Pour se faire pardonner de l'idéologie suspecte de Naissance d'une nation, Griffith nous mitonne une fresque historico-morale qui ne manque pas de souffle et d'audace : l'histoire de l'humanité y est sondée (pas du tout aléatoirement) en 4 points clé, et découpée façon carpaccio de tableaux vivants. Sur les 4 histoires, il y en a 3 dont on connaît d'avance plus ou moins la fin : la vie d'un barbu à Jérusalem, dans les années 30 après lui-même ; un certain jour de la St Barthélémy en France ; la bataille de Cyrus contre Babylone aux tout débuts de la Mésopotamie (bon, là c'est un peu plus dur mais on est aidé). Et puis, il y a une histoire contemporaine plus modeste et plus indécise, un mélo qui résume et synthétise les 3 autres dans le quotidien d'une vie ordinaire. Le point de vue passe par le montage et les cartons : l'humanité n'en est qu'à son berceau, on massacre toujours les innocents au nom des meilleurs sentiments... J'oubliais : ça date d'il y a presque un siècle, donc rien à voir, bien sûr, avec ce qui se passe aujourd'hui.
Sur le cuirassé Potemkine, la viande est pourrie, les gradés sont perfides et les marins courageux. Mutinerie ! Sur les quais d'Odessa, attendent de braves prolétaires solidaires. Une révolte ? Non, Tsar, une révolution !.. Mais les soldats d'Odessa, aussi, sont perfides (d'ailleurs, on ne voit jamais leur visage). Le monde, filmé par Eisenstein, est un tableau abstrait aux lignes pures, peuplé de visages intenses. Rares sont ceux qui mèlent, comme lui, aussi bien les portraits individuels aux mouvements de foule, et les paysages naturels au monde des machines. Titanic lui a piqué tous ses plans de turbines et de pistons et innombrables sont les films qui rejoueront pour de rire le coup du landau dans l'escalier (cf. Brazil par exemple). Une révolution...
Dans les caves de l'Opéra de Paris, parfois, une ombre sort de l'ombre. Elle terrorise les danseuses en tutu, trucide quelques machinos et hypnotise la belle Catherine, doublure de diva, de derrière le mur de sa loge. Une fois, pour montrer qu'elle n'est pas contente, elle fait tomber le lustre de la grande salle sur les spectateurs. En fait, l'ombre s'appelle Eric. La plupart du temps, il vit au 6ème dessous, mais il ne dédaigne pas hanter les toits, si besoin. Des fois, il se déguise en Mort - pas besoin de se forcer beaucoup, d'ailleurs. En ce moment, on joue Faust, ça doit être son opéra préféré. N'y tenant plus, il kidnappe la belle Catherine pour lui donner des leçons de solfège (au 6ème dessous). Le reste appartient à la légende gothique du lieu, et du cinéma.
Faust, respectable savant à l'ancienne (barbe blanche, grimoires et fioles) est tenté par une reconversion expresse en dandy à la mode (pourpoing, belle gueule et belles paroles) par le diablotin Méphisto. Le pouvoir de séduire vaut bien une petite damnation. Bataille dans les âmes, bataille dans le ciel : la lumière affronte les vapeurs malines ; l'homme affronte la fragmentation de son désir. Avec une invention visuelle constante, Murnau truffe ses plans de split-screen naturels et invente le cinéma-kaléidoscope : les miroirs y reflètent l'imaginaire, les fenêtres s'y ouvrent sur le rêve. Et Faust, enfin, découvre sa vraie nature, que le grotesque Méphisto ne réussit qu'à singer : l'amour vaut bien une petite damnation.
Johnny est mécano (c'est-à-dire chauffeur-livreur-ajusteur) de locomotives. Sa monture de prédilection s'appelle la Générale. C'est la Guerre (la seule, la vraie côté US : celle de Secession). Johnny veut s'engager comme volontaire ; il est recalé à l'embauche. Mais la Générale, elle (c'est la moindre des choses quand on s'appelle comme ça), veut participer aux manoeuvres. Alors Johnny est obligé de suivre. Il joue donc le plus sérieusement du monde au train à vapeur -pour l'honneur des sudistes et les beaux yeux de sa fiancée : d'abord comme poursuivant (la Générale a été prise en otage), puis comme poursuivi (il a récupéré la Générale, les ennemis sont à ses trousses). C'est fou l'inventivité dont font preuve les hommes à cheval sur un train à vapeur, à croire que ça leur donne des ailes (de fumée). Un peu comme Naissance d'une Nation, mais en nettement plus drôle.
A Metropolis, il y a la ville d'en haut -où les bien-nés s'amusent dans d'éternels jardins - et la ville d'en bas -où les mal-nés triment 10h par jour à faire tourner des machines infernales. C'est la division verticale du capital et du travail, une sacrée fracture que seul un Messie-médiateur amoureux pourra, peut-être, réduire. A condition de ne pas se laisser abuser par une femme fatale aux deux visages... Le recit, construit comme une symphonie, est complexe, mythique, mystique. Les décors sont grandioses, les effets bluffants, les foules inquiétantes à souhait. C'est de l'expressionnisme à angle droit, une grande machine de cinéma : l'oeuvre d'un grand horloger virtuose.
C'est l'histoire d'un mec qui hésite entre sa maîtresse et sa femme, entre la ville et la campagne, entre l'ombre et la lumière. C'est l'histoire d'un type pour lequel tout semble difficile, qui doit se battre sans arrêt contre les autres, contre la nature et surtout contre la sienne propre. C'est l'histoire d'un homme qui est toujours un peu largué, dépassé, lourd, étranger à lui-même et au monde. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? C'est l'histoire d'un acteur qui a toujours l'air de s'être trompé de plateau, de ne pas être dans le bon décor. C'est l'histoire d'un cinéaste qui a inventé l'art de faire du sens avec des images, et des images avec du sens.
A l'Ange bleu, cabaret mal famé, il y a une fille sur un tonneau qui chante qu'elle est "faite pour l'amour de la tête aux pieds". Il suffit de la voir pour y croire. Débarqué là-dedans pour y traquer ses élèves les plus dissipés, un vieux et sévère professeur de collège se met soudain à y croire -à l'amour. Avec la fille sur le tonneau. Mais l'ange l'entraine en enfer, la poule le transforme en coq de (très) basse cour. Et le mauvais théatre où il s'était égaré sera aussi le témoin cruel de sa lamentable déchéance. Première victime identifiée de Marlène Dietrich (ce sera pas la dernière), le vieux prof est pitoyable est touchant. On se régale de son piteux spectacle, parce qu'il y a des moments où il vaut mieux être dans la salle que sur la scène.
Le Maroc, dernier refuge avant le désespoir (cf. plus tard Casablanca). Evidemment, c'est plein d'occidentaux désoeuvrés. On peut faire confiance à Sternberg : c'est un des cinéastes qui parvient à mettre le plus de monde, d'accessoires et de barres d'ombres dans ses plans. Et pourtant, ils sont seuls. Elle, danseuse de cabaret bi, chargée d'agrémenter le séjour des légionnaires de passage. Lui, légionnaire de passage sentant bon le sable chaud. Elle trimballe des poupées exotiques dans sa valise. Lui les préfère dans son lit. Ils sont là pour oublier leur passé, et on voit bien qu'ils ne pensent qu'à ça. Ils se draguent par habitude, se séduisent par surprise, se séparent par force. Ils se retrouveront au-delà du cynisme, là où ceux qui ont déjà tout perdu découvrent qu'ils ont encore tout à donner. La beauté des extrêmes.
Cela fait quelque temps déjà que le cinéma est devenu parlant. Et pourtant, un irréductible petit bonhomme à moustache résiste encore. Pire, il se permet de faire un film sur une aveugle qui retrouve la vue, en ignorant superbement qu'il pourrait, en plus, lui donner la parole. De quoi devenir schizo, comme ce milliardaire porté sur le whisky, dont l'amitié avec notre vagabond préféré est proportionnelle au taux d'alcool dans le sang. Charlot est décidément le seul personnage du cinéma à pouvoir ainsi cotoyer les deux visages de l'Amérique, les belles voitures et les vendeuses des rues. A pouvoir réaliser un mélo hilarant. Il n'a jamais pris la parole mais il avait encore des gestes à faire. On lui en aurait beaucoup voulu de ne pas avoir donné ce film-là.
Une calèche qui zigzague sur un chemin de Transylvanie dessiné par Gustave Doré. Malgré l'avis unanime des autochtones, un étranger, agent immobilier londonnien de son état, insiste pour honorer son RDV à minuit avec le comte Dracula -aussi connu sous le pseudo de Nosferatu. Le comte, grand seigneur, vit dans une demeure sompteuse, mais il n'a pas dû passer le balai depuis au moins 250 ans. Il compte bien, lui, profiter de son bail éternel pour une cave angaise. L'Angleterre, à cette époque, est décidément pleine de spécimen exotiques. C'est LA qu'il faut être. C'est LA qu'il se passe des choses intéressantes. Les langues, les âmes et les sangs s'y cotoient, s'y échangent, s'y mélangent -y compris avec la ménagerie du coin. C'est le pays des nantis, des filles perdues et des savants fous. De la chair à vampire 1er choix. De l'excellente chair à cauchemar.
Au lieu de se marier et de faire des enfants, comme tout le monde, Frank-E(i)nstein cherche à propager la vie par d'autres moyens. Avec un assistant qui est le frère jumeau de Casimodo, dans un labo (sans doute loué au Dr. Caligari) qui est pour toujours le prototype des endroits où se concoctent les secrets les plus inavouables de l'humanité, avec de l'audace et beaucoup d'éclairs il donne vie... à un mythe. Malgré un scénario rudimentaire qui lui laisse finalement assez peu de scènes, Boris Karloff se révèle aussi fort et fragile qu'on l'avait imaginé, à la hauteur du souvenir que nous n'avions pas encore de lui.
Les serial killers amateurs de petites filles ne datent pas d'hier. M en est l'archétype pour toujours. Avec ses yeux ronds, sa tête de gros bébé joufflu et ses manières délicates, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Attendre quand même la confession... Cette homme met la police sur les dents et la pègre sur les nerfs -comme les deux faces d'une même médaille. Un génial montage parallèle met en regard le déploiement de leurs méthodes respectives (pour attrapper un schizophrène, mieux vaut s'y mettre à deux !). Et un marchand de ballons promis à une longue carrière cinématographique (cf. par exemple Le Troisième homme ou Minority Report) scellera le destin de M. Ce film est tellement mythique que la réalité a fini par lui ressembler.
Un freak, c'est un monstre de foire, un mauvais rêve sur pattes, de ceux qui font commerce de leur bizarrerie, de ceux qu'on paie pour voir. En général, c'est aussi un être humain, partageant la vie d'autres êtres humains -dans un cirque, par exemple. Donc, il sait aimer, il sait haïr. Pourtant, les amours du nain Phroso et de la trapéziste Venus, on les sent dès le début plutôt mal parties. Les vrais monstres de l'histoire, évidemment, ne sont pas ceux qu'on croit. Et il faudra forcer un peu la justice et le destin pour que Venus devienne ce qu'elle a toujours été : une poule... Un drôle de cirque d'éclopés, une drôle de société démocratique, qui proposerait un inventaire des états du corps. Un drôle de film drôle qui ne ressemble à aucun autre -c'est bien la moindre des choses.
On ne réveille pas impunément une momie qui dort depuis 3700 ans, fallait s'en douter. Im-ho-tep a été embaumé vivant (sans son consentement, semble-t-il) et il lui reste donc quelques petites affaires à régler. Ca tombe bien, il a pour cela gardé en mémoire quelques sortilèges magiques bien utiles. Il est calme, patient (il ne doit plus être à un millier d'années près), et il sait ce qu'il veut : la fiancée dont il a été éloigné, il y a quelques siècles. Sur son passage, on retrouve d'étranges cadavres : mort de rire, mort de peur, à votre guise. Il est terriblement séduisant et terriblement dangereux. Normal : il possède le secret de l'envoutement des légendes.
Un jeune homme ahuri à la recherche d’aventure arrive dans l’endroit idéal pour en trouver : un village sous l’emprise d’un(e) vampire… Ici, les humains et les fantômes se ressemblent comme deux gouttes de poison, les rêves et la réalité se confondent, les vivants et les ombres se mêlent et se mélangent. Le film lui-même est comme dans les limbes entre le cinéma muet (intertitres, quasiment aucun autre son autre que les voix) et le cinéma parlant, dans les gris, envahi par un mal à l’état brumeux. Dans les limbes entre la vie et la mort, on y assiste même à l’enterrement du jeune ahuri depuis l’au-delà, en caméra subjective. Un film magique, digne d'un sorcier revenu des limbes.
Ca commence avec une riche rombière qui réalise notre voeux le plus secret : imposer Groucho à la tête de l'Etat. Ca continue avec un chef d'Etat voisin qui doit faire face à notre pire cauchemar : confier à Harpo et Chico une mission délicate... On passe les détails (dommage, c'est ce qu'il y a de meilleur, les détails), tout finit comme prévu : une guerre stupide et abracadabrant-gigantesque entre les deux Etats. Entre-temps, une leçon fondamentale : nous sommes tous des Groucho Marx. On est dans un autre monde possible, affranchi de la logique et du sérieux. Dans ce monde possible-là, l'année 1933 restera un excellent cru.
A 5 ans, elle monte sur le trône de Suède. Elle devient belle, lit Descartes, s'habille comme papa et gouverne comme lui -tout en aimant un peu moins la guerre, tout de même. Elle croit connaître les hommes, puisqu'elle leur ressemble. Mais elle n'a pas encore rencontré l'ambassadeur d'Espagne. Antonio lui parle d'abord comme un frère, puis la séduit comme un amant. Avec lui, elle se découvre des envies bizarres (se vautrer dans du raisin, par exemple). Elle devient Garbo, comme Victor/Victoria, une anti-Impératrice Rouge. Et quand, par amour, elle quitte son trône pour abdiquer -au grand désespoir de ses sujets-, on la croirait en train de descendre les escaliers de Cannes, assaillie de paparazzi. A la fin, elle bat haut la main le record du plus long plan sans cligner une paupière. Une reine, une vraie, n'a pas besoin de déguisement.
Au cinéma, il est souvent sorti des eaux des choses intéressantes : un cuirassé nommé Potemkine, un Boudu... L'Atalante, elle, glisse : c'est une péniche. Le patron s'appelle Jean, la patronne (qui vient de se marier avec le patron, mais n'a encore jamais vu la ville) Juliette et le marinier (qui, lui, est allé partout et a tout vu) père Jules. Il y a aussi un gamin et des chats, mais on ne sait pas comment ils s'appellent. Trois fois rien, mais en liberté, une espèce de famille re/dé-composée dans une ambiance de fête foraine. Ca n'avance pas vite, une péniche, et pourtant le monde entier les attend aux 4 nations (le bistrot du coin), dans la mémoire et sur la peau du père Jules, au détour d'un canal. Pourtant la petite croisière vaudra bien l'expérience de toute une vie. Un film comme une pépite mal dégrossie sortie des flots calmes. Vigo, c'est le Rimbaud -ou l'Evariste Galois- du cinéma : un éclair, puis la nuit. Toute sa vie dans un film.
L'opéra c'est beau, c'est noble, c'est le grand art par excellence. En plus, la jeune première est jolie. Sauf que son copain, le gentil ténor, est un figurant sans le sou tandis que le jeune premier officiel est un salaud qui la colle de trop près. Enfin, on s'inquiète pas trop quand même. Ils partent tous en tournée sur l'océan, agents, doublures et agents doubles plus ou moins officiels compris. On nous avait promis du spectacle première classe et on se retrouve embarqués dans une croisière d'opérette, à partager une cabine à 25 (attention scène culte) et à danser la polka sur le pont. Au nez et à la barbe (surtout la barbe) de héros de guerre en vadrouille. En fait, l'opéra, c'est beau et un peu emmerdant, sauf quand on en confie la machinerie et tous les rouages à une bande de brothers déchaînée. Le vrai grand art, c'est eux.
Alors que le roi Richard (coeur de lion) revient des croisades par le chemin des écolier, son frère Jean (langue de vipère) prend les choses (du pouvoir) en main. Sa trésorerie irait pour le mieux s'il n'y avait pas ce Robin (oeil de biche, sourire d'ange) pour contester son autorité. Robin est officiellement un noble, mais il est un peu mal élevé. A quelques années près, on aurait pu l'appeler un résistant. Au lieu de vivre dans un chateau, comme tout le monde, il préfère les camps scouts itinérants en pleine forêt, en compagnie d'hommes en collants qui passent leur temps à se bagarrer à coups de bâtons, ou à festoyer façon banquet de fin d'album d'Astérix. Marianne est apparemment la seule femme de la région. Elle s'habille en nonne et ne quitte pas sa forteresse, mais ne résiste tout de même pas longtemps à la meilleure flèche du Royaume. Le scénario est celui de tous les jeux d'enfants turbulents depuis 70 ans. Les costumes sont du kitsch qui ne se démode pas. Le film est de l'étoffe dont on fait les mythes.
Au début, c'est comme dans l'Ennemi public : deux gamins des rues mettent au point un mauvais petit coup de plus. C'est raté. Celui qui court le plus vite réussit à sauver sa peau (des gendarmes) et son âme (il deviendra prêtre). Pour l'autre, c'est vraiment raté : maisons de redressement, prisons, mauvais petits coups qui deviennent des gros mauvais coups. Libéré, il roule des épaules et des mécaniques et revient habiter dans son ancien quartier, narguer son premier complice et montrer le (mauvais) chemin aux nouveaux gamins de son ex-rue. Conte moral(isant), heureusement pas trop gnangnan grâce au charme canaille de Cagney, à son énergie explosive (il a toujours l'air d'être à l'étroit dans ses costumes et entre 4 murs). Même la rédemption finale par le jeu (de basket ou de théâtre) se permet d'être ambigüe, c'est dire l'audace.
Un espèce de professeur Tournesol, en quête de la clavicule intercostale (?) de son dinosaure préféré, croise la route d'une Miss Catastrophe flanquée d'un léopard de compagnie -le Bébé du titre. Pas mal, pour un début -et ce n'est vraiment qu'un début... Il faut donner le temps aux spécimens de toutes espèces de passer de la cage à la nature (et réciproquement). Les acteurs sont géniaux. Aux commandes, un de mes chouchous. Comme la plupart du temps chez lui, les femmes ont quelques longueurs d'avance sur leur partenaire masculin. Et comme toujours, la vérité a besoin d'un peu de désordre pour pointer le bout de son nez. Ce film est devenu l'étalon or de la comédie à la sauce américaine, ce monde où la fantaisie et l'invraisemblance sont un mode de vie.
