Ca commence avec une riche rombière qui réalise notre voeux le plus secret : imposer Groucho à la tête de l'Etat. Ca continue avec un chef d'Etat voisin qui doit faire face à notre pire cauchemar : confier à Harpo et Chico une mission délicate... On passe les détails (dommage, c'est ce qu'il y a de meilleur, les détails), tout finit comme prévu : une guerre stupide et abracadabrant-gigantesque entre les deux Etats. Entre-temps, une leçon fondamentale : nous sommes tous des Groucho Marx. On est dans un autre monde possible, affranchi de la logique et du sérieux. Dans ce monde possible-là, l'année 1933 restera un excellent cru.
Imaginons que le personnage de La Mort aux trousses soit un vrai espion, et que l'héroïne de Casablanca doive donner des gages de bonne conduite patriotique : le monde à l'envers ! A l'image du film entier, où tout le monde ment et joue la comédie. Sous prétexte de raison d'Etat, bien sûr. Parce que l'amour, il faut bien sûr faire mine, dans ce monde-là, de ne pas y croire. Pour y croire, le spectateur, lui, a droit au plus long baiser en pointillé de l'histoire du cinéma (entrecoupé de dialogues sur le poulet dans le frigo, pour détourner le code Hays). Mais ce n'est que le début : le reste du film est une longue jouissance retardée où la tension monte, se cristallise sur des objets fétiches (clé, bouteille, tasse) avant la délivrance finale. Difficile de ne pas adorer.
Doc Erwin Riedenschneider, agrégé en combriolage juteux et metteur en scène affuté de son art, sort de prison et ne tarde pas à reprendre ses chères études. Pour mettre la main sur quelques bijoux, il a un scénario en or qui lui permet de choisir son casting : quelques stars incontestées de la cambriole, quelques seconds rôles de plus ou moins gros calibres. Le producteur-promoteur est véreux et amateurs de starlettes, ça n'étonnera personne. Préparation, exécution, conséquences : le plan (devenu) habituel (depuis) de toutes les écoles de casses, de cinéma et d'ailleurs. Comme d'hab, ce serait trop beau que tout se passe bien. Comme d'hab, tout est prévu sauf l'imprévisible : le hasard et la faiblesse des hommes -pas toujours la même, mais il suffit de la trouver. Quand la ville dort, tous les chats sont gris et tous les films sont noirs. Surtout les bons.