C'est l'effervescence dans les couloirs du conservatoire d'art dramatique : aujourd'hui, on recrute les p'tits jeunes de la prochaine promotion. Se presse donc là une bande de postulants cabotins, tous plus insupportables les uns que les autres. Comme on pouvait le craindre, ce sont les pires qui sont pris -enfin, non, les pires, ce sont ceux qui ont été pris l'année d'avant. Ils sont tous jeunes, bêtes et beaux, c'est-à-dire, vus par ceux qui ne le sont plus (voir aussi Les Tricheurs), du genre à jouer avec leurs coeurs qu'ils pensent avoir déjà blasés, du genre à faire des paris stupides sur les sentiments auxquels ils pensent échapper. Mais qui n'hésitent jamais pour autant à en faire des tonnes avec leur peu (de talent) qu'ils ont. Pour paraphraser leur maître (à l'envers), ils mettent un peu trop de jeu dans leur (pseudo) vie, et pas assez de vie dans leur (imitation de) jeu. Ah, le maître... C'est bien simple, ses 10mn de présence à l'écran sont les seules dont on se souvienne. Y'a encore du boulot, les p'tits jeunes...
Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils dansent bien ensemble. Elle s'appelle Marie, il est charpentier. Pour cela et pour leur bonne bouille, on leur donnerait volontiers le bonheur sans confession. Mais elle est maquée, il est fiancé. Ils sont pauvres, le monde est contre eux. Le monde, c'est ceux de la bande à Félix, des loulous d'arrière-boutique et de ruelles sombres. Paris : ses pavés, ses guinguettes et sa belle époque, réinventés pour nous. Noir comme ses rues noires, clair comme le soleil sur la Seine, comme notre mémoire l'imaginera à jamais. En prime, un mélo intense sur la seule chose qui compte : le prix du bonheur.
Rien de tel qu'un grand viennois pour adapter notre Maupassant national (maison Tellier comprise, mais je ne crois pas que ce soit celle de mes ancêtres). On y voit des humains de toutes conditions (bourgeois, putains ou artistes, c'est tout comme) errer dans le labyritnthe de leur vie, coincés qu'ils sont dans des désirs frustrés et des destins étriqués. Et qui, parfois, trouvent tout de même une petite voie, un petit passage secret qui mène à leur innocence, un raccourci inattendu vers la grâce qu'ils ont perdue. Un petit moment de plaisir derrière les barreaux de leur morne existence. Ephémère ou illusoire, cela va sans dire, mais c'est déjà ça, juste le temps d'apercevoir ce qui aurait pu être. Et on voit ça par l'oeil d'une caméra malicieuse, plus libre qu'eux puisqu'elle traverse les murs et le temps -et les âmes aussi, parfois. C'est beau comme une partie de campagne, c'est triste pareil. Mais le bonheur (même celui du spectateur) n'est pas toujours gai...
Comme dans La Comtesse aux pieds nus, le film commence par une mort violente dont on apprend la cause en flash-back. Par exemple, que l'arme du crime est une citation de Shakespeare... Le mort est un jeune américain, débarqué quelques mois auparavant de son plein gré au Vietnam, du temps où il s'appelait encore l'Indochine. La guerre gronde au Nord. Pour l'instant, elle ne concerne que les communistes et les Français. L'américain boy scout sympathise avec un journaliste britanique revenu de tout. Ils se donnent mutuellement des leçons de démocratie et de savoir-vivre et, bientôt, aiment la même femme (ça promet). Les fils de la tragédie domestique s'emmêlent bientôt avec ceux de la politique. Les tireurs de ficelles, eux, restent dans l'ombre. Elégant et complexe, comme seul Mankiewicz en était capable.
Il faut une épidémie de varicelle et pas mal de hasards pour que Mark et Joanna se retrouvent à faire un bout de chemin ensemble (et en France). Après, ils ne peuvent plus s'empêcher de repasser toujours par les mêmes routes. Au cours de leurs vacances successives, toutes mélangées au présent de la mémoire, on voit défiler les panneaux indicateurs de leur histoire, les bornes kilométriques de leurs souvenirs. Au fil du temps, les marques de voiture et les brushing gagnent en standing (c'est comme ça qu'on arrive à s'y retrouver) ce qu'ils perdent en insouciance. L'architecte fait des lignes de plus en plus droites. La choriste fait de moins en moins entendre le son de son rire. Ils finissent même, bien sûr, par franchir les feux rouges et les lignes jaunes (qui, d'ailleurs, en France, sont blanches). Avec un sujet pareil, facile de filer loin la métaphore. Pas si facile de ne jamais quitter la route des souvenirs universellement partagés.