Encore un mythe qui passe de justesse la barre du potable à sauver. C'est un film choral, comme on ne le disait pas encore alors. Le décor : un hôtel au coeur de Paris, avec vue sur le canal St Martin et pittoresque à tous les étages. Les personnages principaux : Paris canaille, et Paris populo. Les histoires : des maris, des femmes, des amants, et quelques coups de feu. Celle qui est mise au premier plan (une histoire de petit couple tellement jeune, beau et amoureux que c'en est désespérant -c'est eux qui le pensent !) est de loin la plus tarte et la plus barbante. Heureusement, il y a quelques briscards, pas encore si vieux que ça, qui sauvent la mise. Ils s'incrustent, forcent un peu les portes de la fiction, changent l'atmosphère à force de brasser de l'air. Ils sont les seuls à parler parisien comme aucun parisien n'a jamais parlé. Les seuls à être dignes du mythe qu'ils ont créé.
Vision politique : la Pologne du XVIIIème siècle (et d'ailleurs) est la marionnette de Moscou. Catherine II -que Françoise Rosay reprend là où Marlene l'avait laissée- reigne en maîtresse. Son amant du moment, le genre gras, borgne et vulgaire éructant contre les turcs, nous rappelle vaguement quelqu'un. Mais le petit pays résiste encore et toujours... Vision scientifico-fantastique : il se trouve un allié en la personne de Kempelen, savant excentrique qui préfère vivre avec les avatars à ressorts qu'il fabrique plutôt qu'avec leurs originaux (l'original, c'est lui). Vision mystique : le créateur finit par s'incarner dans sa créature, et se sacrifier pour elle. Précurseur sans en avoir l'air d'Astérix et de Second Life (entre autres), c'est encore mieux que dans mon souvenir ébloui de cinéphile en couettes.
A 16 ans, Scarlett est la reine des pique-nique. Son papa lui donne la recette de la potion magique du Sud, à base de terre rouge de Tara, la propriété familiale. Elle commence sa longue carrière de peste professionnelle en dragant le copain de sa cousine -une sainte. En 4h, elle réussira tout juste à l'embrasser 2 fois, tout en se permettant d'ignorer superbement le superbe Rhett Butler. Lui, elle mettra 10 ans à l'épouser (le temps de liquider 2 maris falots) et 20 ans à se rendre compte qu'elle l'aime peut-être, finalement. Cette histoire est un peu le remake en son et couleurs de la Naissance d'une nation. La 1ère partie, en rouge, est une longue succession de scènes de dépit amoureux sur fond de guerre de sécession. La 2ème partie est un long mélo. Des fois, on se dit que Fleming, qui venait tout juste de finir Le Magicien d'Oz, s'est un peu embrouillé dans les scénarios et qu'il a recasé les mêmes répliques (sur le thème : "there is no place like home") dans les deux. Attention monument ! Mais à part quelques scènes, pas sûr qu'il tienne si bien au vent...
Au début, on est dans un reportage radiophonique en direct. On passe dans un salon bourgeois. Des fois, on se croit dans une pièce de boulevard -mais pleine de répliques dignes du meilleur théâtre classique. A d'autres moments, c'est une comédie sentimentale, une satire sociale, un drame mondain. Décidément, ce film ne respecte aucune loi de construction dramatique et d'unité de ton ! Ses multiples personnages -bien que réunis ponctuellement pour une partie de chasse- ont bien du mal à constituer une société homogène. On dirait qu'ils jouent chacun une partition différente, tout en faisant mine de tenir leur rang. C'est la veille de la guerre et chacun joue perso : voilà qui ne présage rien de bon. Quant à Renoir, acteur inattendu et chef d'orchestre virtuose de cette inquiétante cacophonie, il démontre par l'absurde que l'illusoire harmonie sociale ne tient qu'à un fil. Oeuvre de chef !
Tout grand homme a d'abord été petit. Lincoln, il avait un peu d'avance sur les autres : c'était un homme grand. Honnête et malin, aussi. D'abord apprenti politicien, puis avocat débutant, il fait ici son stage de légende en devenir, d'homme au milieu des hommes. La justice est là pour révéler le Juste : c'est lors de son premier procès, dans le pire moment d'accablement, qu'il commence à ressembler à sa future statue. Après, il se tient debout et force tout le monde à lever la tête. Du haut de ses jambes interminables, il est à la hauteur de son destin. Portrait en (pas si) grandes pompes de Saint Abraham par maître John : ce que la terre d'Amérique peut produire de mieux.
Quand Tom rentre chez lui après avoir purgé 4 ans de prison, il rencontre un pasteur qui a perdu la foi, et des paysans qui ont perdu leur terre. C'est la faute aux proprios, aux patrons des proprios, aux banquiers des patrons des proprios, aux patrons des banquiers des patrons des proprios -bref, à personne. A Mme La Grande-Crise-de-29 (promise à une grande descendance). Pa' et Ma' sont réfugiés chez tontons, et ils s'apprètent à partir eux aussi. L'exode s'engage donc vers la terre promise "qui ruisselle de lait et de miel" : la Californie... Dans un tacot surchargé qui fume comme une loco, ils traversent la misère et l'injustice, l'exploitation et la suspicion. L'esprit de révolte souffle où il veut, mais il souffle fort. On dirait du Ken Loach évangélisé : Qu'elle était verte sa colère !
Philadelphia, le berceau de la démocratie en Amérique. Un palais luxueux, écuries et argenterie comprises. Une déesse (aux pieds d'argile), trois prétendants au trône : l'ex, le fiancé et le journaleux. Autour de la piscine, ces enfants de l'Olympe débattent de l'aristocratie des âmes. En gros, ça consisterait non pas à être sans défauts, mais à avoir des défauts dignes de soi. Ainsi le fiancé, parvenu, a l'art de se rendre odieux, tout en étant toujours irréprochable. L'ex, lui, bien que violent, absent ou en pyjamas, est irrésistible. Et le journaleux douteux n'est jamais aussi charmant que quand il est bourré. C'est ça la classe, ça ne s'achète pas. Ne pas exclure une éventuelle lecture politique, mais ça n'empêche pas de rigoler. Et le tout grâce à quoi ? Au champagne, bien sûr !
En 1941, Orson Welles a tout juste 25 ans. Il a déjà 10 ans de théâtre (et quelques coups d'éclat) derrière lui, tout le monde le traite comme un génie. Il est plein d'ambition, Hollywood lui fait un pont d'or. Et voilà que, pour son premier film, il imagine ce que pourrait être sa vie si, en plus, il était riche et con. Il fait la bio de son ennemi intime : un petit jeune naïf et sincère qui nait avec une mine d'or entre les mains et pas grand chose d'autre à se mettre dans le coeur. Qui s'achete (la rédaction d') un journal le jour de ses 25 ans. Puis apprend à devenir, progressivement, un capitaliste arrogant et manipulateur d'opinion, à l'aise dans les eaux troubles de la presse et de la politique. Opportuniste en politique, tête de mule en tout. Qui mourra seul et incompris de tous, en emportant dans sa tombe le secret dérisoire de son innocence perdue. Il y en a qui se sont reconnus... Pour tenter l'impossible inventaire d'une vie, Welles invente les nouvelles règles du jeu du cinéma. Impose une nouvelle construction du récit, tourne des plans impossibles. Ce petit blanc-bec a donné des leçons à tout le monde.
Pour sauver son job, une journaliste excitée -mais belles jambes- bidonne un article dont le héros s'appellerait John Doe, autant dire Jean Dupont ou M. Toutlemonde. Triomphe. Tout le monde veut connaître le type, il n'y a plus qu'à l'inventer. Pour l'incarner, elle caste un vagabond sans le sou -mais belle gueule- et lui fait lire les dicours de son papa humaniste. Capra se moque de sa morale de boy-scout, tout en la donnant à entendre avec conviction. Et puis la machine s'emballe, John Doe devient une icône. Sa pygma-lionne est débordée sur sa droite par une ombre de populisme cynique (à marionnette, marionnette et demi), on ne sait plus trop à quel saint se vouer. Reste John, fidèle à lui-même, prophète sans qualités qui accomplit les écritures des autres. Print the legend et la légende fut. Une nouvelle Genèse de l'Amérique.
Le Maroc, dernier refuge avant le désespoir (cf. Morocco). C'est un film qui en est plusieurs. Peut-être une fresque politique sur l'Amérique qui décide, en 1942, d'entrer en guerre pour libérer l'Europe, au nom des liens anciens entre les deux continents. Ou alors, un mélo tragique sur l'amour impossible entre un tenancier de bistrot et son ancienne maîtresse, retrouvée par hasard. Ensemble, ils auraient inventé la résistance glamour -celle dont le principal titre de gloire est de réussir à finir les bouteilles de champagne français avant que les allemands ne s'en emparent. Ou alors, c'est le drame de la lutte clandestine contre le nazisme, traquée jusque dans les colonies... Bref, de toute façon un film aussi généreux en intrigues, personnages, scènes d'anthologie et niveaux de lecture n'est sûrement pas devenu mythique pour rien. Play it again (and again...).
On est au temps (et dans les terres) des très riches heures du duc de Berry, la paix n'a que trop duré. Pour éviter aux hommes d'être heureux trop longtemps, le Diable a parfois envie d'ajouter son grain de fiel à l'histoire. Deux de ses envoyés arrivent donc sur Terre. Il y a Gilles, musicien mélancolique, parfois hélas un peu attiré par le côté lumineux de la Force. Et il y a Dominique, dont on se demande si les autres l'apprécient plus en homme ou en femme (et si il/elle eut jamais un coeur). Ils sont là pour faire des ravages, ils en font. Pourtant, s'ils utilisent les mêmes mots, leurs yeux ne disent pas toujours la même chose. En fait, Gilles se met même à croire un peu trop à son propre jeu avec Aaaannne. Alors, le Diable lui-même vient remettre un peu de (dés)ordre dans tout cela. Le film est un rien pompeux et solennel. On ne sait trop si c'est le coeur de la France sous occupation qu'il a voulu faire battre, à la fin, mais au moins a-t-il donné naissance à une belle statue palpitante, une certaine idée du cinéma français.
Le Lieutenant-détective McPherson -type homme d'action taciturne-, rend visite au chroniqueur mondain Waldo Lydecker -type homme de lettres fielleux-, dans sa baignoire. Et sourit. La guerre du carnet de notes contre la machine à écrire commence. L'enquête porte sur le meurtre d'une certaine Laura, avec qui Waldo a joué à Pygmalion. Il y a aussi Shelby, qui était son ex-futur potentiel époux. Elle valait le coup, Laura, à en juger par son portrait dans le salon, qui a l'air d'aimanter tous les hommes qui passent à proximité (en le regardant, ils finissent tous par se servir un whisky). Une femme de rêve, un rêve de femme, une musique entêtante qui s'insinue partout. Le temps s'inverse, se retourne et n'en finit pas de ne pas s'arrêter : on appelle ça un classique.
Transposée à la Martinique, c'est à peu près la même histoire que dans Casablanca, mâtinée d'une anticipation d'African Queen. Sauf que l'histoire d'amour (ici, entre Slim et Steve) ne s'écrit pas au passé : elle est dans le présent de l'action. Et même en direct, pour de vrai -tant les acteurs poussent loin la conscience professionnelle... Quant à en avoir (le titre original est quand même nettement meilleur), ils en ont tous les deux, ça ne fait aucun doute. En plus, tous les acteurs secondaire du genre sont aussi au rendez-vous : Greenstreet, Dalio, un bar et un piano. Et l'exotisme de pacotille. Et les 3 étages de l'hotel, pour suivre de près les fluctuations du désir. Il s'y sont mis à deux prix Nobel (Hemingway et Faulkner) pour pondre le scénario. Et un réalisateur génial. Et la grâce...
Un petit architecte débarque dans un cottage anglais où on l'appelle pour réaménager les plans du domaine. Officiellement, c'est la première fois qu'il vient là. Mais le lieu et les gens qu'il y croise, il les connaît par coeur : il n'arrête pas de les voir en rêve. Un rêve qui, apparemment, se termine très mal... Pour conjurer le mauvais sort (et à défaut de jouer au Cluedo), tout le monde se met à raconter une histoire qui fait peur. Des histoires d'objets, de maisons ou de gens hantés, à votre guise. Des histoires (l'une d'elle est dûe à M. Hamer) de prémonitions, de possessions et de perditions. Des histoires à dormir debout et à crier couché, tellement saisissantes que, des fois, on a l'impression de les avoir déjà vues en rêve. Le petit architecte arrivera-t-il à mettre un peu d'ordre dans ce chaos ? Rien n'est moins sûr...
Al est le genre de gars parti de rien pour arriver nulle part. Il a joué du piano dans des bars pour des mecs qui s'en foutaient. Il a laissé filer sa girlfriend à Hollywood. Il a tenté, pour la retrouver, de refaire le chemin des pionniers -de NY à LA. Mais avec quelques siècles de retard, comme tout le reste. Et pas assez de dollars au fond des poches. Al est le genre de type qui, à l'en croire (mais faut-il l'en croire ?) a la poisse collée aux talons comme un chewing-gum. Le genre à se prendre dans l'oeil l'aiguille planquée dans la botte de foin. A attirer les garces et les escrocs avec sa gueule de papier tue-mouche. Filmé en six jours pour le prix d'une nuit au camping, tourné dans un garage avec deux décors, quelques transparences et pas mal d'opacité : le genre de films qui résument un genre à eux tout seul, un petit concentré de perle noire.
Au siècle avant-dernier, quand la télé n'existait pas encore, les artistes de théâtre et de cabaret étaient les rois des Boulevards parisiens. Voici une femme et trois hommes qui sortent de la foule anonyme : un acteur sûr de lui, un aristocrate sûr de sa fortune, un mime-poète sûr de rien. Elle préfère le poète, bien sûr. Mais Paris (réinventé par Prévert) s'en mèle et la vie sépare ceux qui s'aiment. Car l'amour des uns fait le malheur des autres. Pour de mystérieuses raisons (c'était un de mes sujets de dissert' au lycée), les histoires d'amour impossible sont celles qui nous touchent le plus... A force d'art et de poésie, ce film envoie direct ceux qui le regardent au paradis des spectateurs.
Au début, Dorian est jeune, beau et amoureux : le portrait parfait du gendre idéal, tel que le peint son ami Basil. Mais, bientôt, perverti par un lecteur des "Fleurs du mal", il se met à fréquenter les bas-fonds de Londres (vers 1886, on y faisait décidément de mauvaises rencontres : Jack, Hide... qui est qui, telle est la question !). Ce qu'il y fait nous reste mystérieux, mais lui attire des ennuis et des ennemis. Lui voit des yeux partout mais garde son teint de bébé. La peinture, elle, traverse l'histoire de l'art à toute vitesse : il se voit dedans comme dans un miroir, mais il est bien le seul. Le roman d'Oscar Wilde m'avait fascinée. Lewin, déjà amateur des poèmes d'Omar Khayyan, de fantastique baroque et d'art raffiné, était l'homme de la situation. Un portrait, une chanson, deux tortues et un poignard : tous les éléments de sa Grande Oeuvre à venir sont déjà là.
La Belle est contrainte de faire la bonne chez ses horribles soeurs. Elle adore son papa. La Bêêête vit dans un chateau fantastique au coeur de la forêt. Le papa s'y égare, fait une gaffe. Pour avoir le droit de rentrer chez lui, il devra laisser sa fille en otage au maître des lieux. Cette Bêêête au visage de lion, aux manières de prince et aux instincts d'animal est un concentré de douleurs et de contradictions. Son domaine est une prison végétale où les murs s'animent de membres et de figures humaines qu'il n'a pas. La magie et l'inquiétude naissent des objets les plus quotidiens. Rythme majestueux, images sublimes, profusion de symboles : le sortilège opère toujours.
Le détective privé Philip Marlowe est un peu le grand frère de Sam Spade. Pour les cinéphiles, il aura à jamais le même visage : celui de Bogart en majesté, imperméable, chapeau mou, cigarette et ironie toujours au bord des lèvres. Notre homme se voit ici proposer par un vieillard impotent de démèler une affaire de chantage dans laquelle une de ses filles est impliquée. L'autre fille, c'est Lauren Bacall. Le jeu du chat et de la souris peut commencer. Quelques cadavres plus tard, l'histoire d'amour a un peu progressé mais l'affaire est toujours aussi obscure. Une anecdote célèbre (sans doute bidon) rapporte que ni le réalisateur ni les scénaristes (parmi lesquels William Faulkner himself) n'étaient capables de dire, au bout du compte, qui avait tué le chauffeur. Qu'importe ! L'atmosphère somnambulique est de celles qui font veiller très tard.
A quoi ça pourrait ressembler, un saint américain ? L'hypothèse George Bailey est ce qu'on propose de mieux sur le marché. Tout petit déjà, il sauve son frère et un petit commerce de la noyade. Il nourrit toute sa vie des ambitions de grand explorateur, sans jamais quitter son village natal. Il devient un père de famille fidèle et honnète, tout en exerçant la profession de banquier sympa. Tant de contradictions refoulées le mènent bientôt au bord de la dépression, et là il faut quand même qu'un ange stagiaire s'y colle pour le sauver du suicide. En lui montrant -sublime trouvaille- que le monde tourne nettement plus rond avec lui que sans. Quand le conte de Noël rencontre la mauvaise conscience américaine et que Capra s'en mèle, ça devient du grand art.
Ca commence avec un travelling de quelques années-lumières sur l'univers, la terre et tout le reste. Ca enchaîne avec un coup de foudre par ondes radio et par temps de guerre, et une mort suspendue par le fog. Après, c'est une Near Death Experience d'1h30 en direct live et en images de rêve, à laquelle ne manque que l'odeur d'oignons frits. Autour du charmant petit couple en sursis, s'affairent d'étonnants personnages : un représentant de l'au-delà amateur d'échecs, comme dans Le 7ème sceau, et un sympathique et mystérieux neurologue, observateur omniscient de son village et de l'esprit humain, comme Im-ho-tep. Ce film, c'est la matrice du fantastique métaphysique à la Solaris (qui lui a piqué quelques plans), et du mysticisme amoureux façon Pandora (qui lui en a piqué quelques autres). Bref, l'accomplissement de tout ce que j'attends du cinéma : qu'il nous donne des images d'un autre monde qui serait aussi le nôtre.
