A Port-en-Bessin : des pêcheurs qui vont au bistrot, surtout celui où sert Marie, la "sournoise" taciturne. A Cherbourg : des marins en uniforme qui vont à la brasserie et au cinéma, propriétés d'Henry, le patron séducteur. 100km, une génération et pas mal d'obstacles les séparent. Un enterrement et un bateau les rapprochent. Ils parlent beaucoup (avec le quota réglementaire de bons mots du cinéma de l'époque) mais rarement pour dire ce qu'ils pensent, et encore moins ce qu'ils ressentent. Mais le patron a les idées larges : la preuve, il passe aussi bien des films de Georges Lampin que de Murnau, dans sa salle de ciné. En coupant les 10 dernières mn, avec une fin façon Enfants du paradis, ça pourrait tenir la route du large. Dommage...
Un jeune homme en prison, beau comme Gérard Philippe, s'évade en douce pendant son sommeil, en rejoignant en rêve un mystérieux village où le temps s'est arrêté et où tout le monde est à la recherche de sa mémoire. Il a bien envie d'y rester, d'autant qu'il vient d'y rencontrer la jeune fille de ses rêves (c'est bien la moindre des choses), belle comme Suzanne Cloutier. Il a assez de mémoire pour tout le monde, mais ça présente aussi quelques inconvénients. Bon, on n'est pas vraiment dans Paprika ou dans Inception, mais il y a de ça quand même. En fait, c'est plutôt un remake caché du Jour se lève, où l'imagination prend la place du passé -avec le même mode d'emploi au début, pour ne pas larguer les spectateurs. Un poil de Magicien d'Oz, aussi, sans les couleurs. Tentative pour passer du réalisme poétique à la poésie réaliste. La magie et les grands sentiments sont un peu laborieux mais il y a de ça quand même.
Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils dansent bien ensemble. Elle s'appelle Marie, il est charpentier. Pour cela et pour leur bonne bouille, on leur donnerait volontiers le bonheur sans confession. Mais elle est maquée, il est fiancé. Ils sont pauvres, le monde est contre eux. Le monde, c'est ceux de la bande à Félix, des loulous d'arrière-boutique et de ruelles sombres. Paris : ses pavés, ses guinguettes et sa belle époque, réinventés pour nous. Noir comme ses rues noires, clair comme le soleil sur la Seine, comme notre mémoire l'imaginera à jamais. En prime, un mélo intense sur la seule chose qui compte : le prix du bonheur.
Rien de tel qu'un grand viennois pour adapter notre Maupassant national (maison Tellier comprise, mais je ne crois pas que ce soit celle de mes ancêtres). On y voit des humains de toutes conditions (bourgeois, putains ou artistes, c'est tout comme) errer dans le labyritnthe de leur vie, coincés qu'ils sont dans des désirs frustrés et des destins étriqués. Et qui, parfois, trouvent tout de même une petite voie, un petit passage secret qui mène à leur innocence, un raccourci inattendu vers la grâce qu'ils ont perdue. Un petit moment de plaisir derrière les barreaux de leur morne existence. Ephémère ou illusoire, cela va sans dire, mais c'est déjà ça, juste le temps d'apercevoir ce qui aurait pu être. Et on voit ça par l'oeil d'une caméra malicieuse, plus libre qu'eux puisqu'elle traverse les murs et le temps -et les âmes aussi, parfois. C'est beau comme une partie de campagne, c'est triste pareil. Mais le bonheur (même celui du spectateur) n'est pas toujours gai...
Avant même le drame, elle est déjà tout en noir et pleine d'épingles, Thérèse, comme un papillon dans la vitrine de sa boutique de tissus. Un mari toujours au lit (mais uniquement pour dormir ou se faire soigner), une belle-mère comme on les craint toujours sur le dos : on la plaint, Thérèse. Alors, le collègue italien à biscottos, on le voit arriver comme les petits chevaux auxquels le mari ne cesse de jouer : avec ses gros sabots. Le drame est sur les rails... Pas très nouveau, pas très étonnant : un médiocre drame de la médiocrité. Une espèce de ressucé de la Bête humaine plein d'humains très bêtes. Sans oublier le matelot, qui sonne toujours deux fois. Zola a sans doute vu pire. On a vu mieux mais ça n'a rien de déshonorant.
A la fin des années 50, déjà, les djeun's, comme on ne le disait pas encore, posaient problème. Toujours à traîner dans les cafés, à boire et à draguer, au lieu d'avoir envie de bosser comme tout le monde. Parfois, ils faisaient des boums dans le château de leurs parents toujours absents, et manifestaient leur révolte en vidant la cave et en couchant avec n'importe qui dans le lit des parents toujours absents -l'horreur. En ce temps-là, déjà, venir de la banlieue était infamant, mais parce que ça voulait dire à l'époque porter une cravate et crêcher à Neuilly -l'horreur. Décidément, il y avait bien quelque chose de pourri au royaume du cinéma français : ces jeunes-là ont déjà mille ans, ils n'ont pas l'air de croire à leur cynisme. On ne prédit aucun avenir intéressant aux acteurs : à part au second rôle à longue figure, qui s'empressera de fuir cette galère au théâtre, et à un quasi-figurant à grandes oreilles qui ne tardera pas à passer à l'ennemi, dans le camp de la jeunesse qui se filme elle-même. Le film d'un vieux ronchon donneur de leçons.