Pour dénoncer la guerre, Renoir a eu une intuition géniale : plutôt que de montrer une boucherie, il montre au contraire des soldats plus grands que la barbarie, des hommes qui ont su le rester, malgré tout. Ils sont aussi bien français qu'allemands, d'ailleurs. Et les batailles, d'ailleurs, sont toujours hors champs puisqu'on reste loin du front, dans un camp de prisonniers de la Grande Guerre. L'occasion de mener une grande enquête sur ce qui réunit et sépare vraiment les hommes. Et aussi sur le passage du XIXème au XXème siècle, quand même les gentilhommes d'antant se mettent à devenir républicains. Un monde en miniature, un changement de civilisation en condensé : parfois, le cinéma sait voir loin et grand...
Le roman de Zola proposait un vaste panorama du meurtre sous toutes ses formes. Renoir a tranché dans le vif (deux morts seulement !). Il a conservé le prétexte de la théorie un peu lourdingue de l'atavisme alcoolique, tout en se concentrant sur le trouble entrelacement du désir et de la pulsion de mort. Et il a exploité à fond la poésie visuelle des trains : le destin est sur les rails et il roule à toute vitesse. C'est l'enfer au fond de la chaudière. Quant au cheminot, lui, il sonne toujours deux fois (chez la femme du sous-chef de gare). Et Gabin, on dirait qu'il a fait ça toute sa vie.
C'est l'effervescence dans les couloirs du conservatoire d'art dramatique : aujourd'hui, on recrute les p'tits jeunes de la prochaine promotion. Se presse donc là une bande de postulants cabotins, tous plus insupportables les uns que les autres. Comme on pouvait le craindre, ce sont les pires qui sont pris -enfin, non, les pires, ce sont ceux qui ont été pris l'année d'avant. Ils sont tous jeunes, bêtes et beaux, c'est-à-dire, vus par ceux qui ne le sont plus (voir aussi Les Tricheurs), du genre à jouer avec leurs coeurs qu'ils pensent avoir déjà blasés, du genre à faire des paris stupides sur les sentiments auxquels ils pensent échapper. Mais qui n'hésitent jamais pour autant à en faire des tonnes avec leur peu (de talent) qu'ils ont. Pour paraphraser leur maître (à l'envers), ils mettent un peu trop de jeu dans leur (pseudo) vie, et pas assez de vie dans leur (imitation de) jeu. Ah, le maître... C'est bien simple, ses 10mn de présence à l'écran sont les seules dont on se souvienne. Y'a encore du boulot, les p'tits jeunes...
Il était une fois un roi qui, au réveil du 15 juillet 1789, apprend une mauvaise nouvelle. Ca, c'est l'histoire officielle, celle des livres, celle des stars de cinéma, et elle dure 2mn. Tout le reste du film, c'est le contraire : la Révolution vue du côté des figurants qui en sont les vrais héros : le peuple, le vrai. Celui qui est mal peigné, parle avec un accent, braconne des lapins dans la garrigue, apprend à manier le fusil pour la première fois et fait le piquet de grève devant les usines (ah non, pardon, je confonds, ça c'était l'actu de l'époque du tournage). On suit donc un bataillon marseillais en route vers le Nord pour porter main forte à ces empotés de la capitale -provinciale, en plus, la Révolution, on aura tout vu ! Quelques belles scènes de fraternisation au coin du feu, de bataille pas rangée dans les jardins des Tuileries : la fresque ne manque pas de souffle. Et, comme de bien entendu, tout finit par une chanson…
Au début, on est dans un reportage radiophonique en direct. On passe dans un salon bourgeois. Des fois, on se croit dans une pièce de boulevard -mais pleine de répliques dignes du meilleur théâtre classique. A d'autres moments, c'est une comédie sentimentale, une satire sociale, un drame mondain. Décidément, ce film ne respecte aucune loi de construction dramatique et d'unité de ton ! Ses multiples personnages -bien que réunis ponctuellement pour une partie de chasse- ont bien du mal à constituer une société homogène. On dirait qu'ils jouent chacun une partition différente, tout en faisant mine de tenir leur rang. C'est la veille de la guerre et chacun joue perso : voilà qui ne présage rien de bon. Quant à Renoir, acteur inattendu et chef d'orchestre virtuose de cette inquiétante cacophonie, il démontre par l'absurde que l'illusoire harmonie sociale ne tient qu'à un fil. Oeuvre de chef !
A Port-en-Bessin : des pêcheurs qui vont au bistrot, surtout celui où sert Marie, la "sournoise" taciturne. A Cherbourg : des marins en uniforme qui vont à la brasserie et au cinéma, propriétés d'Henry, le patron séducteur. 100km, une génération et pas mal d'obstacles les séparent. Un enterrement et un bateau les rapprochent. Ils parlent beaucoup (avec le quota réglementaire de bons mots du cinéma de l'époque) mais rarement pour dire ce qu'ils pensent, et encore moins ce qu'ils ressentent. Mais le patron a les idées larges : la preuve, il passe aussi bien des films de Georges Lampin que de Murnau, dans sa salle de ciné. En coupant les 10 dernières mn, avec une fin façon Enfants du paradis, ça pourrait tenir la route du large. Dommage...