Sister Clodagh, brave et charmante nonne, est envoyée en mission par sa mère sup dans les hauteurs himalayennes, pour y créer une nouvelle communauté. Elle embarque avec elle une poignée d'encapuchonnées toutes aussi pleines de bonne volonté -enfin, presque toutes. Le lieu est escarpé, la population locale indifférente -sauf rémunérations. Des femmes ont déjà vécu là, en groupe, pour le compte du potentat local, mais un peu moins chaudement vêtues... Le seul saint de l'histoire vit encore plus haut, et tout seul. Le représentant de l'administration anglaise, lui, est en bas, et contre toute logique climatique il est toujours en short. Les fleurs du jardins embaument de capiteux parfums, on sent la menace de multiples vertiges. Bref, là haut, tout n'est que désordre et danger, vent, exotisme et sensualité. Elles sont entrées dans un décor (tout a été tourné en studio !) trop grand pour elles, too much pour de braves et charmantes nonnes...
Un polar, oui, mais d'Orson Welles. Donc : tarabiscoté, désabusé, grandiose. La rousse la plus explosive de l'époque -Rita Hayworth, qui ne pouvait rien lui refuser-, il lui coupe les cheveux et la teint en blonde - mais elle reste plus garce que jamais. Les mecs autour sont des ordures cyniques -mais riches. Il se réserve le rôle du baroudeur naïf sacrifié, tough guy mais pas tant que ça. Les décors sont géniaux (surtout dans quelques scènes mythiques : l'aquarium, le palai des glaces), l'atmosphère lourde, les intentions de chacun tordues à souhait. Ca ne contribue pas beaucoup à faire aimer le monde, mais beaucoup à faire aimer le cinéma !
Disons pour simplifier qu'on aurait affaire à une relecture post-western un peu trash et très ironique du "laboureur et ses enfants" : une histoire de glandus au bout du rouleau qui s'improvisent chercheurs d'or au Mexique, à la suite d'un vieux briscard. Ils ont été chauffés à blanc par la misère, mais c'est une fois le filon déniché que le plus dur commence. Ils doivent patauger dans la boue sous un soleil de plomb, rester discrets, planquer leur récolte, se méfier de tout le monde. Ils sont quatre, comme les trois mousquetaires, mais avec des armes à feu et des bandits à sombreros aux trousses. Et puis, à force de fouiller la terre, ils se creusent en eux-mêmes d'insondables boyeux creux. Ils pillent si bien qu'ils se retrouvent avec l'âme toute rabottée : à la fin, on a l'impression de voir les leur toute nues (et celle de Bogart est pas belle à voir). Il y a des hommes qui ne valent sans doute pas leur pesant de pépites. Le film, oui.
Karen est très belle. Enfermée dans un camp de prisonniers, à la fin de la guerre, elle joue sa vie sur un coup de dé. Pas le droit d'émigrer en Argentine ? Elle épouse donc le bon gars qui la drague, de l'autre côté des barbelés, et le suit à Stromboli. Sauf que Stromboli, c'est tout sauf une retraite paisible. C'est une île et un volcan. A Stromboli la vie est rude, la nature sauvage, les traces humaines toujours menacées et provisoires. Les seules ressources y sont la pêche aux thons (qui donne lieu à une séquence documentaire mémorable) et ce qu'envoie la famille partie en Amérique. A Stromboli, la vertu essentielle est la modestie. Pas le fort de Karen, d'autant que son bon gars de mari se révèle tout juste un bon gars. Elle déprime sec. Elle vivra sa leçon de dépouillement comme un chemin de croix. Pour nous faire croire que la fin et un happy end, il faudra rien moins qu'un miracle (comme dans Voyage en Italie). Le cinéma, de toute façon, peut nous faire croire à tout.
Le vénérable Docteur Faust se voit remettre une médaille pour l'ensemble de son oeuvre. Autant dire qu'il a raté sa vie et qu'il n'en a plus pour longtemps. A peine le temps de remercier toute l'équipe qu'il n'eut jamais et voilà Méfisto, démon de second plan mais bien cabotin quand même, qui lui montre le miroir de ce qu'il aurait pu être. Et voici qu'apparaît sur un écran magique (sans doute fabriqué à Hollywood) : beauté, gloire et fortune. L'amour est aussi disponible en option, mais pas forcément compatible avec le reste du scénario. Le mythe est donc revisité en version vaguement post-atomique et néo-poétique, mais en conservant princesse, bohémienne et sacs d'or. De la bonne vieille ouvrage qualité française, donc, avec les meilleurs cabotins du moment, mais qui a tout de même un peu de mal à croire à sa jeunesse éternelle. Et qui sera bientôt bien perturbé par un truc nouveau venant de la mer...
Harry Fabian est un « artiste sans art », comme l’a bien compris son voisin (un vrai artiste, lui) : un artiste qui, pour accéder à la réussite, n’a toujours choisi que les chemins les plus courts, les raccourcis les plus risqués et les plus foireux. Harry Fabian, il a la bidouille toujours brillante, le ratage toujours flamboyant -bref, quand il demande, une fois de plus, de lui prêter de l’argent pour son dernier plan mirobolant, plus personne ne lui fait plus confiance depuis longtemps, même (et surtout) la (sainte) Mary qui (des fois) partage sa vie. Pourtant, cette fois, faut reconnaître qu’on aurait presque envie de lui donner raison, à Harry Fabian. Il a déniché le Dieu vieillissant de la lutte gréco-romaine et va, grâce à lui, organiser le combat de catch réglo (si ça existe) du siècle. Enfin, presque. Dans ce polar nocturne sans coup de feu, le noir et blanc et la profondeur de champ sont éblouissants. Du coup, les personnages ont souvent l’air de ne pas être à la même échelle : il y a ceux qui se camouflent, ceux qui se voient trop grand, ceux qui voudraient bien en rabaisser un(e) autre. Harry Fabian est de plus en plus traqué et cerné, mais sa dernière arnaque désespérée sera pour sauver son âme, à défaut d’autre chose…
Réfugiés sous une porte de Kyoto (Rashômon, c'est la "porte des démons") pour échapper au déluge, trois hommes se racontent une histoire. Une sombre histoire, qui met en scène un couple traversant tranquillement la forêt, et le bandit bondissant qu'ils y rencontrent. L'histoire se termine mal, un procès vient d'avoir lieu. Face au tribunal invisible de l'Histoire, chacun des protagonistes donne sa version des faits. Les images, chaque fois, lui donnent raison. L'homme est mort, la femme a été violée, le bandit jugé. Mais c'est à peu près tout ce qu'il y a de sûr. Pour le reste, chacun sa vérité et honneur pour tous. L'histoire prend l'eau, comme tout le reste. Si on ne peut plus faire confiance aux images, où va-t-on ! Quant aux hommes... Un grand coup de de modernité dans les côtes, largement pompé depuis.
Voix off d'outre-tombe pour le premier flash-back post-mortem de l'histoire du cinéma : Joe, donc, est mort. Noyé dans l'objet de son désir : une piscine sur Sunset Blvd., Hollywood. Et avec trois balles dans la peau. Un peu avant, Joe se contentait d'être comme la moitié des habitants de L.A. : un scénariste raté. Jusqu'au jour où sa voiture crève devant chez Norma, richissime ex-star du muet, en pleine préparation ultra-secrète de son come-back. Il devient courtisan, puis courtisé. Complice, compromis, corrompu. Condamné... Victime, comme Norma, de l'illusion à laquelle il a consacré sa vie. Billy Wilder, coté obscur. Derrière l'hommage aux pionniers du cinéma, aux Griffith, DeMille et Stroheim (et au fantôme de Buster Keaton qui joue aux cartes), se profile une féroce satire et une vision fulgurante, qui désigne la rubrique people et les faits divers comme avenir possible de son art.
Guerre de 14, en pleine brousse africaine, loin de tout. Une vieille fille anglaise, qui a suivi dans ce trou son frère missionnaire, et un aventurier frustre se retrouvent sur un bateau -le fameux African Queen. Personne ne tombe à l'eau, mais c'est thé à 5h contre gin à la bouteille. Ils échaffaudent pourtant bientôt un projet extravagant : en gros, transformer leur raffiot rafistolé en lanceur de roquettes et attaquer le plus gros navire allemand de la région. En route, ils font connaissance avec l'Afrique et avec eux-mêmes. Ce bizarre mélange d'héroïsme en haillons pour has-been qui ont de beaux restes et de romantisme exotique arrive à nous faire croire à l'aristocratie du coeur. Et à l'improbable magie du cinéma.
C'est Homère-Geoffrey qui donne la clé du film : "L'amour se mesure à ce qu'on est prêt à sacrifier pour lui". Que ne sacrifierait-on pas pour Ava Gardner-Pandora ? La gloire, la richesse, la connaissance, la vie... Les mâles du film, en tout cas, ne ménagent pas leurs démonstrations de bonne volonté. Mais la sirène est en veilleuse. Pour qu'elle se jette à l'eau, il faut quelqu'un à sa hauteur. C'est alors que surgit un mystérieux "Hollandais volant" (qui, malgré son nom, est un marin et non un aviateur -et cache un lourd secret). Mais, au pays des Dieux, la tragédie, ça s'appelle du sublime. La deuxième clé, empruntée à Oscar (celui du Portrait de Dorian Gray), ça pourrait être : la vie -mort comprise- ne vaut le coup que quand elle imite l'art, quand celui-ci est une Question de vie ou de mort. Alors, la mythologie grecque peut rejoindre les vieilles légendes nordiques et le cinéma donne à vivre un instant d'éternité. Si je ne devais emporter qu'un seul film sur une île déserte, ce serait celui-là.
Blanche, délicate petite chose, échoue un jour à La Nouvelle Orléans, chez sa soeur enceinte. Elle doit cohabiter avec le mari de la soeur, un ouvrier brut(e) de décoffrage qui a visiblement un fort mauvais tailleur (il n'arrête pas de déchirer ses marcels) et n'utilise apparemment pas beaucoup de déodorant pour atténuer l'effet de son abondante sueur. Mais beau comme Brando. Ca se flaire, ça se renifle, façon minauderies ou façon ours, c'est finalement à peu près la même chose. Ca sent le fauve et le renfermé, dans ce film là. Tout le monde y est comme embarrassé ou dépassé par son propre corps. Léger et doux comme du béton armé brut de décoffrage.
Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils dansent bien ensemble. Elle s'appelle Marie, il est charpentier. Pour cela et pour leur bonne bouille, on leur donnerait volontiers le bonheur sans confession. Mais elle est maquée, il est fiancé. Ils sont pauvres, le monde est contre eux. Le monde, c'est ceux de la bande à Félix, des loulous d'arrière-boutique et de ruelles sombres. Paris : ses pavés, ses guinguettes et sa belle époque, réinventés pour nous. Noir comme ses rues noires, clair comme le soleil sur la Seine, comme notre mémoire l'imaginera à jamais. En prime, un mélo intense sur la seule chose qui compte : le prix du bonheur.
Madame de… est la très délicieuse épouse très gâtée d’un galant général. Pour régler de mystérieuses dettes, elle décide de revendre à un bijoutier des boucles d’oreilles -des diamants en forme de coeurs-, que son mari lui avait offertes « juste après leur mariage »… C’est, de tout son attirail à coquette, ce à quoi elle tient le moins, pense-t-elle. Le bijou passe de mains en mains, avant de lui revenir, en cadeau, de celles d’un très galant diplomate italien, par ailleurs très bon danseur de valses. Ce sont bien les mêmes, et pourtant ça n’a plus rien à voir. Cette fois, elle donnerait tout au monde pour les garder. C’est qu’entre temps, Mme de… a un peu changé. Elle a appris la valeur sentimentale des choses. Elle était superficielle ? Superficiellement seulement. Comme l'ambiance de l'époque. Comme la caméra, qui dessine des arabesques infiniment raffinées dans le temps et l’espace. Comme les personnages, et comme les dialogues, et comme la paire de boucles d’oreilles. Ils dansent tous très bien la valse à travers les pièces et à travers les coeurs. Les diamants en forme de coeur, ou les coeurs en forme de diamant…
En temps de guerre, les affaires marchent fort, c'est bien connu -même dans le Japon médiéval le plus reculé. Genjuro, honnête potier de son état, en profite pour mettre les bouchées doubles. Avec son beau-frère, ils constituent un stock qu'ils vont vendre à la ville. Mais l'appétit du gain vient en mangeant : au lieu, fortune faite, de retourner vivre dans leur foyer le reste de leur âge, les voilà qui se prennent à rêver de grandeur miliaire ou d'amours aristocratiques. Sans prendre garde aux signes inquiétants qui rodent, ni aux menaces qui pèsent sur leur femme. Sans prendre garde à l'infinie séduction des leurres, ni à la délicate porosité des mondes flottants. En fait, à force de plans sur la chimère et de courses aux comètes, ils courent droit à leur perte. En fait, à force de vouloir ne pas être à leur place, ils nous permettent de prendre la leur.
L'homme (se réveillant dans la voiture) : "Where are we ?". La femme (au volant) : "I don't know exactly !". Tout est dit. Où sont-ils, effectivement ? Quelque part en Italie, quelque part dans leur vie, à côté de leurs pompes anglaises. Le prétexte du voyage, c'est la vente d'un héritage. Le résultat, c'est la confrontation avec eux-mêmes, face à face. La femme en profite pour visiter les musées et les rues de Naples. L'homme tente un séjour à Capri. Leur couple, c'est fini. Pas à la hauteur de ceux qui gisent encore sous les cendres de Pompei. Et pourtant, le Vésuve fume encore... Voyager en Italie, c'est prendre l'éternité en pleine tronche. Le film est un hybride de parcours initiatique et de documentaire sur la vie à deux. Un alliage étrange qui fait des étincelles, la rencontre inoubliable de l'eau et du feu.
Comme toujours avec Mankiewicz, c'est un film sur la duplicité. Mais la duplicité sincère, la duplicité comme fidélité à ses origines. Ava Gardner, au top de sa beauté, y est une danseuse de cabaret espagnole devenue star hollywoodienne. Elle parvient sans mal à nous faire croire à cette histoire de Cendrillon qui ne renonce pas totalement à ses haillons, et poussera le paradoxe jusqu'à tromper son mari par amour pour lui. Son histoire nous est racontée en flash-back par plusieurs personnes qui assistent à son enterrement (on se doute donc que ça ne finira pas très bien). Un conte de fées spéculaire et désenchanté avec Bogart dans le rôle de la marraine, ça ne se refuse pas !
C'est un western à la fois classique et étonnant. Classique parce qu'on y croise des héros de la gachette, un saloon-tripot, une attaque de diligence, un casse de banque, un projet de gare et des oppositions entre bandes. Toute la panoplie ! Et comme toujours, la loi et l'autorité sont à négocier en permanence ; ils reviennent à ceux qui ont l'énergie de s'en emparer. Mais, en même temps, tout semble nouveau : les meneurs y sont des femmes (ce qui donne lieu à un duel final iconoclaste) ; les hommes, "gun-crazy" fatigués, font la cuisine. Il faut dire que tous les éléments de la nature s'en mèlent : tempête de vent, feu de la vengeance, cascade d'eau et galeries souterraines protectrices. Je ne suis pas très fan des westerns d'habitude, mais celui-là touche à l'essentiel...
Pour éviter le pillage de leur future récolte, un village de paysans se résoud à embaucher des samouraïs, si possibles efficaces et bon marchés. Dans le Japon du XVIème siècle, c'est apparemment toute une histoire : ces hommes-là appartiennent à des mondes différents. Au terme d'un casting serré, sept spécimens aux pedigrees et aptitudes divers sont recrutés. La résistance s'organise avec bonne volonté (côté paysan) et compétence (côté samouraïs). Ce serait présomptueux de ma part de prétendre les connaître tous par leur nom, mais on les identifie rapidement très bien. Plus une dizaine de villageois, pas si différents de ceux de notre plus mythique village gaulois (celui qui résiste, justement). Fresque militaire épique et chronique paysanne burlesque, cette guerre à échelle humaine a le bon goût de laisser le dernier mot à la vie qui continue. Chapeau (très) bas.
Gelsomina est une simplette aux grands yeux vendue par sa mère à Zampano, artiste de foire misérable. Sa petite vie sera tiraillée entre cette brute qui n'en finira jamais de briser des chaînes devant le maigre public des villages italiens qu'ils traversent, et "le fou", un funambule au costume d'ange - entre la terre et le ciel, en somme. La route, c'est autant les kilomètres avalés par leur roulotte à moteur que l'espace qui reste à parcourir à ces êtres pour se rencontrer un jour. Aux dépens de sa vie et avec ses faibles moyens (en gros : trois plans de tomate et un air de trompette), Gelsomina réussira à faire germer un embryon d'âme dans la grande carcasse solitaire du colosse aux chevilles d'argile. Les coulisses amères du cirque de la vie, le plus petit et le plus misérable, donc le plus sublime.
La rencontre improbable entre le western, le film noir et le conte de fées a donné ce bijou improbable, seule réalisation de son auteur (par ailleurs excellent acteur). Le diable s'est déguisé en pasteur, il a la tête de Robert Mitchum et il plaît aux dames. Il rejoue par coeur le sketch du combat entre le bien et le mal (les américains ont toujours adoré ça) à qui veut bien l'écouter. Mais c'est pour de faux. Pour de vrai, il n'est pas à quelques cadavres près pour récupérer son magot. Pour de vrai, c'est un grand loup dans la bergerie du monde de l'enfance. De ceux dont on a toujours adoré avoir peur.
L'adolescent est un animal à sang chaud. Il aime errer là où il n'est pas censé aller, et faire exactement le contraire de ce que lui disent ses congénaires adultes. En famille, l'adolescent a une facheuse tendance à s'opposer à l'absence d'autorité de ses géniteurs. En fait, il n'est jamais content. L'adolescent est aussi un animal grégaire. En bandes, les individus s'enferment dans des carrosseries ou s'échangent leur blouson : c'est qu'ils sont en pleine mue et qu'ils n'ont pas encore reconstitué leur carapace. Dans la nature, l'adolescent a une espérance de vie limitée. C'est un animal perdu au milieu de l'univers qui n'a pas encore appris à s'en foutre. C'est un homme en entier qui n'a pas encore eu le temps de l'oublier.
