons se bousculent : lesquels sont les taureaux, lequels sont les toreros ? C'est pas toujours clair. Le film est un tantinet abstrait et théorique. Pas si mal pour un quasi-débutant.
Au désespoir de tout le personnel féminin de l'établissement, Ricki est enfin autorisé à quitter l'institution psychiatrique où il a passé sa jeunesse. Il n'a qu'une idée en tête : épouser Marina, la belle actrice porno qu'il a déjà croisée (et même un peu plus) une fois. Pour lui démontrer ses qualités de mari idéal, il la traque, lui offre des chocolats puis finalement la sequestre chez elle et l'attache sur son lit, tout en la pourvoyant à volonté en psychotropes divers. Jaloux, possessif, attentionné : pas de doute, il a la vocation d'époux modèle à la mode espagnole de l'époque. Le mariage comme syndrôme de Stockholm librement consenti (bien plus horrible que les films d'horreur que tournait Marina avant de connaître Ricki) : la pilule est tellement colorée qu'on l'avale sans s'en rendre compte.
J'ai une théorie sur Almodovar : il me semble que ses personnages sont toujours travaillés par l'idée d'être quelqu'un d'autre. Aucun de ses films ne l'illustre mieux que celui-ci. Voici donc : une fille qui a toujours envié sa mère artiste (la mère lui a refait le coup de Sonate d'automne), un travesti compatissant, un juge qui joue à être son propre indic (et encore, je ne vous dit pas tout), et un mort qui aimait les femmes et que peu de monde regrette. Enfermés dans leur rôle, dans leur tête ou en prison, ceux-là ne sont à l'aise qu'en changeant d'identité par le travestissement, l'art et la dissimulation (et le sacrifice, aussi !). L'émotion, les couleurs et la musique sont aussi de la partie, comme pour un magnifique feu d'artifices tragique.
Leo est une encore belle femme presqu'en fleur, presque toujours au bord de la crise de larmes. Elle écrit des romans pour dames. Elle a aussi dans ses tiroirs le scénario d'un futur film d'Almodovar (cf. Volver), mais il n'est pas encore intéressé. Elle a aussi une maman, une soeur, une bonne et une copine qui, toutes, contribuent autant à son bonheur qu'à son malheur. Et quelques anges gardiens barbus. Comme les héroïnes de ses histoires, elle ne pense qu'à l'amour -surtout celui, parti on se sait où, de son mari. Comme les héroïnes de La Garçonnière ou de Casablanca, elle se trompe d'amour. En attendant d'enfin coïncider avec elle-même, elle se cache derrière ses lunettes, ses pseudos et ses mini-jupes. Magnifique portrait de femme en train de subir une greffe de personnalité, qui se bonifie avec les revoyures.
Victor est né sous une bonne étoile -en néon- et dans un bus désert. Pourtant, sa vie de jeune jomme ne démarre pas très fort : il a 20 ans quand une jolie fille, un flic jaloux et une balle pedue l'envoient en prison sous le signe d'Archibald de la Cruz. Au bout de 10mn, on a compris que cette histoire allait se coltiner avec le désir, les fantasmes et la violence -et ne pas lésiner sur les symbôles. Victor, qui a appris la pédagogie en prison, apprend à faire l'amour avec Clara. Il ne lui restera plus qu'à apprendre la vie avec Helena. C'est l'histoire du passage de la théorie à la pratique, donc, et de l'incarnation des sentiments. Un des plus beaux films d'Almodovar.
C'est une étrange et fascinante partie de cache-cache, le destin parrallèle et mélangé de deux couples que tout oppose (les virils : une femme-torero et son journaliste de copain, les sensibles : une danseuse et un infirmier) et que le destin réunit (les hommes assistent au même spectacle, les femmes se retrouvent dans le même hôpital). Cherchez qui prendra la place d'un(e) autre et quel est le bon couple à former avec ces éléments-là : pas évident ! D'autant qu'Almodovar y va par quatre chemins : il prend le temps en route de réinventer le cinéma muet, passe par la case prison et donne un passé à chacun de ses personnages. On est étonné, ému, choqué, secoué : l'improbable cocktail est excellent.