Il sera une fois le vaillant équipage d'un vaisseau spatial terrien, parti au secours des éventuels rescapés d'un précédent voyage égaré sur une planète lointaine. En fait, il y a des rescapés, mais ils ne veulent pas être secourus. L'histoire est largement pompée à Shakespeare (le scénariste-dialoguiste de "La Tempête") relookée par le Dr. freud, mais, hélàs, pas les dialogues, qui ont plutôt l'air de sortir de comics cheaps. C'est de la SF vintage, où le plus démodé est moins les costumes et l'appareillage technique que la façon de traiter la seule femme de la bande, une jolie cruche à qui on n'explique et ne demande jamais rien (à part de l'embrasser), bien qu'elle soit censée être plus savante que tous les autres. Même Nielsen a encore ses cheveux bruns, c'est dire comme ça donne l'impression de dater. Le monstre est réussi, presqu'autant que Robby, le gentil robot-minute-à-(vraiment)-tout-faire.
La petite famille Edwards est plutôt modeste, mais elle dispose tout de même d’une concession avec vue imprenable sur Monument Valley. Ethan, il fait partie de la famille (c’est le frère du père) mais c’est l’homme du dehors. Il a fait l’armée, est resté célibataire (même si on sent qu’il n’est pas insensible à sa belle-soeur), est du genre baroudeur bougon. Quand, un soir, des indiens très méchants massacrent la famille et kidnappent les deux filles, Ethan trouve une mission à sa hauteur : les retrouver. Au début, il doit se coltiner l’aide d’autres volontaires mais ils jettent vite l’éponge sauf Martin, son neveu vaguement métis, fiancé de la plus âgée des filles. La quête va durer longtemps, longtemps. Le temps de voir passer les saisons, de quadriller toute la région, de dormir dehors, toujours. Une vraie route initiatique, où chacun des deux mecs a des choses à apprendre à/de l’autre, en particulier sur ce que c’est que la famille, les liens du sang et les liens du coeur. Et Ethan, l’homme du dehors, arrivera tout de même à nous convaincre qu’il a quelque chose de potable à l’intérieur.
Entre le moment où Moïse a été retrouvé flottant sur le Nil dans son berceau et celui où il a conduit les Hébreux à travers la Mer Rouge et le désert, il a bien dû se passer des choses. Hollywood, auquel aucun secret des Dieux n'échappe, s'est chargé de combler les ellipses bibliques -en pompant largement, tout de même, sur le Nouveau Testament (que, du coup, l'Ancien semble annoncer) mais en y ajoutant quelques starlettes affriolantes. Ca donne 2h de peplum romanesque très correct. Et puis, Moïse rencontre Dieu déguisé en buisson phosphorescent et ça se gâte terriblement, côté scénario. Le film se transforme en livre d'images déconseillé aux plus de 12 ans, plein d'effets spéciaux très kitchs. Les hommes deviennent des marionnettes et on ne croit plus à rien : Charlton Heston a le regard ailleurs, il fait de grands gestes majestueux en répétant "let my people go" au méchant pharaon. Parler à Dieu face à face, forcément, ça vous change un homme. Mais dans la Bible (chapitre 19 du 1er livre des Rois), il est aussi dit que Dieu n'est pas dans les tremblements de terre, ni dans le feu du ciel. Il n'est donc pas dans les trucages hollywoodiens. Allez le chercher plutôt dans les angoisses métaphysiques d'un mécréant polonais.
Ca se passe à une époque reculée, au tournant d'un millénaire, juste avant la fin du monde. La Mort fait sa tournée mais elle est provisoirement retardée par une partie d'échecs avec un chevalier de retour des croisades (Max le grand, à qui ça a dû faire drôle de se retrouver de nouveau, un millénaire plus tard, devant un type menaçant avec un capuchon noir sur la tête). Le chevalier en sursis en profite pour tenter, une dernière fois, de comprendre quelque chose au monde qui l'entoure et au silence de Dieu. Dieu, justement, il se fait aussi bruyamment attendre par des pénitents qui fuient la peste et par des soldats qui brûlent une sorcière. Mais il se fait tendrement entendre d'un troubadour en roulotte. Un film qui ose allier le symbolisme mystique, le trouble métaphysique et le burlesque de foire, sans jamais tomber dans le ridicule. Presque aussi grand que les sujets qu'il traite.
Ca se passe quelque part sur la frontière entre le bien et le mal, le vrai et le faux, le noir et le blanc, le nord et le sud. Une bombe explose dans une voiture en marche. Deux flics sont sur les dents : le modèle mexicain : incorruptible, athlétique, jeune marié. Et le modèle américain : adipeux-avachi, ex-alcoolo reconverti dans les sucreries, qui ne croit qu'aux intuitions que lui donne sa jambe malade. Et Janet Leigh qui, décidément, a des problèmes dans les motels. Et Marlene Detriech qui, décidément, a tout compris aux hommes depuis toujours. Le premier plan (environ 3mn) est mythique. Mais le reste le vaut largement, avec tous ces cadrages impossibles, à hauteur de géant ou de ver de terre. Décidément un chef d'oeuvre.
Une version possible : un homme est obsédé par une femme, parce qu'elle ressemble à une autre, une qui l'avait fait tourner en rond et en bourrique dans les rues de San Francisco avant de se suicider (parce qu'elle-même était obsédée par une autre femme morte un siècle auparavant). Une autre version (pas plus simple) : les trois femmes n'en font qu'une, ou peut-être deux. Une autre : c'est l'homme qui a tout inventé - ou tout rêvé (comme dans Laura), ou tout mis en scène... Vertige de l'amour et de la culpabilité, spirale du temps et du désir : bienvenue au pays des fantasmes de Mr. Hitchcock ! On y tutoie des abîmes dangereux et sublimes, souvent blondes : très très haut dans mon Panthéon personnel.
Avant, Truffaut, c'était le nom d'un jeune critique de cinéma très vache. Après, il est devenu... lui-même. Derrière le polémiste plein de morgue, on a vu Jean-Pierre Léaud, son double rajeuni, en sauvageon désemparé. Une mère trop absente, un père -adoptif- trop gentil. La Ruée vers l'or, Balzac et Monika lui tiennent lieu d'éducation -ou plutôt, lui sauvent la vie. Derrière le donneur de leçon, on a vu le meilleur peintre de l'enfance depuis Zéro de conduite et Allemagne année zéro, et le plus beau portrait de Paris à 1,20m du sol. On a croisé le regard d'Antoine Doinel qui avait vu la mer pour la première fois, et on lui a souri. Nouvelle vague, annnée zéro.
Une paire d'yeux sur un champ de course. Des mains qui ne font pas ce qu'elles ont l'air de faire. Un corps qui ne fait rien comme on dirait qu'il fait. Il est de l'élite des bandits en douce. C 'est un artiste, un aristocrate du vol sans préavis et sans violence, un magicien de l'entourloupe. Il n'a de compte à rendre à personne, même pas à sa mère, même pas au policier qui le traque. Même pas à ses amis, même pas à celle que son coeur traque sans le savoir. Même pas à son âme qu'il ignore. Il embrouille, il manipule, il ne sait que leurrer les corps et dérober les choses. Il ne sait que se tromper lui-même. Comme la grâce, en somme, qui finit fatalement par lui tomber dessus.
Depuis quelque temps, des morts tout frais se réveillent. Et il semble qu'Eros, Tanna (il y a un Os ?), et leur bande d'extra-terrestres anonymes, qui viennent de survoler Hollywood, y soient pour quelque chose (ne cherchez pas trop le rapport : dans ce film, la logique et la causalité sont vraiment des notions extra-terrestres). C'est un peu une version cheap (très cheap) du Jour où la terre s'arrêta assaisonnée de zombies et de stock-shots disponibles -dont 2 plans posthumes d'outre-tombe de Bela qui, le reste du temps, a bien du mal à ressembler à sa doublure. Quelques faiblesses dans le scénar, donc, une voix-off ronflante-gonflante, des dialogues au 0,5ème degré (j'en passe, et des pires)... Et dire qu'il y en a qui ont dû payer pour ne pas rigoler !
Dans les westerns, c'est facile : le méchant, c'est celui qui tue sans raison. Le héros, il tue aussi mais il a la loi avec lui. En plus, il s'appelle souvent John Wayne. Ici, il est shérif, il doit garder en prison un méchant qui a plein de copains dans la région, avec pour adjoints un vieillard infirme et un ex-alcolo en cure de désintoxication. Un gamin joueur de guitare, aussi. Et le soutien moral d'une charmante tricheuse professionnelle avec qui il adore s'engueuler à la première occasion. Autant dire un saint bourru en santiag, surpris en plein chemin de croix dans la poussière de l'ouest. En flagrant délit de mythe.
Michel Poiccard est aux abois, traqué par la police. De toute façon, il l'a bien cherché. Dès le début, il a tué un flic et il a préféré la vendeuse du "Hérald Tribune" à celle des "Cahiers du cinéma"... Deux erreurs fatales. Il voudrait ressembler à Bogart, il n'aura droit qu'au destin maudit de ses personnages. Quelques notes jazzy obsédantes rythment ses dernières bravades inutiles. Godard filme le Paris qu'il connaît : les cinémas des Champs Elysées, les cafés et les chambres de bonne. Il y case ce qu'il connaît aussi fort bien : une intrigue à l'américaine sur un vague scénario de série noir. La greffe prend grâce à un jeune inconnu à grandes oreilles qui nous balance en face : "si vous n'aimez pas, allez vous faire foutre !". Une grande vague (nouvelle) d'insolence et de liberté.
Anna aime sandro qui aime Anna, tout en ayant l'air de s'ennuyer à mourir. Anna s'éclipse en douce, Sandro la cherche un peu, mais il a déjà trouvé Claudia qui était l'amie d'Anna. Claudia aussi cherche Anna et finit par trouver Sandro pas si mal. Ce film, c'est comme un brouillon qu'on raturerait devant nous, pour en ajouter ou en retirer un personnage. Pour les envoyer d'un côté, et puis finalement de l'autre. C'est aussi l'histoire d'un crime parfait : l'assassinat en direct d'un amour, et la naissance d'un autre qui ne vaut guère mieux. C'est un peu Stromboli et Voyage en Italie remontés à l'envers, comme en roue libre, en ayant l'air de s'en fiche mais avec la trouille (de ne pas être à la hauteur de sa vacuité) au ventre. Les paysages naturels et les couloirs des résidences sont d'une profondeur vertigineuse. L'abîme vide des êtres qui y déambulent aussi.
Marcello, chroniqueur people de la Via Veneto, pratique avec son sujet la technique de l'observation participante : toujours là où il se passe quelque chose, au milieu des princes et des starlettes, dans leurs cafés préférés ou leur villa décrépite. Il connaît tous les moyens de ne pas passer la nuit chez lui, que ce soit en faisant trempette dans la fontaine de Trevi (cultissimo !) avec une simili Marilyn-Ingrid-Bardot, ou en causant poésie avec une clone de Gertrud Stein. Parfois, il lui faut aussi cotoyer le peuple, le vrai, qui n'arrive à attirer l'attention que parce qu'il croit encore aux miracles. Mais son vrai créneau, c'est le mondain désabusé, las de ses propres transgressions, qui n'est sans doute qu'une variante polie de Freaks de foire. Dieu est mort et l'aube est un supplice sans cesse recommencé.
Quatre frères du sud débarquent un soir sans prévenir, avec mama et barda, à la soirée de fiançaille du cinquième frère, installé à Milan : début de l'exil. A cette époque, en Italie, le réalisme n'est déjà plus très neo, et Visconti commence à devenir ce qu'il est. Ses personnages habitent une cave, mais se promènent sur le toit des cathédrales. Parmi les cinq frères, il en pioche surtout deux : Rocco et Simone. Un saint et un salaud, le bon et la brute-truand dans la même famille. Et une femme, pour leur permettre de devenir ce qu'ils sont. Deux frères, deux boxeurs, deux anges en exil sur la terre.
Il nait dans une famille modeste, au-delà de la Méditerranée, pendant l'occupation romaine. Pas mal d'années dans l'ombre avant de se faire remarquer. Une parole de liberté. Il trainera des foules derrière lui et mourra crucifié. Non non, ce n'est pas lui, c'est Spartacus : faut s'attendre à un peu plus de sang parce qu'il est d'abord esclave, puis apprenti gladiateur. Un professionnel de la guerre, formé à la meilleure école : celle de la haine et de l'oppression. Tellement bon qu'il réussit à retourner le fer contre ses exploiteurs -ces romains corrompus, débauchés et sans scrupules, évidemment. Il sera pourtant vaincu par de plus grands barbares encore : ceux qui bataillent au Sénat avec leur langue. Parce que ce pouvoir là est encore plus redoutable. Haute tenue pour un péplum.
Au jeu de Marienbad, quand on connaît le truc et qu'on joue en premier, on est sûr de gagner. Mais les humains, on ne sait jamais trop à quel jeu ils jouent. Ces pingouins en cage dans un chateau, par exemple, qu'est-ce qu'ils font à ne jamais rien faire ? Et ce type, là, toujours en train d'essayer de parler à cette statue de chair en forme de Delphine Seyring, qu'est-ce qu'il cherche ? A la faire descendre de son piedestal ? A l'emmener dans les limbes ? A la piéger dans sa toile d'araignée de mots ? A l'hypnotiser pour qu'elle retrouve la mémoire ? A réveiller la somnambule qui sommeille en elle ? Petit jeu de cache-cache en labyrinthe mental. Petite leçon de jubilation gelée.
Dans la première partie, elle s'appelle Cléo Victoire. C'est une chanteuse à la mode et à robe à pois, une poupée un brin capricieuse et superficielle vers laquelle les regards d'hommes se tournent avec un brin d'insistance. Le problème, c'est qu'elle pourrait bien être très malade. Mademoiselle Victoire sent le boulet de la mort lui défaire le brushing. Alors, dans la deuxième partie, elle fait sa mue. Elle s'appelle Florence, elle s'habille en noir comme déjà en deuil d'elle-même, et elle se met à regarder les autres, avec un brin d'insistance bienveillante. Les artistes, les garçons de café et les soldats en permission, même ceux qui ne savent pas qu'elle chante dans les juke-box. En 1h30 de vie et de film, elle réussit à parcourir quelques kilomètres de pavés parisiens : quelques petits pas pour une femme, un grand bond dans son humanité.
Première apparition sur la scène du cinéma mondial du plus célèbre des espions glamours au service de Sa Gracieuse Majesté. Son nom est Bond, etc. Le film fixe à jamais le cahier des charges de la série : action, exotisme, traitrises. Costards, cocktails et p'tites pépés. Et un méchant hybride (mi-homme mi-machine, mi-asiatique mi-allemand, c'est dire comme il est méchant), savant fou-génial-mégalo, cruel et raffiné of course (c'est ce qui le perdra), qui manigance dans sa base secréte la fin du monde. Et Sean, à l'aide en eaux troubles comme s'il était au bowling, auprès de qui les méchants et les femmes tombent comme des mouches. Délicieusement désuet et nonchalant.
Jules, germanique mélancolique, tombe en amitié avec Jim, dandy français. Ils fréquentent Shakespeare, les cafés et beaucoup de jolies parisiennes. Ils vivent à toute vitesse. Le jour où ils rencontrent Catherine, elle leur rappelle quelque chose comme l'image de la beauté. C'est la première qui court plus vite qu'eux : Jules l'épouse. Ils font bien de se dépêcher, la Grande Guerre arrive. Puis les fluctuations du désir et le tourbillon de la vie. Ce film est une merveille de drame léger. Il est raccord avec ces stock-shot des années folles qui y sont intégrés, et qui montrent la vie en accéléré, comme en courant, à 23 images/seconde. Il est raccord aussi avec le présent de la mémoire, le goût de la liberté et la saveur inoubliable du bonheur en allé.
Le grand sujet des grands westerns, c'est comment créer de la civilisation dans le désert, comment passer en quelques décennies de la loi du plus fort à la loi tout court -bref, sur quels mensonges se bâtit un Etat. Face à la Liberty de faire n'importe quoi, deux hommes se dressent. Le premier est le modèle tradi : un cow-boy rustaud, as de la gachette qui ne rêve au fond que de se ranger et de fonder une famille. Le deuxième est le modèle moderne : un petit avocat venu de l'est, le nez dans ses bouquins. Au milieu : une femme. Mais ne comptez pas sur John Ford pour développer les histoires d'amour : c'est au spectateur de tout imaginer à partir de quelques regards en coin (ce sont évidemment toujours les plus belles). Lui se contente de filmer la légende -et comment on la fabrique. La démocratie et le cinéma, mode d'emploi.
En rêve il étouffe, s'asphixie, s'échappe par le haut, s'écrase dans la mer. Dans la vraie vie, c'est un réalisateur célèbre en cure dans une ville d'eau, incognito. Chapeau, lunettes noires, courtisans, toute la panoplie. Il prépare un film avec un astronef, mais ça a l'air d'avoir du mal à décoller. C'est pourtant pas comme l'imagination, qui s'emballe vite. C'est pas non plus faute d'être bien entouré. Une maîtresse, des ex, des peut-être. Et (Allo chérie bobo !) une épouse dévouée, jamais très loin. Plein de muses, de fées ou de sorcières. Abracadabra, a(sa)ni(sa)ma(sa) ! Et v'là l'enfance qui débarque. Des fois, c'est les fantasmes qui prennent le relai. Le théâtre d'un esprit ressemble parfois à un drôle de cirque. Drôle de M. (dé)loyal. En tout cas, capable du genre de films qui fait décoller les âmes. Et s'échapper par le haut, avec ou sans astronef.
Le générique est très beau : un homme en noir avance, seul, dans le magnifique décor tout en pavés, escaliers et colonnades de l'architecture vaticane. Une fourmi traverse l'éternité. Stephen Fermoyle, donc, est prêtre. Formé à Rome mais américain de coeur et irlandais d'origine, carrure d'athlète, intelligence de compétition. C'est un spécialiste de l'histoire de la réforme. Ca tombe bien, le monde bouge : on le voit au turbin des âmes en divers points du monde occidental, entre les deux guerres mondiales. On suit ses problèmes de conscience et ses intéractions avec le monde des hommes. Sérieux comme un pape (qu'il n'est pas), un peu trop poli et honnête (pour le devenir), il croise la route de beaucoup de puissants et de gros cons, de femmes idéales et de filles perdues. Il résiste à la tentation d'épouser Romy Schneider, ce qui prouve la force de sa vocation. Une grande fresque en rouge et noir, plus politique (façon Tempête à Washington) que spirituelle (façon Dix commandements). Assez impressionnante au bout du compte.
Ce film, c'est un peu le Autant en emporte le vent sicilien -en bien mieux ! C'est l'histoire de l'unification italienne vue du côté des perdants : dépassés mais fiers, lucides, désabusés. Aristocrates toujours. De ceux qui ont tout compris de l'âme de leur terre ancestrale, et qui savent anticiper son destin. Qui acceptent de "changer pour que rien ne change". Burt Lancaster est chargé d'incarner la noblesse à lui tout seul. Surprise : il passe à l'aise des dilligences du far ouest aux coupés princiers. Il pose un regard perçant de patriarche sur sa tribu familiale, sur ses pairs en pleine perdition, sur les nouvelles élites en pleine ascencion. On le suit volontiers jusqu'à son dernier bal (50mn, le dernier bal) tant la fresque est somptueuse.
Sans doute la seule fois où B.B. a été actrice (où, du moins, son absence de jeu a servi un vrai personnage). En blonde ou en brune-Louise Brooks, elle trimballe son mystère avec une opacité têtue, sous le regard désarmé de son mari-Dean Martin. La première scène est un "blason" devenu scène d'anthologie. Après, il est question de cinéma, de l'argent qui pourrit les relations humaines, de l'Ulysse d'Homère et de vie quotidienne. Il y a une longue scène de ménage, beaucoup d'effets de distanciation, quelques statues antiques et les plages de Capri. Godard fait son Voyage en Italie. La géniale musique de Georges Delerue arriverait à rattraper n'importe quel navet. En l'occurrence, rien à rattrapper, juste à ajouter un peu de mythe dans un film déjà mythique. Pour les non-initiés, c'est le Godard le plus visible. A aimer totalement, tendrement, tragiquement (les initiés comprendront).
J'avais un copain à qui ce film tenait lieu d'alcotest. Dans son état normal, il connaissait toutes les répliques par coeur. Sinon, il évaluait l'état de sa mémoire en commençant la récitation et en voyant jusqu'où il arrivait à tenir... Moi, je m'arrête tout de suite (mais je ne l'ai vu que 3 fois (et je ne suis jamais bourrée)). Au fond, c'est quoi, ce film ? Des hommes entre eux : plus très jeunes, plus très beaux, tendance bedaine ou calvitie. Ils ne disent à peu près rien d'autre que "t'ar ta gueule à la récré", mais en dialecte Audiard, ce qui change tout. Des machos à l'ancienne, face au mystère d'une jeune fille des sixties. Ce film, c'est la dernière excuse bafouillante des ours d'antan dans un monde qui n'est plus le leur -la dernière génération avant Simone de Beauvoir.
C'était au temps où la guerre froide risquait bien de ne pas le rester très longtemps. Une petite étincelle (un gradé parano, par exemple -
Sterling Hayden, encore plus gun-crazy que dans Johnny Guitar) pouvait à tout moment mettre le feu (atomique) aux poudres. Mais, ce que Kubrick filme mieux que tout et tous, c'est comment la proximité de la catastrophe émoustille les instincts guerriers les plus sauvages de l'homme (au sens purement masculin, pour une fois !), leur bêtise virile et suicidaire. Ils atteignent sans mal le fond du ridicule, pour notre plus grande jubilation, ces mâles frustrés. Le fin mot de l'histoire, laissé au sinistre Dr Folamour (génial Peter Sellers), en dit long sur le peu d'espoir qui nous est laissé...
Quatre garçons (plus un grand-père) sont dans un train. Le scénario tombe à l'eau. Que reste-t-il ? Du collage, du bricolage, tout sauf du train train. Faut dire que les garçons exercent la profession d'icônes débutantes et qu'ils sont attendus (c'est peu de le dire) à tous les tournants de leur tournée (qui tournait plutôt bien) par des hordes blondes, hurlantes et court-vêtues. Prétextes à courir plus vite, semelles de vent, et à chanter plus fort. Faut dire qu'ils chantent bien et qu'ils sont marrants, cheveux aux vents. C'est marrant, on jurerait de les avoir déjà entendus quelque part dans sa tête. Et s'ils font encore un peu peur aux grands-mères, ils aiment bien leur grand-père, ça les rend fréquentables par tout le monde. Au tournage : un autre débutant, qui a tout de même déjà fait débuter un autre débutant prometteur. Le making of étourdi (et presque sans le faire expres) d'une légende en marche (et en train) qui feint (presque) de s'ignorer encore.
Un ex-pasteur douteux et fiévreux, reconverti en guide touristique pour américaines friquées, embarque sa fournée de vieilles demoiselles sans avenir dans un cul de sac mexicain. Sur place, il y a tout de même trois femmes fréquentables, aussi dangereuses les unes que les autres : une petite allumeuse, l'hôtelière en chaleur et une espèce de sainte mendiante. Une bête étrange est tapie dans l'ombre, pendant que les humains passent la nuit à causer. Ils ont l'inquiétude métaphysique bavarde, ça se faisait beaucoup à l'époque. Mais ils sont tous au bout de leurs rouleaux. Ils sont au paradis et trop fatigués pour en profiter, il y fait plus chaud que prévu. Un film sur l'honneur des vaincus qui survivent au désastre de leur vie.
Un film dont les visages et les paroles sont la matière première. Des visages d'hommes, des visages de femmes, des visages d'enfants. Des visages magnifiques de paysans miséreux, de vrais gens pas beaux. Tout un peuple, aussi grand que celui des armées d'Alexandre Nevski. Son visage à Lui, c'est une force douce, un roc gracieux et un regard pointu. L'énergie d'un homme qui marche. Les riches et les puissants se reconnaissent, eux, à ce qu'ils ne bougent pas, et aux chapeaux démesurés qui rétrécissent leur visage. L'Homme parle, aussi. Ces paroles entendues mille fois, toujours fraîches. Sur un script éventé depuis 2000 ans, un film brut de dé-embaumage, plus vivant que toutes les hollywooderies sur le sujet. De l'eau de roche.
Lemmy Caution, il vient d'une autre galaxie et il parle comme les livres. Une nuit, il débarque à Alphaville, cette ville d'ombres et de lumières qui ressemble à Paris mais qui n'est pas Paris, avec une osbcure mission d'espionnage poétique. A Alphaville, tout est régi par un grand ordinateur, alpha60. Mais à quoi bon un alpha qui ne tend pas vers l'oméga de l'amour ? Pendant qu'alpha60 donne des cours de sémantique générale (pompés à Borgès), Lemmy Caution, toujours filmé à hauteur d'ascenceur, tente d'enseigner la littérature (celle d'Eluard, entre autres) et l'amour aux séductrices de niveaux 1 à n qui tiennent lieu de jeunes filles. Cette uchronie de science-politique-fiction-polar plagie par anticipation 2001, Brazil et Playtime, tout en annonçant de façon visionnaire Metropolis et 1984.
La petite madeleine des Noëls de mon enfance, le youkounkoun de mes 7 ans mérite-t-elle une revoyure ? Pourquoi pas ! Parce que c'est tout à la fois un thriller (plus Tontons flingueurs que Vertigo), un road movie (plus "guide Michelin" que Easy Rider), une satire sociale (plus The Party que Le Voleur de bicyclette) et un film de vacances (tout ce que vous voulez) et que ça tient encore très bien la route. Parce que la mayonnaise prend, grâce aux ingrédients (acteurs) de luxe qui y jouent et au rythme auquel ils sont secoués. Bon, sinon, c'est dommage, je me souviens toujours où est caché le youkounkoun, ce qui gâche tout de même un peu le suspens...
Vive le DVD (et la touche "Pause") ! Après 2 tentatives sur grand écran, j'ai enfin vu quelque chose dans les clichés du photographe... Reprenons au début. Un photographe très fashion, donc, et ses trois vies : celle du peuple et des ouvriers, auxquels il se mèle pour faire de l'art. Celle des postulantes top-models court-vêtues du swinging London années 60, auxquelles il se mèle aussi, pour faire de la pub. Et une 3ème, où il se mèle de ce qui ne le regarde pas. C'est celle qu'il imagine derrière les images, prises à la dérobée, d'un couple bourgeois dans un parc tranquille. Où, peut-être, se cache un meurtrier. Et un cadavre. Si le monde est un leurre et si la nature, comme dans L'Eclipse et le Désert rouge, ressemble à une peinture abstraite, dans quel sens faut-il regarder le tableau, quel est le bon angle ? Un labyrinthe avec plein de coins, un inquiétant vertige en couleur, un étrange malaise pop,
Faut vraiment pas avoir regardé la télé depuis de longues années pour avoir envie d'acheter le DVD de la Grande vadrouille. C'est mon cas. Et, après 20 ans d'abstinence de ce film, je peux le dire : c'est vraiment drôle ! Qu'il passe là-dedans plein de clichés franchouillards sur l'homosexualité supposée des anglais ou le goût de l'ordre des allemands, ça ne fait aucun doute. Que son succès s'explique en partie parce qu'il a contribué à réconcilier la génération de mes parents et grands-parents avec leurs souvenirs de guerre peu glorieux, c'est fort possible. Cela n'enlève rien au plaisir de voir les grands duellistes comiques du cinéma française, dans leur numéro sado-maso favori, transformer chaque scène en sketch. Grâce à eux, un film sympathique se transforme en icône nationale.
Au départ, c'est un de mes livres préférés : l'histoire d'un fugitif qui se réfugie sur une île déserte (mais hantée et maudite) et devient la victime (bientôt consentante) d'une espèce d'hallucination scientifiquement générée. Ce livre, c'est le mot de passe absolu de tous ceux qui préfèrent un autre monde -qu'il s'appelle vin, poésie ou vertu, littérature, cinéma ou rêves- à la réalité. Et il marque l'invention d'un nouveau type de paradoxe, quelque chose comme la superposition des espaces. Le (télé)film est très (peut-être trop) fidèle, avec sa voix off littéraire, ses fantômes futiles et rationels et son ambiance années folles décadante à souhait. On dirait du Resnais (un peu cheap quand même) : un plagiat par procuration (de l'Année dernière à Marienbad) ou par anticipation (de Je t'aime je t'aime ou de certaines idées de Mon oncle d'Amérique), autrement dit de certaines des meilleures hallucinations cinématographiquement générées.
Accrochez vos ceintures : voici l'histoire de l'humanité depuis ses commencements, en deux temps trois tableaux. Dans le premier, on voit des singes qui se tiennent debout faire joujou avec des os (pour le meilleur et pour le pire). Dans le deuxième, quelques milliers d''années plus tard, l'homme fait toujours joujou, mais avec (ou contre) une machine intelligente (pour le meilleur et pour le pire). Dans le troisième, ça se complique : le temps et l'espace ne fonctionnent plus vraiment pareil, à moins que ce ne soit la conscience qui ait encore muté. A moins que d'invisibles tireurs de ficelles ne s'amusent... A chaque fois, un gros caillou parallélépipédique, comme posé là par un Grand Poucet à l"échelle de l'univers, semble montrer la voie à suivre. A chaque fois, la mobilité et le meurtre se raffinent. Ce jeu de piste de l'âme à la recherche de ses origines (ça ne s'appelle pas pour rien une Odyssée) est beau et mystérieux comme le testament qu''on voudrait transmettre aux étoiles.
Il était une fois un réalisateur qui aurait vu et aimé Duel au soleil, Johnny Guitar, Rio Bravo et L'Homme qui tua Liberty Valance (entre autres). Il croirait donc au pouvoir hypnotique du cinéma. Il était une fois, donc, trois hommes de l'Ouest : un joueur d'harmonica taciturne, un bandit romantique et une brute sanguinaire. Il était une fois une femme qui serait à la fois une maman et une putain. Ils auraient tous des comptes à règler avec le passé, et des paris à faire sur l'avenir. Ils laisseraient pas mal de cadavres derrière eux. Pour eux, le temps se serait comme arrêté, suspendu, dilaté. Et le temps, au cinéma, c'est ce qui permet de parcourir les déserts mythiques de Monument Valley, de scruter les paysages tourmentés d'un visage, de laisser se deployer la géniale musique de Morricone. Le temps d'un merveilleux conte de fées pour grandes personnes.
Attention aux faux amis : ce Walerian-là ne va pas dans l’espace et son île d’amour n’est pas aussi sexy que certaines des autres oeuvres qu’il fera plus tard. Là, c’est plutôt du film politico-anar en mode bricolo conceptuel, fauché mais jamais en manque d’idées. Dans l’île, donc, règne un dictateur-de-père-en-fils méfiant, jaloux, cocu (de-père-en-fils aussi, sans doute) et très bête. Ca s’est déjà vu ailleurs. Les moeurs y sont étranges et rudes. On suit la destiné de quelques autochtones : le roi, la reine, son cher maître d’équitation, quelques écoliers étourdis et un ex-bagnard ambitieux. Celui-là a été gracié de justesse d’une mort funeste, et il escalade rapidement les barreaux de l’échelle sociale par son ingéniosité en pièges à mouches. Ca, c’est nettement moins banal. En fait, les dictatures, c’est des endroits où tout peut arriver. Dans les films de Boro aussi, mais c’est plus amusant à vivre.
Hypothèse : une famille bourgeoise (bonne comprise).
1ère partie. Un télégramme : "Arrive demain". Un type est là, effectivement. Beau comme un ange, lit Rimbaud. En moins de 3/4 d'heure, il s'est fait toute la famille (bonne comprise) - enfin, c'est plutôt les autres qui lui sautent dessus, d'ailleurs.
2ème partie. Un autre télégramme, Il part. Les autres n'ont plus qu'à devenir ce qu'ils sont : saint, artiste ou débauché, ce qui bien sûr revient au même, pour Pasolini. Bon, on n'a sans doute pas appris les maths dans les mêmes écoles, mais il faut reconnaître que sa démonstration est claire et tranchante : un petit coup de grâce et hop, c'est toute la "petite bourgeoisie" (comme on disait à l'époque) qui explose.
Ecoutez, bonnes gens, la balade de l'infortuné Antonio (normalement, c'est en portugais du Brésil, traduction approximative). Mercenaire des puissants, démon exterminateur, c'est Antonio de la Mort qui tue. Mais, après avoir trucidé un sous-sous-commandant Marcos de carnaval de plus et croisé le regard absent d'une sainte, Antonio change son fusil de cible. Antonio vire mystique, bloc de volonté butée, tueur à rage au service des pauvres. Un objet filmique non identifiable et non assimilable, comme une forte tête qui aurait le regard dans les nuages. Une chanson de gestes poétique deguisée en sud-western folklorique -et inversement-.
Le film qui a mis a bat le « système des studios » hollywoodien et à 50 ans de style et d’élégance de mise en scène ressemble à du travail d’amateur. D’ailleurs, ça l’est. Il montre la chevauchée pas très fantastique de deux bikers -un pas beau et un taiseux- à travers le pays. Ils viennent de se renflouer en traficotant avec le Mexique, ils ont décidé de rouler de Los Angeles à la Nouvelle Orléans -pour arriver si possible au moment du carnaval. En fait, le carnaval, il est sur la route. C’est l’Amérique la vraie qu’ils rencontrent : ses paysages majestueux, ses fermiers héroïques, ses communautés de hippies utopistes et, surtout, ses hordes de gros bouseux collés à leur patelin paumé. C’est eux les plus nombreux, en fait, et à la fin c’est eux qui gagnent. End of the dream, à peine qu’il commençait à naître. D’où, sans doute, ce goût d’inachevé, qui passe des personnages aux spectateurs. La moitié du budget a dû passer en essence, l’autre en ravitaillement weed (les acteurs ont-ils été payés autrement ?). Quand à la fin l’un des héros reconnaît que « We blew it » (on a tout foiré), on se demande s’il ne parle pas de l’ensemble du film…
Jean-Louis est ingénieur depuis peu chez Michelin, à Clermont. Célibataire, il va à la messe et y remarque Françoise. Puis il croise un ancien camarade de lycée devenu prof de philo, qui l'introduit chez Maud le soir de Noël. La nuit sera animée, mais par les esprits plus que par les corps : restés seuls, Maud et Jean-Louis se font des confidences sur le pari de Pascal, dissertent sur le hasard des rencontres et la nécessité d'aimer -et se quittent au matin. Jean-Louis hésite. Entre Maud la brune libre penseuse et Françoise la blonde pieuse, sa dialectique balance. Grand film d'action sur la parole et l'engagement, comme tous les Rohmer, chaudement recommandé à tous ceux pour qui les vies de l'esprit et du coeur sont une grande aventure.
Ce serait comme le projet d'un film rêvé, imaginé, conceptualisé. Un brouillon, le making off des repérages, des vagues velléités de casting. Ca adapterait l'Orestie d'Eschyle en Afrique. Parce que l'Orestie ça raconterait, en fait, la fin de la vengeance tribale et l'avènement de la justice des hommes, le début de la modernité (c'est la version Pasolini de l'histoire, il venait de traduire le texte pour le théâtre). Et parce que les pays d'Afrique, 10 ans avant, avaient presque partout acquis leur indépendance. On a la thèse, donc, la problématique et le plan. En guise d'illustration, quelques images d'archives de guerres locales bien barbares. On a aussi le débat d'après projection, avec des étudiants africains de Rome, et même un happening jazz qui fait intermède. Avant, pendant et après, le docu sur une fiction qui n'existe pas, tout ce qui entoure un film sans en faire vraiment partie, tout en en inventant un quand même. Assez fort quand même, en fait.
Zabriskie Point, c’est un coin paumé de la Vallée de la Mort, en Californie. Du désert jaune à perte de vue, un infini de sable gratiné au soleil. C’est là que se retrouvent Mark, étudiant contestataire et emprunteur d’avion occasionnel (pseudo Karl Marx, pour les flics) et Daria, employée-modèle-voire plus d’un entrepreneur audacieux (promoteur d’une station balnéaire en plein désert - une mauvaise interprétation de ces paradis artificiels dont parlent ses contemporains, sans doute). Ils y font l’amour-pas la guerre, en rêvant y être rejoints par tous ceux qui ont aussi jeté la clé (de leur maison bleue).
Bon, très bien mais ça s’appelle pas Vallée de la Mort pour rien et le road-trip-psychédélique movie ne se terminera pas très bien pour Mark. Daria, elle, enverrait bien tout valser (son patron et toutes ses babioles capitalistes avec) dans un feu d’artifice Pink Floyd final. Antonioni, lui, a 58 ans mais il se verrait bien à la pointe de la contestation hippie. Toujours dans les bon plans, les bons coups et les bons coins, Michelangelo !
Quand un Johnny s'en va en guerre il a... des bonheurs plein la tête, des sourires plein la mémoire. Quand un Johnny revient de guerre il a... simplement eu pas d'bol et puis voilà. Mauvaise nouvelle : vivant certes, mais aveugle, sourd, manchot et cul-de-jatte. La bonne : comme il n'a plus de visage, il ne risque pas de s'enrhumer. Johnny est un légume, mais c'est un légume pensant. Aux mains de bouchers en uniformes, et de gentilles infirmières. Il vit dans sa tête ce qui lui reste à ne pas vivre. Filmer une âme en caméra subjective, c'est toujours un peu casse-gueule (à part pour Antonioni qui ne sait faire que ça). Mais celle du soldat inconnu de toutes les guerres du monde valait bien la flamme des projecteurs.
Une patrouille perdue de conquistadors en armures, lancée dans une expédition en Amazonie. Objectif : l'Eldorado, territoire de la richesse absolue caché dans la forêt vierge des fantasmes. Penché, tordu, toujours une tête de moins que ses interlocuteurs, Aguirre est l'âme damnée du groupe, celui dont le regard halluciné est le seul à voir la direction à prendre. Quand le fleuve et les indigènes hostiles leur en laissent le temps, ces égarés se proclament solennement empereur des lieux, représentants légitimes de Dieu au pays des rêves. Ils reconstituent une parodie de cour royale avec les moyens du bord. Et vogue le radeau, vers l'inéluctable naufrage des grandeurs illusoires. Beau comme une catastrophe tranquille.
Le film préféré des américains (cf. IMDB) est l'histoire d'une famille (ce qui ne surprendra guère) qui prospère dans le crime (doit-on vraiment s'en étonner ?). La famille avant toute chose, donc : mariages, baptèmes, repas interminables pendant que les enfants courent autour de la table -de l'universel, avec juste un peu plus de pasta et d'enterrements que la moyenne. Ensuite viennent les affaires : une subtile économie du service rendu et du respect dû, de l'influence monnayée et de l'intimidation musclée ("on n'est pas des communistes !" comme ils le disent eux-même) -avec juste un peu plus de coups de feu que la moyenne. Surtout : l'histoire d'un héritage empoisonné, ou comment le regard insouciant d'un beau jeune homme intègre se fige progressivement. Les meurtres sont filmés comme des cérémonies religieuses, sa résistible ascension à lui comme une damnation.
Dans un futur indéterminé (sans doute lointain), l'homme est resté le même : avide de connaissances sur les autres, ignorant de lui-même. Il cherche à établir le Contact avec une mystérieuse planète-cerveau qui n'en fait qu'à sa tête : Solaris. Le docteur Kris Kelvin est envoyé en reconnaissance. Il ne fera face qu'à ses souvenirs, à sa mauvaise conscience et à ses doutes - à tout ce qui est indestructible en lui. L'expérience scientifique tourne donc au voyage intérieur, le récit de science fiction au parcours philosophique et spirituel (puisque l'intérieur et l'extérieur s'échangent et se répondent), capté par une caméra majestueuse. Pour faire progresser le genre humain Tarkovsky croit visiblement plus à l'art (peinture, littérature) qu'à la science, plus à l'amour et au pardon qu'à la technique. A la famille, aussi. Pas si loin que cela de 2001, l'Odyssée de l'espace (qui a peut-être bien pompé son dénouement, le bébé-planète, dans le bouquin à l'origine de Solaris) dans le domaine du Grand art mis au service d'un Grand Mystère.
Encore un film qui raconte une grande histoire d'amour... Sauf que là, il s'agit de celle d'un homme (François Truffaut) fou amoureux du cinéma depuis l'enfance, qui a réalisé son rêve : devenir réalisateur. Portrait de l'artiste en lui-même (ou presque), portrait de groupe aussi, puisque cette création-là est forcément collective (avec intrigues amoureuses et caprices de stars inclus), manuel de bricolage et d'improvisation, surtout. Ce film pourrait être le making of d'un autre qu'on ne verra pas (pas sûr qu'on en ait envie d'ailleurs), mais il est bien mieux, évidemment, puisque le cinéma est toujours plus beau que la vie. Puisqu'il rend les femmes magiques...
New-York 2022, version trash : surpollution, surpopulation, décadence généralisée. Quelques nantis occupent les apparts de luxe (blonde comprise dans le loyer), une multitude de gueux squattent les rues. Si besoin, les émeutiers se ramassent à la pelleteuse. Au milieu : les flics. Ils jouissent de leur présomption d'impunité pour améliorer l'ordinaire. Faut dire : pas fameux, l'ordinaire, quand le mieux qu'on puisse espérer est un "soleil vert" de plus, sorte de barre de céréales énergétique -mais c'est pas des céréales. Un des anciens patrons de l'usine est mort. Nous suivons l'enquête nonchalente du flic préposé à l'affaire, et la descente aux enfers climatisés du recyclage universel de son vieil adjoint. Quelques scènes mémorables, une atmosphère délétère : un drôle de film du futur qui ressemble au passé -à moins que ça ne soit le contraire.
On ne change pas une famille qui gagne. Vous voulez la suite ? Vous aurez le préquel (30 ans avant) et le séquel (5 ans après) pour le même prix ! Histoire de bien comprendre comment, en deux générations, on passe du petit racket de quartier à l'escroquerie grandeur nature (en l'occurrence, le pillage en règle de Cuba). Le crime organisé vit sa révolution industrielle, en quelque sorte. Michaël a pris la place de son père, et il s'en montre digne. Le plus dur -le baptème du sang inaugural- a déjà eu lieu dans l'épisode précédent. Mais la famille n'est plus ce qu'elle était : le frangin restant n'est pas le plus brillant, la frangine ne sait pas ce qu'elle veut, et Kay ose dire qu'elle n'est pas contente. On ne peut même plus compter sur les politiciens, qui envoient Michaël en commission d'enquête. Grandeur et décadence du crime business, apogée flamboyante du murder show.
Un Faust musicien rencontre un Dorian Gray déguisé en pop star qui, après lui avoir tout piqué (entre autres : sa musique, son corps et son âme), le transforme en zombie à sa botte (de rocker) en s'alliant avec un Frankenstein punk. Mais le Faust, qui aime une Phoenix, se mue en oiseau de proie et devient le fantôme de l'Opéra rock qu'il a écrit (je résume en gros). Il n'y va pas avec le dos de la guitare, le De Palma. Il met des caméras et des miroirs partout, cite, pille et recycle tous ses Dieux et ne nous cache rien du rouge Paradis(e) des vengeances assassines dans le milieu pourri-gâté du show-biz. Une mise en abîme speedée de toutes les mises en abîmes possibles, qui donne le vertige des miroirs parrallèles.
Marguerite, c'était la gourou de mon adolescence ; Le ravissement de Lol V. Stein un de mes livres cultes. Autant dire que je suis capable de tenir des heures devant un vide aussi plein qu'India Song... Nocturne indien, réception chez l'ambassadeur. Champagne, musique. Une femme passe de bras en bras. Un homme pur et maudit crie qu'il l'aime. Mélancolie ouatée, élégance du désespoir. Des fois, il y a des personnages ensemble dans le même plan, mais ils n'habitent jamais le même espace. Sauf quand ils dansent. Sinon, des paysages flottants, des bouts de conversation. Comme L'année dernière à Marienbad, ce film, c'est comme un objet qui serait quelque part entre l'écran et le spectateur. Ailleurs, avant. Les images en sont une projection partielle, les sons en sont une autre. La meilleure, c'est celle qui reste dans la tête,
Australie, dernière gare avant la fin du monde. Il pleut des ballons de grêle dans le désert et des grenouilles sur les trottoirs. Y'a plus de saisons, c'est le monde à l'envers. Des bushmen taciturnes, restes de tribus aborigènes rescapés dans le désert des villes, en profitent pour règler leurs derniers comptes. On pressent une apocalypse liquide, on comprend qu'ils sont les seuls à savoir nager. David, avocat bien propre sur lui, en est tout éclaboussé. Alors que toute sa vie prend l'eau, il essaie, avec quelques initiés, de sauver sa mémoire du naufrage. Australie, 2h-1/4 avant le déluge. Juste le temps de réconcilier quelques barbares blancs avec le Temps du Rêve oublié.
Une princesse sequestrée par un grand méchant loup (RDV dans Le Retour du Jedi pour comprendre qui c'est) envoie, à défaut de bouteille à la mer, un droïde dans l'espace. Un jeune et gentil fermier du désert le récupère. Pour sauver la princesse, il devra se faire chevalier, suivre les enseignements d'un grand maître et parcourir un long chemin initiatique... Effectivement, ça se passe bien il y a très très longtemps, dans tous les livres d'images de tous les enfants du système solaire, relookés par Metropolis, Casablanca, 2001, Kurosawa et pas mal de westerns. Je saute un peu les étapes mais, à la fin, une fois la princesse récupérée, le postulant chevalier se retrouve dans un bolide volant avec une nuée de confrères, qui ne pensent tous qu'à envoyer un petit coup de feu bien placé dans une espèce de grosse ovule noire. Sacré Lucas ! Un peu plus et on n'y aurait vu que du feu (mais quel feu !).
Au début, on comprend rien. Y’a des types qui se coursent les uns après les autres dans des bolides (autos ou motos) customisés, ce qui a l’air de les rendre assez hystériques. Y’a des gangs simili-punks, qui dévalisent ce qu’ils peuvent. Y’a des simili-flics, très sexys dans leur uniforme tout cuir, qui font à peu près la même chose, sauf qu’ils sont censés les chasser, quand ils ne sont pas chassés par eux. Après, on comprend que y’a rien comprendre, que c’est le chaos et que ces courses dans un sens ou dans un autre seront les seules actions à attendre. Y’a quand même un flic -Max, donc- qui a l’air d’avoir une vie en dehors de l’asphalte, mais c’est pas pour longtemps. Au moins, on sait ce qu’il aura à regretter. Ce premier épisode (nettement moins bon que le deuxième) est un peu brouillon, mais il a le mérite d’inventer une gueule qui, à ce moment-là, attire toute notre sympathie. Et de poser les bases d’un univers original, où le visuel prime sur le scénar. Y’a des fans. On passe son temps sur la route, à traverser les paysages à toute vitesse. C’est un peu comme dans le Tour de France. Mais en Australie. Et sans vélo.
New York, mode d'emploi. Son aède s'appelle Isaac. Il a une ex-femme qui a viré lesbienne, une petite-amie-trop-bien-mais-trop-jeune-pour-lui, et une attirance poussée pour la maîtresse de son meilleur pote, une cérébrale presque aussi tourmentée que lui. Tous, cela va sans dire, artistes-intellos-bobos très intelligents, très cultivés et très malheureux. Grâce à ce sublime hypocondriaque, la carte du tendre du XXème siècle a pris la forme des rues de Manhattan. Mais c'est une carte en 3D, avec ses tours, son parc, ses ponts et ses cafés. Et une quatrième dimension pour la vie de l'esprit, les cinémas et les musées. Un petit univers en entier dans une grosse pomme, le paradis des vers de terre qui ont la tête dans les étoiles. Et la BO de la ville est du Gershwin forever.
Comme dans la Nuit du chasseur, le loup, on le voit arriver de haut, et de loin. Il s'appelle Jack, écrivain, sourcils menaçants ; il vient de dégotter un petit job peinard : jouer au gardien d'hiver dans un hôtel paumé. Il y emmène sa femme et son fils. Faut bien le dire : dans ce film, il ne se passe à peu près rien. L'hôtel est un labyrinthe aux plafonds hauts, aux tapis seventies recouvrant une splendeur passée. C'est plein de vide et de musique stessante. Certes, quelques fantômes errent dans les couloirs (et dans la chambre 237). Mais c'est surtout dans le labyrinthe bas de plafond de ses pensées que Jack se perd. Une seule question demeure sans réponse : qui lui a ouvert la porte ?
Richard Collier, écrivain dramatique beau comme un Dieu (qu'il fut dans un autre film, une autre vie...), est l'idole des vieilles dames (enfin, surtout d'une, apparemment…). Un jour qu'il est un peu contrarié, il se paye une petite escapade dans un grand hôtel des environs (de Chicago). Là, il tombe amoureux d'un portrait sur un mur : celui d'une très belle actrice du début du XXème siècle à la carrière aussi fulgurante que brève, prématurément retraitée des planches… et devenue 60 ans plus tard sa groupie sénior. En fait, il se sont connus en vrai, en 1912, dans ce même grand hôtel. En fait, il va l'y rejoindre en voyageant dans le temps, par la seule force de son mental et de ses sentiments, pour lui permettre d'accomplir ce destin qu'elle a déjà vécu. En fait, tout a commencé là bas, à ce moment-là, dans ce passé dont lui n'a encore aucun souvenir. L'amour comme éternel paradoxe temporel, comme flash back mental idéal dans les souvenirs qu'il nous reste à découvrir... Pandora nous a déjà fait le coup, mais (pour moi) ça marche à tous les coups. C'est beau, romantique et kitch comme on n'en fait plus, tellement premier degré qu'on est obligés de s'incliner.
De mon avis unanime : le meilleur de la série. Celui de la découverte et de l'exploration de soi-même, cet univers perdu dans la galaxie... Comme il se doit depuis Freud, en 3 tableaux. D'abord, le désert enneigé de Hoth, où il faut affronter un monstre à longues dents et des tanks à 4 pattes. Puis les marécages de Dagobah où Luke plonge, à la recherche de la sagesse. Un maître à longues oreilles échappé du Muppet Show il rencontrera. Pendant ce temps, Han Solo explore les mystères des organismes intersidéraux et, dans un gag récurrent, échoue à passer à la vitesse supérieure en présence de la Princesse Leia. Finalement, tout le monde se retrouve presque miraculeusement à la Citée des Nuages (c'est fou comme l'univers est petit), paradis où le Maître n'est pas forcément celui qu'on croit. Perturbations dans la Force, côté obscur. Conversions massives aussi côté salles (tout aussi obscures).
En 35, c'est bien connu, les Nazis n'avaient pas grand chose d'autre à faire que fouiller le désert egyptien à la recherche de l'Arche d'Alliance mythique des Juifs, ce truc qui renferme le seul manuscrit connu de Dieu lui-même (celui que Charlton Heston a descendu du Sinaï). Les Américains, qui sentent le coup de l'arme suprème, envoient leur meilleur atout. Jones, il s'appelle Jones. Prénom : Indiana ; profession : archéologue de la mémoire occidentale, explorateur de mythes, savant et aventurier tout terrain. Une sorte de Tintin sexy, plus cuir et moins bien rasé, héritier en ligne directe d'Ulysse et de l'Homme de Rio. Toujours prêt pour un voyage au fond de lui-même, toujours là pour la bagarre contre ses fantômes. Le XXème siècle finissant s'est enfin inventé le héros qu'il aurait dû avoir.
C'est en 2019 que les "répliquants" (créatures artificielles créées à l'image de l'homme) les plus évolués commencent à se poser des questions métaphysiques. A cette époque-là, ils passent haut la main le test de Turing, mais ont encore un peu de mal avec celui de Voight-Kampff : un truc qui, apparemment, a à voir avec la dilatation de leur pupille sous l'effet d'une émotion (ce qui ne les empêche pas de bosser comme des brutes dans des colonies lointaines). Ca les pousse à venir demander une augmentation (de durée de vie) à leur patron, à L.A. (devenu un souk asiatique brumeux). Deckard, lui, a la pupille exercée à repérer les répliquants (peut-être bien qu'il leur ressemble un peu trop, d'ailleurs) : il est chargé d'intercepter l'ambassade. Du coup, il commence à se poser des questions métaphysiques... Un must, à voir les pupilles (et les questions métaphysiques) bien ouvertes.
Nantes, quelques années avant Lola. Grève d'ouvriers dans les chantiers navals, rififi domestique chez les bourgeois. Tout converge vers l'appartement de Mme Langlois, un antre purpurin rongé par l'ombre, à mi-chemin entre la cathédrale et la préfecture. La dame est une ex-baronne qui a perdu sa particule et ses illusions en épousant un colonel, mort depuis en Indochine. Pour éponger ses dettes et son gros-plant, elle loue une chambre à un ouvrier (en grève) et tente de rabibocher le tout récent mariage de sa garce de fille Edith. Le beau métallo se bat pour défendre ses droits (au bonheur), Edith aussi, Ils sont faits l'un pour l'autre, aussi à poil l'un que l'autre, avec ou sans fourrure. Ce film, c'est comme une pierre de volcan : dense, sombre, dure et rapeuse, très longuement cuite et recuite dans les entrailles de la terre (et du réalisateur), et qui vient exploser à la figure des tièdes. Du Demy en musique, mais sans voiles.
Eliott, parfait petit américain névrosé, rencontre E.T., son double en concentré qui vient de l'espace : un parfait petit alien névrosé à tête de vieille grenouille (ou de foeutus avorté), son semblable son frère, son jouet. Ici, c'est un peu le Magicien d'Oz à l'envers : c'est l'autre, celui qui vient de la même planète que Yoda (ou de U-anus ?), qui veut rentrer at home. Au home d'Eliott, en revanche, il y a des pizzas qui trainent et de la bière dans le frigo, mais pas de père à l'horizon. Heureusement, il ne manque pas de pairs-potes, prêts à pédaler secs pour ré-expédier l'alien à l'envoyeur. On n'a jamais trouvé mieux pour dire en revoir à son enfance que de l'envoyer dans l'espace en soucoupe volante.
Tron, c'est un Voyage fantastique sous influence Star Wars à l'intérieur de HAL. On y suit Flynn, informaticien-donc-génial, passé de l'autre côté de l'interface graphique, faire connaissance avec la virtualité réelle. Transformé en avatar à son image, il se retrouve condamné à combattre les algorithmes-gladiateurs qu'il a lui-même conçus, afin de neutraliser le Great Master Control, un ex-programme d'échecs qui a buggé mégalo. Bon, pour les explications sur l'architecture de Von Neumann, je conseille plutôt mon poly de cours. Mais aucun informaticien -et aucun spectateur- ne peut être insensible à la poésie d'une discussion -forcément un peu binaire- avec un bit errant, ou aux éclairs bleutés d'une donnée en transit dans les mornes plaines numériques.
D'abord : libérer Han et Leïa de la bave d'une grosse limace lubrique qui les retient prisonniers. Ensuite, recueillir les dernières paroles de son petit grand maître vénéré, avant de participer à des courses de motocyclette volante en pleine forêt. Enfin, détruire l'étoile noire nouvelle version (cf. La Guerre des étoiles : le propre des méchants, c'est qu'ils manquent d'imagination) grâce à une armée de Teddy Bears, tout en réglant son Oedipe à coup de sabre laser. Pas de tout repos, d'être un apprenti Jedi, surtout quand on n'a pas la carrure d'un Hercule. Le mythe fait un peu place à un catalogue qui se parodie lui-même. La suite va manquer de méchants. On va s'ennuyer. On regrette déjà la série...
Biopic d'un certain Mozart, par le petit bout de la lorgnette (mal embouchée) d'un de ses rivaux, un certain Salieri. Salieri, c'est le roi des médiocres, le génie des nazes. Il veut mettre son (petit) talent musical au service de Dieu, en échange d'1/4h (voire plus si possible) de gloire. Mais Dieu s'en fout. Mozart, lui, n'a rien demandé et il a tout reçu -même le droit d'être vulgaire. Alors, à défaut d'être aimé de Dieu (comme Ama-deus), Salieri devient le devil-ex-machina de la vie de l'autre. Tout en l'admirant secrêtement, il le harcèle, le torture, l'assassine au petit feu du travail. Il venge ainsi tous ses frères humains qui ne naissent pas, quoi qu'ils en disent, libres et égaux en dons. Après un tel film, le silence est encore du Mozart, mais le malaise est encore du Salieri.
En 10 000 et quelques. Paul, héritier de la famille Atr(e)ide, -Usul pour les intimes- devient parmi les Fre(e)men un rebelle connu sous le nom de Muad'Dib avant de se révéler être le Kwisatch Haderach que l'ordre des Bene Guesserit attend... Hem, pour suivre, il vaut mieux avoir révisé ses classiques. Enfin, des fois quand même, on arrive à s'y retrouver : un peu de Jules Verne dans les décors, d'Angleterre victorienne dans les costumes. On comprend aussi l'importance de l'épice, substance qui étend le champ de la conscience, fait voyager sans bouger et met de la couleur dans les yeux (hem...). On comprend que sur la planète Dune, pour être un homme, il faut apprendre à maîtriser et chevaucher un ver des sables d'au moins 400m de long (hem hem...). On comprend que le gros lard flottant qui a toujours les mains dans le sang est un méchant, tout comme l'espèce de foetus mutant qui replie l'espace par la pensée. On comprend surtout que c'est dur dur de se réveiller de l'enfance pour devenir un homme...
A l'Obi Wan bar, tripot de Shangai, Indiana se souvient d'être un héros. Il perd quelques plumes, comme d'hab, mais gagne le droit de trimballer une cruche blonde et un gamin pour le reste du film. Lequel film prend ensuite la route des Indes -des Indes mythiques sous influence Fritz Lang, comme si le Tombeau indou était tombé dans les bas-fonds de Metropolis. L'aventure prend cette fois la forme d'un trip immobile, un Voyage fantastique au fond de gouffres amers, rouges comme des entrailles, chauds comme les enfers. Atmosphère lourde et sombre, ambiance claustro (faudra attendre l'épisode suivant pour affiner le bronzage) : pas facile tous les jours d'accoucher du héros qui est en soi.
Noodles fume de l'opium. Non pas pour oublier, mais pour se souvenir d'oublier éternellement. Oublier éternellement sa jeunesse de James Cagney, apprenti parrain sur les trottoirs de New-York. Oublier Deborah, celle qu'il a toujours aimé, celle qui n'a jamais voulu de lui. Oublier Max, celui qu'il a toujours aimé, celui qu'il a trahi. En fait, ce qu'il ne lui pardonnera jamais, à Max, c'est qu'il est encore plus fort que lui : Max, il a réussir à trahir une trahison. En quelques décennies, il en est passé du sang sous le pont de Brooklyn. Oublier éternellement que la clé du coffre est restée cachée dans le balancier de la pendule, comme toujours, même si le magot s'est envolé. La version western du mythe de l'ouest était une histoire de vengeance. La version noire, c'est une histoire de vengeance contre soi-même. Noodles en rit encore.
Je ne sais pas si Terry Gilliam avait entendu parler de l'effet papillon. Lui, en tout cas, a inventé l'effet moustique. C'est un stupide moustique écrasé tombé sur un listing qui est le point de départ cataclysmique de ce film. Fatal engrenage parce que, dans le monde de Brazil, les papiers, les machines et les tuyaux sont bien plus importants que les hommes : un moustique, et tout peut dérailler. D'ailleurs, tout déraille. Au fait, où et quand ça se passe ? Bonne question ! Il y a des gens qui travaillent (plus ou moins), des riches qui se pavanent et des pauvres qui rament, des faux-culs, des clandestins et des fonctionnaires. Donc c'est à peu près comme ici et maintenant et toujours -mais en pire. Ce monde-là, on ne l'a jamais vu nulle part mais on a l'impression de le reconnaître tout de suite. C'est par où la sortie ? Alors là, pas de bonne réponse. Essayer la musique et le rêve, à tout hasard.
Le brillant professeur Brundle a le mal des transports. Alors, il travaille sur le voyage immobile : la téléportation... C'est presque au point, il ne lui manque plus que le brin de folie final. C'est justement ce que lui apporte la belle Veronica, journaliste scientifique émoustillée par la découverte du siècle... et par Brundle. Ayant goûté aux vertiges de la chair, le cérébral professeur est enfin prêt à toutes les hybridations : un soir de beuverie, il se décide à tester sa machine sur lui-même. Le seul problème c'est que, ce soir-là, une mouche a la même idée, au même moment, au même endroit. La machine s'emmêle un peu les ADN, et recrache un superbe OGM : Organisme Génétiquement Monstrueux, mi-mouche mi-Brundle. Au début, tout va bien : Brundle apprend à marcher sur les murs comme Spiderman. Mais bientôt, il récupère la tête d'Elephant man et ça devient moins rigolo pour lui et son entourage. Cronenberg a tout compris : le monstre est en nous depuis toujours et la mouche est l'avenir de l'homme.
Voici l'homme. C'est un écrivain, un acteur, un poète, un philosophe. Un artiste, quoi. Et un père. Un nain entre les doigts de Dieu, un Dieu qui ne sait pas quoi faire de ses dix doigts. C'est un ange et une bête, un milieu entre tout et rien, comme disait l'autre. C'est le Christ et c'est Ponce Pilate. Le reste du monde, pendant ce temps, ne va pas bien. Peut-être même qu'il est déjà mort, que l'apocalypse est déjà passée par là. En désespoir de tout, l'homme n'a plus qu'à prier, et à renoncer. A tout, aussi, sauf à l'amour. Comme c'est à la fois un saint et un dingue, on ne sait pas trop s'il a sauvé le monde, ou s'il a tout crâmé pour rien -ce en quoi ce genre de films diffère sensiblement de ceux de Bruce Willis. Ce dialogue en altitude entre une grand nordiste et un grand slave est de ceux qui élèvent le regard vers le haut... très haut.
Les anges sont parmi nous. Invisibles (sauf aux enfants), ils voient tout, entendent toutes nos pensées, traversent les murs (même celui de Berlin, alors bien debout !) et ne peuvent (presque) rien pour influencer le cours du monde et le destin des hommes -commes les artistes, peut-être. Ils nous plaignent et nous envient parfois, nous pauvres mortels, d'avoir des sens et des émotions. Alors certains franchissent la barrière (des espèces) pour apprendre à vivre vraiment... Ce magnifique poème visuel, ode incantatoire à l'humanité, à l'amour et à ceux qui en témoignent dans leur art, est là pour nous rappeler encore et encore la dureté et la beauté du monde.
Chez les Bambaras, pour devenir un homme, il faut faire connaissance avec ses ancêtres et avec leur histoire -longue et compliquée, forcément. Il faut quitter sa mère, traverser le pays et les générations, rencontrer d'autres femmes. Il faut affronter ses semblables différents et mesurer sur eux l'étendue de ses pouvoirs. Et il faut bien, un jour, affronter le "pilon magique" de son père. Chez les Bambaras, comme partout, pour devenir un homme, il faut, au moins, toute la mémoire du monde. Ce 2001, l'Odysée de l'espace à l'africaine est une machine à remonter le temps du mythe jusqu'à la lumière originaire, une Genèse animiste à la complexité biblique, belle comme une cosmogonie et universelle comme un conte.
Le Décalogue, c'est ce truc en 10 leçons pour apprendre à compter sur ses doigts, qui date d'au moins 3000 ans avant Jean-Paul II, que Charlton Heston a descendu du Mont Sinaï avec de la poussière dans la barbe et des étoiles dans les yeux... En plus, au Trivial Pursuit, on en oublie toujours un ou deux. Le Décalogue, c'est aussi le pari fou d'un cinéaste génial, réalisé pour la télé polonaise, à une époque où son pays roulait en pots de yaourt derrière le rideau de fer.
Dix films, donc : environ 1h chacun, quelques dizaines de personnages. Ils habitent presque tous le même bloc d'immeubles tristes de Varsovie. De multiples liens les relient entre eux, à leurs voisins de palier et au reste du monde. Ils sont profs, artistes, médecins ou chauffeurs de taxi : des pros de la condition humaine, donc. Le co-scénariste, lui, est avocat : un pro, lui aussi. Il plaide ici la cause de ses semblables, ces bonshommes maladroits qui rêvent de contrôle et de maîtrise. Ces dix histoires ne donnent aucune leçon. Elles ne mettent pas en scène des cas de conscience ; elles évoquent juste ces moments où le sort d'une vie se joue sur le fil d'un rasoir. Où l'âme est au bord du précipice, où un regard muet peut tout changer. Elles montrent que chaque homme est le miroir de ses semblables. Dans ces films, on croise le vertige métaphysique au coin d'un bloc de béton. Les acteurs nous sont inconnus mais ils sont nos proches, nos tout proches. Quant à la nature, aux décors et aux objets, ils n'ont jamais joué aussi bien dans aucun autre film...
Beaucoup de bruits (à sa sortie) pour pas grand chose... Pas facile de faire un film de plus avec cette histoire-là. Avec cet homme-là. Scorcese s'y colle. Ses héros sont souvent des Christ, mais son Christ n'est pas un héros. Un peu de provoc facile (Jésus potentiellement adultère), quelques belles idées (Judas l'ami fidèle, comme chez Borgès, les romains descendant l'escalier d'Odessa en plein souk de Jérusalem), quelques fautes de goût aussi (Jean-Baptiste en gourou beatnik, Jésus qui s'arrache le coeur à main nue au milieu du ventre). Mais surtout, un message ambigu : ce Christ est un marginal épileptique, qui passe des paroles d'amour aux actes de guerre sans jamais cesser de répéter qu'il n'est sûr de rien, qu'il ne sait pas ce que Dieu attend de lui. C'est le doute fait chair, et l'Histoire n'a pas besoin de lui. Là est le vrai scandale, plus que ce rêve fait, le temps d'un envoutement sur la croix, de ne pas être Lui. Mélange, étrange parfois, de réalisme post-Persona et de conte oriental qui finit mal -mais on s'en doutait un peu.
C'est un peu comme dans le Parrain II : pour comprendre la suite, revenons d'abord aux sources. Indiana, donc, a été jeune, et il a eu un père (sans doute aussi une mère, mais les personnages féminins n'ont jamais été le point fort de la série). Il a tout appris de lui, et puis il a développé son style perso, plus décontracté. Ils sont fachés, ils sont restés rivaux en tout. Or, là, le Père, qui était parti tout seul à la quête du Graal, a été intercepté par des méchants. Au programme du jeu de piste pour le retrouver : visite guidée des égouts de Venise, détour par un châteaux hanté par les Nazis, crochet par Berlin pour récupérer un autographe du Fuhrer, avant de retrouver le bon vieux désert biblique de l'épisode 1. Là, pour avoir le droit de rencontrer un père Fouras de 750 ans environ, il faudra encore résoudre quelques énigmes. On se doute assez tôt que, de toute façon, le père, le fils (et le saint esprit cinématographique) auront droit à l'immortalité des légendes.
Quelle mouche a bien pu piquer l'auteur du Déclin de l'empire américain pour qu'il se lance ainsi, lui le chantre des intellos libertins, dans un Jésus au pays du show-biz -anticlérical certes, mais très fidèle aux Evangiles ? En fait, il parle toujours de la même chose : des fondements de la civilisation occidentale (la raison, la foi) et de ce qui la menace (l'argent, le commerce des corps). Et par la même occasion, il rend hommage aux acteurs de théâtre, à Dostoievski, à l'Homme qui en savait trop et à To Be or Not to Be. Pour tout cela, il lui sera beaucoup pardonné.
C'est l'automne, on a l'impression de tout voir en vert, comme de derrière une bouteille. En Pologne, vit une jeune femme à la voix d'ange prénommée Weronica. Douce, aimée, mais fragile du coeur. Si fragile... A Paris, vit une jeune femme à la voix d'ange prénommée Véronique. Un soir, elle se sent bizarre, comme en deuil d'elle-même. Pour comprendre ce qui lui arrive, il lui faudra suivre la piste d'un tireur de ficelles qui lui envoie des signes, pour pouvoir écrire le roman de sa (double) vie. La métaphore, comme tout le reste, est double : politique (l'est et l'ouest, pays frères), ou psychanalitico-théologique. C'est un peu lourd et appuyé mais (en même temps, évidemment) sauvé par une multitude de détails subtils.
Convoquer la réminiscence selon Platon, la révélation chrétienne, Shakespeare et le pari de Pascal (à la manière de Ma nuit chez Maud) pour parler des amours d'une coiffeuse : gonflé le Rohmer ! En prime : son plus beau portrait de femme modeste depuis Le Rayon vert. Ce conte-là est celui que je préfère ; parce que derrière une réalité un peu triviale, il traque le mythe antique universel : la nostalgie du paradis perdu et l'espérance en un avenir qui réconcilierait avec ses souvenirs. La grâce embusquée derrière le pilier des églises n'attend pas seulement les coiffeuses et les poètes : des fois, elle touche des films entiers.
Le héros de ce film est un cognassier, un drôle d'arbre qui donne des coings, ces espèces de gros citrons pas très bons mais qui font de bonnes confitures. Un cognassier dans un jardin, qui prend la pose pour un peintre. Et le peintre, c'est Antonio Lopez, artiste géomètre. Sa technique à lui consiste à tendre des fils, poser des marques, mesurer, quadriller. Il regarde beaucoup et il écoute aussi pas mal ce que les autres lui disent. A son vieux pote grande perche, il dit qu'il va baisser la ligne d'horizon. A une chinoise amatrice d'art, il détaille la fonction de sa petite installation. A sa femme -peintre aussi-, il raconte ses rêves. A côté, des maçons polonais montent un mur. Tout ça, ça fait des humains qui se coltinent avec la nature. Pas morte du tout, la nature, même si c'est ce que le tableau est censé représenter : la lumière change et le cognassier fait des caprices, il penche, ses fruits tombent. Pas si simple de faire le portrait d'un arbre, et le portrait d'un homme, et le portrait d'un film. Ce serait comme le making of d'un tableau qui n'existe pas, comme le souvenir d'un beau geste inutile.
Evidemment, avant le film il y a eu la série, qui raconte ce qui se passe après. Alors, dès le début, le rouge est mis. C'est comme si le compte à rebours était enclenché, la bombe à retardement amorcée, mais au ralenti. Pourtant, filmer le destin en marche ne suffit pas, il faut aussi en montrer les esprits maléfiques et les demi-Dieux, les démiurges et les oracles. Or, les oracles ne sont pas fameux, on prédit qu'une jeune fille sera sacrifiée. Que d'ailleurs, c'est déjà fait, et qu'en plus la jeune fille est de toute façon pervertie jusqu'au trognon. Le FBI est sur le coup, avant même qu'il se soit passé quelque chose. Lynch inaugure ici son costume de grand chamane de l'inconscient, et s'offre une apparition en personnage aussi sourd qu'Homère était aveugle. Twin Peaks -le film-, c'est un peu l'Olympe assassiné par le soap opéra, et brillamment repêché par le cinéma.
Voici le testament d'un type qui voudrait bien encore croire à l'être humain avant de partir. Et en voici trois spécimens, aux liens mystérieux dans l'espace et le temps : deux d'entre eux sont voisins et se croisent sans cesse sans se connaître, deux semblent vivre les mêmes événements, à 30 ans de distance. Il y a celle qui est encore capable d'agir et celui qui se contente d'écouter. Ca parle de la fraternité entre les humains, de tout ce qui les relie illusoirement (le téléphone, les situations sociales) et de tout ce qui les rapproche plus qu'ils ne le savent eux-mêmes (une multitude de signes, d'objets, de lieux, la musique et les chiens, aussi...). Ca dit que l'être peut succéder au paraître et que l'amour peut succéder au jugement. Y'aurait pas un certain très très vieux barbu (celui qui a attendu Charlon Heston sur la montagne ?) qui aurait essayé de dire ça, aussi, il y a longtemps, en deux volumes pas mal diffusés depuis (hypothèse : et si ce film évoquait justement le passage entre les deux Testaments...) ? L'oeuvre d'un poète-géomètre-philosophe-théologien qui pense en images.
Les grands pervers et les grands saints sont faits pour s'entendre (pour racheter les uns, il faut bien que quelques-uns des autres se dévouent...). Jan descend du ciel dans un hélicoptère ; attention, c'est un piège, c'est lui le grand pervers. D'ailleurs sa santé -en fait : son salut, bien sûr- ne tarde pas à se déteriorer. Coup de bol : il a juste eu le temps, avant, de se marier avec Bess, esprit fragile mais coeur en or massif et une foi en béton, prête à tout pour sauver son homme. Il y en a qui ont commencé à lacher Lars von Trier avec ce film : moi, c'est plutôt après que j'ai commencé à trouver ses intentions un peu douteuses. Ici, j'ai marché comme à ma première communion !
Il est au volant de sa voiture, il a de grands yeux inquiets qui font un peu peur, il cherche un homme à embarquer. Un homme solitaire qui aurait besoin d'argent facile. Non non, pas pour ça. Pour un service très bien rémunéré. Honnête, mais qui demande un peu de courage d'âme. Un service existentiel, métaphysique, un service d'homme libre. Mais c'est pas facile à trouver, à Téhéran, un homme libre. Il faut remuer ciel et terre pour réussir à trouver quelqu'un qui accepterait de remuer un peu de ciel et de terre. D'abord, il ne récupère que des gamins. Un apprenti soldat, un séminariste débutant, pour qui ce service n'est visiblement pas au programme de leurs études. Et puis, il rencontre un homme, un homme vrai. Et puis, et puis... Après pas mal de virages en formes de point d'interrogation, on aboutit à une fin indécidable. Comme la vie, quoi.
Il m'arrive d'avoir des faiblesses et des fautes de goût. J'avoue donc : j'aime beaucoup ce film. Parce que c'est gros comme un immeuble et sans complexe, comme Autant en emporte le vent (vers lequel ça lorgne pas mal). Parce qu'ils sont jeunes et beaux, et caricaturaux à souhait. Parce que la vieille dame a été la fiancée de l'Homme invisible. Parce que la métaphore féministe, aussi, est énorme : c'est le symbole du machisme le plus brutal et le plus attardé qui sombre avec tant de fracas et de victimes (mais quand on aime, on ne compte pas). Parce que, même en sachant tout à l'avance, on arrive encore à se laisser surprendre. Parce que c'est du faux bâti sur du vrai bâti sur de l'imposture. Parce que c'est du cinéma grandeur artifice.
Des hommes, des crocodiles et des grands arbres. On entend des chants indigènes qui ont l'air de souhaiter la bienvenue au paradis. Mais derrière la colline, un peu plus loin, il y a des japonais et des canons. C'est la guerre à Guadalcanal, Hollywood y a dépêché un bataillon de ses meilleurs représentants (mâles exclusivement). Ce sont des soldats qui, le matin en se rasant ou le soir au coin du feu, parlent du sens de la vie plutôt que de leurs photos de pin-up. Des hommes qui doutent, qui pensent donc qui sont. La ligne rouge, c'est sans doute celle qui les sépare de la nature. Ou de leur propre nature, de leur propre barbarie. Ou de leur propre mort. C'est la ligne à suivre pour aller derrière la colline. En tout cas, de celles qu'on franchit diffcilement, à contre coeur. C'est la ligne de l'ennemi, c'est son sang -ou le mien. Un film de guerre philosophique, beau, terrible et assez pompeux, comme il se doit.
Dans un inquiétant village cramé de soleil, apparemment oublié du reste du monde et du temps et bizarrement couillu, vit une bande particulièrement gratinée de tarés désargentés. Leurs principaux soucis, dans l'ordre : baiser des femmes, à défaut des hommes, à défaut des animaux, à défaut des anges, à défaut se masturber en groupe, à défaut se masturber tout seul. Les seules alternatives envisageables semblent être de devenir parrain ou de devenir saint dans une des deux institutions locales disponibles (au même visage), l'Eglise et la Mafia. Dans un tel environnent tout peut arriver, comme par exemple désirer une pute barbue, disputer du fromage aux rats ou une bague à son amant mort, ressusciter après avoir été dissout dans l'acide. L'image et les réalisateurs ont clairement pris un gros coup de soleil, là est leur génie.
Celle qui croyait aux autres, celle qui n'y croyait pas... Isa la brune est douée pour les contacts et la débrouille joyeuse. Elle fait la route, déniche des petits boulots et ouvre toutes les portes avec son sourire. Marie, elle, est une boule d'énergie contractée, un hérisson blond qui ne sait pas comment exprimer sa révolte. Elles vont vivre ensemble le temps d'un hiver dans le Grand Nord (à Lille...). Ce film, c'est comme un gros bloc de vie brute qui nous tombe dessus. Les actrices sont extra. Elles expérimentent dans leur corps la lutte des classes et le cheminement spirituel. Deux anges passent...
A Bailleuil (nord de la France, plat pays, centre du monde), une petite fille est retrouvée morte. Assassinée. Pharaon de Winter, l'inspecteur de police, descendant et homonyme d'un peintre local, suit l'affaire. A sa manière. C'est un doux au regard d'enfant qui ne ferait pas de mal à une teigne. Il cause pas beaucoup. Il fait du vélo et du jardinage. Il aime en silence sa voisine Domino. Il souffre de compassion chronique envers ses semblables. Autour, il y a le monde technique qui va vite et qui fait du bruit (un camion-citerne, un avion de chasse et un TGV font de la figuration). Le malaise de ces petits pantins de chair -saint ou salauds, c'est la même pâte (filmée de très près)- perdus dans l'immensité indifférente du monde (filmé de très loin) n'a jamais été aussi palpable.
Le grand secret nous est révélé au bout d'1/2h. Comme il s'est un peu éventé depuis, je peux bien le dire : le monde est un jeu vidéo. La réalité vraie, pas belle à voir, c'est que les hommes sont en faits cultivés dans des cuves par des machines qui parasitent ainsi leur énergie, en maintenant leur esprit en servitude dans un leurre numérique. C'est Néo le novice que nous suivons, au moment où il fait le grand saut de l'autre côté du miroir. Morpheus, son prof de philo et de Ju Jitsu, croit que c'est lui the One, celui qui libérera les hommes de leur esclavage. Faut dire, comme il a été pirate informatique durant sa vie virtuelle, il saute les niveaux de jeu plus vite que tout le monde dans sa nouvelle. Ca vous rappelle quelque chose ? C'est normal, c'est pompé dans Alice au pays des merveilles, le Magicien d'Oz, la caverne de Platon, Descartes, Dennett, EXistenZ et, of course, LA Bible. Les images, elles, viendraient plutôt de Il était une fois dans l'ouest, des Blues Brothers, de Star Wars et de 2001, l'Odyssée de l'espace, mais à la mode PlayStation. Recyclage bluffant malgré tout.
Quand Jonas -pardon, Janos- se retrouve nez à nez et oeil à oeil avec une baleine empaillée, on se dit que ce sont des retrouvailles entre deux très très vieux amis. Il ne parle pas beaucoup, ce Janos, mais il porte le courrier. Au café, il fait jouer à des ivrognes le ballet du système solaire et la mécanique céleste des éclipses. Il appelle tous ceux qu'il croise "oncle" ou "tante", même ce vieil érudit qui mène, seul, des recherches sur l'harmonie oubliée du monde. Janos, c'est le fils du frère des hommes, un ange porteur de messages vides, le prophète sans parole d'un monde qui a perdu à jamais sa lumière. Le "prince" ("de ce monde", sans doute) a gagné la bataille. Dieu est mort et empaillé, il pue déjà. Un film extraodinaire, uniquement composé de 12 plans-séquences somptueux (de 12 minutes chacun...), sombre et beau comme un évangile d'après l'Apocalypse.
Il y a des films qui nous rappellent qu'on a des membres de sa famille qui vivent aux antipodes - que peut-être, même, c'est nous qui y vivons. Toutes les étapes d'une vie en un peu moins de 3h : les apprentissages, les découvertes, les déceptions, les compromis, les détours capricieux du destin qui jamais, pourtant, ne repasse deux fois exactement au même endroit. Et tout ça, dans quelques jours de la vie de N.J., cadre dans une société d'informatique qui ne se porte pas très bien (ni le cadre ni la société, d'ailleurs). La technique ne peut rien contre la mélancolie des hommes -sauf quand elle donne naissance à un cinéma aussi sublime.
Un ado à tête de taureau (sur son tee-shirt) erre dans son labyrinthe de lycée. Non, ce n'est pas lui le minautore. Un autre, avec le sigle de la croix rouge (sur le dos de son jogging), le croise. Non, ce n'est pas lui qui donnera les premiers secours. Un troisième les prend en photos. C'est peut-être lui le cinéaste. Ne pas se fier aux apparences, aux visages, aux peaux. Ces ados sont comme tous les ados du monde. Des fois même, ils s'occupent assez bien de leurs parents. Mais les Rebels Wihout a Cause d'hier sont passés par la case Shining. Ils sont nés avec des jeux vidéos dans les mains, et savent commander ce qu'ils veulent sur Internet. Même de quoi transformer leur univers quotidien en limbes. Un sublime avant goût de l'étrange douceur qui reigne dans l'antichambre des enfers.
Au début, ils sont deux, deux garçons qui se ressemblent et qui jouent ensemble. C'est comme dans un rêve. Ils se courent après dans le labyrinthe des rues du quartier, et tout à coup il n'y en a plus qu'un seul. C'est tout ce qu'on verra de la disparition de l'autre. Cinq ans plus tard, le rêve est passé, le fantôme hante encore. Le garçon restant a grandi, sa maman est enceinte, la voisine est jolie. Papa anime un comité pour relancer l'organisation d'une fête dans les rues du quartier, mi-carnaval mi-cérémonie ancestrale. Exorcisme et célébration. On déambule, on cause, on se prépare à la fête. On apprend un peu du passé, on prépare un peu l'avenir. En douceur et en longs plans séquences, ça heurte et ça coule, c'est fluide et ça accroche. C'est à peu près tout ce qu'il y a dans ce film et c'est énorme. La vie, l'amour, la mort et leurs labyrinthes, à l'échelle d'un quartier, d'une vie, du monde. Enorme et en douceur.
Cette fausse suite d'In the mood for love prolonge en fait tout autant Nos années sauvages. On y retrouve brièvement Lulu -alias Mimi- et surtout M. Chow qui s'est laissé pousser la moustache. Il écrit des romans de science fiction érotiques, invite des filles chez lui et croise la route de trois femmes sublimes et impossibles qui ont toutes quelque chose en elles de Mme Su (ses robes, son nom, son imagination, allez savoir...). Mais, avec elles, il ne parle qu'argent ou départs. Répétitions, incantations. 2046, c'est le pays d'où l'on ne revient jamais, la chambre où le temps s'est arrêté, la date vers laquelle les trains du futur filent sans fin. Un film-univers peuplé d'hommes désenchantés et d'androïdes à émotions différées, en rouge et vert comme l'impossible réunion des contraires, en spirales ovoïdes comme l'impossible retour du temps perdu. Personne n'avait aussi bien fantas-filmé les femmes depuis Sternberg, autant aimé leurs jambes depuis Truffaut ni traqué aussi délicatement leurs larmes depuis Almodovar.
Hellboy, comme son nom l’indique, est un petit démon apprivoisé. Il est tout rouge, avec un bras (mais pas un coeur) de pierre et une tête de cochon (au sens figuré, principalement). Né d’une expérimentation à haut risque à la fin de la 2ème guerre mondiale (les nazis espéraient en faire leur arme de destruction massive de la dernière chance), il a été sauvé par un gentil savant américain qui a fait le pari de l’élever au service de la Démocratie. Depuis, tous les matins, il se ponce soigneusement les cornes, en compagnie de quelques autres monstres élevés dans un bunker ultra-secret pour servir le Bien en toute discrétion -enfin quand ça reste possible. Alors, quand la momie de Raspoutine réveille un sinistre zombi nazi (ne m’en demandez pas plus, j’ai pas tout compris), c’est les monstres gentils qui s’y collent. Si sa métaphysique de l’inné et de l’acquis manque un peu de subtilité, ce film de super-héros pas comme les autres a tout ce qu’il faut en matière de punch et d’invention plastique. Et d’humour.
New-York, 2095 : des élections se préparent, des hommes meurent, des avatars 3D se mèlent aux vivants sans que personne n'y trouve à redire. Le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. Orus, Dieu égyptien en instance de mortalité, se réfugie dans un corps humain en hibernation, expulsé par erreur de son congélateur géostationnaire, et répondant au nom de Nikopol. Orus est un rapace ; il a plus à voir avec le "ça" qu'avec le "surmoi", ce Dieu-là. Nikopol, lui, fait de temps en temps des crises de Baudelairite aigües. Et puis, il y a Jill, superbe jeune femme de 3 mois 1/2. A eux trois, ils rejouent Jules et Jim chez Metropolis -à moins que cela ne soit Stalker au Brazil, ou L'Odyssée de l'espace des Ailes du désir. Et l'Homme, dans tout ça ? Une jambe de plomb, l'aile bleue d'un ange tatouée sur le bras.
Il fait chaud et humide, c'est plein d'herbes et de silences. Il y a des hommes, deux surtout. A moins que ce ne soient deux animaux. Y'en a un qui porte un uniforme de militaire et l'autre, une peau de tigre -mais dans l'autre histoire seulement. En fait, il y a deux histoires différentes qui se suivent. Qui d'ailleurs n'en sont pas vraiment. Qui peut-être n'en font qu'une. On ne sait pas trop laquelle est la cause, ou la conséquence, ou la métaphore de l'autre. Pourtant c'est très simple. Ils s'aiment, c'est tout. Dans une vie, c'est dans un village, au bord de la forêt. En douceur, en famille, en silence. Dans une autre vie, c'est dans la jungle. Avec du sang, de la boue, et de drôles de bruits. C'est comme un trip calme, un jeu de fauve et de souris en mode contemplatif. Tranquille et beau comme un amour rêvé. Beau et tranquille comme un rêve qui vit.
Y'a des moments dans la vie, dans l'Histoire, où on doit être bien content d'avoir son pass pour le Pays des Merveilles. Ofélia a à peu près l'âge d'Alice, et elle habite dans un de ces moments-là, au milieu d'une inquiétante forêt, parmi des militaires en uniforme, à la fin de la guerre d'Espagne. Elle a aussi deux fées-marraines, un petit frère en cours de cuisson et beaucoup d'imagination. Des fois, elle arrive même à croire à l'existence de ses parents -enfin, ça dépend des quels. La forêt autour est peuplée de gentils communistes et de méchants crapauds, de demi-Dieux et de complets salauds. Des fois, il est tortueux, le labyrinthe de la vie des petites filles, la moindre avancée est une épreuve. Ce remake updaté par ordinateur de l'Esprit de la ruche remet à jour toutes ses peurs d'enfants, et aussi tout l'émerveillement qu'on s'est créé pour s'en remettre. En provenance directe du Pays des Merveilles du cinéma.
Alexandrie, quelques siècles après J.C., un millénaire et demi avant Marie Curie et Simone de Beauvoir : une grande bibliothèque, pas mal de petits hommes. Pour les guider, ils ont un phare et ils ont Hypathie, la prof de physique-philo dont rêvent tous les adolescents (et tous ses étudiants). Elle est belle et elle s'en fiche, il n'y a que le ciel qui l'attire, le vrai, celui sans Dieu mais avec des étoiles dedans. Quand une petite secte obscure et sournoise (chrétiens, qu'ils se disent) prend violemment le pouvoir en mettant le feu à la bibliothèque, elle ne pense qu'à sauver quelques antiques parchemins (et son papa). Aux révolutions de palais, elle préfère celles des astres et quand les statues tombent, elle ne s'intéresse qu'à la chute des corps. Et qu'importe si Amenabar, plein de bonne volonté, lui fait plagier par anticipation (avec une douzaine de siècles d'avance) les expériences de Galilée, les résultats de Kepler et la pensée de Descartes : il a inventé le peplum laïc féministe niveau bac S, je ne le remercierai jamais assez !
Années 50. Larry Gopnik a toujours été un serious man : bon mari, bon père, bon prof (de physique à la fac), bon soutien de famille (pour son frère largué), bon juif… bref, parfait bon américain moyen de ville moyenne. Et voilà que tout ce qu’il a patiemment construit au cours de sa bonne vie semble se dérober : sa femme se tire avec un collègue bien plus âgé, ses enfants lui échappent, ses étudiants contestent leurs notes, ses voisins se comportent bizarrement, sa santé vacille… En fait, tout devient incertain et ambigu, et même les rabbins n’y peuvent rien. Pourtant, décrypter les signes et les équations, c’est ce que la science et la religion lui ont toujours garanti. Capter les ondes du ciel, avec la Torah ou les antennes de son toit, ça a toujours semblé facile. Mais là, ça coince. Maintenant, c’est le Principe d’incertitude, qu’il enseigne dans ses cours, qui prend le dessus. On ne sait toujours pas si le chat (ou le dibbouk) de Schrödinger est mort ou vivant, c’est dire. Et de la théorie à la pratique, il y a décidément une vie. Et un film. Drôle et profond.
Si un jour des extra-terrestres intelligents frappent à la porte de notre planète, le gros problème, ce sera de pouvoir causer avec eux. Le vrai héros d’un film de SF réaliste, ce sera donc forcément un-e linguiste : voilà un point de départ qui ne peut que me plaire ! Bon, dans le film y’a aussi un physicien qui est mis sur le coup, mais vu que les aliens jouent avec la gravité comme avec des baballes, il est vite dépassé par les événements. Vraiment bizarres, ces bébêtes venues de l’espace. Pour elles, le haut et le bas, l’endroit et l’envers, l’avant et l’après, c’est du pareil au même. Elles ont l’air à la fois de venir de l’âge de pierre et de maîtriser la high tech la plus avancée. Mais la vraie star c’est Louise, spécialiste ès-xénolinguistique générale et appliquée, confrontée aux énoncés en forme d’oeuvres d’art circulaires qu’elles produisent pour s’exprimer. Les déchiffrer et comprendre leur fonctionnement, ce sera l’oeuvre de sa vie à elle (et ça la changera à jamais, comme dirait la tagline…). Le film pousse le bouchon de la thèse de Sapir-Whorf (selon laquelle, en gros, la langue que l’on parle influe sur notre façon de penser) un peu loin, mais c’est pas tous les jours qu’on trouve un pitch inspiré d’une théorie scientifique. De la SF sérieuse et poétique en même temps, de la gourmandise pour l’oeil et l’esprit.