Un gentil astro-mathématicien américain, marié à une jolie paire de jambes anglaises, en congé sabbatique dans le trou à bouseux où est née madame. Au milieu d'écluseurs de bouteilles, c'est le seul à porter un pantalon blanc et des lunettes. Pendant qu'il analyse la structure de l'univers dans son bureau, sa femme montre sa jolie paire de jambes aux ouvriers bouseux qui travaillent sur le toit de leur grange. Une souris et des hommes. Si au moins ils avaient vu Orange mécanique ou Délivrance, ils se seraient peut-être méfié, les jeunes mariés. Mais non, ils ne savent pas jusqu'où ne pas aller trop loin. Si bien qu'ils y vont. A la fin, ils ne seront plus capables de faire la différence entre ce qui fait plaisir et ce qui fait mal. A la fin, le gentil mathématicien aura un peu sali son pantalon et cassé ses lunettes.
Jours étranges. Pendant qu'une épidémie d'hommes-loups semble couver, un avocat grand bourgeois -et très britannique- s'acharne à encourager l'idylle fantomatique de son épouse avec le jeune homme vaguement hippy qu'il a échoué à faire condamner. Ils ont tous l'air de s'ennuyer, ou de ne pas savoir ce qu'ils font là. Chronique d'un changement d'époque ? Oui mais en fait, non, tout ça c'est rien que dans la tête bien imbibée d'un vieil écrivain malade -mais toujours très britannique- pendant une nuit d'insomnie. Il a des comptes à régler et les idées pas très claires, ce qui explique sans doute les incongruités de son scénario balbutiant. Et comme il vit à Providence, sa magnifique propriété, pas étonnant qu'il se prenne pour un démiurge. Chronique d'une fin de vie annoncée ? Oui mais en fait non, c'est encore un peu plus compliqué que ça, mais on laisse le suspens aux néophytes. En fait, de toute façon, c'est tout ça en même temps, et plus encore. Une superposition de banalités, conventions et lieux (plus ou moins) communs, qui finit par donner de la profondeur à la surface des choses.
Point de Lieutenant français dans ce film. Quant à celle censée avoir été sa maîtresse, jamais ne le fut. Mais on est au cinéma, alors ne nous étonnons de rien, surtout qu'on est dans ce type particulier de films qui racontent la fabrication d'un autre film, dans une histoire d'amour qui en cache une autre -la même sans doute- et d'autres temps et d'autres lieux. Subtil entrelacement de sentiments retenus et de fantasmes entretenus, de libertés compromises et de liaisons dissimulées, hommage raffiné à l'intensité du vécu et à celle -encore plus grande ?- du souvenir et de la représentation.
Tron, c'est un Voyage fantastique sous influence Star Wars à l'intérieur de HAL. On y suit Flynn, informaticien-donc-génial, passé de l'autre côté de l'interface graphique, faire connaissance avec la virtualité réelle. Transformé en avatar à son image, il se retrouve condamné à combattre les algorithmes-gladiateurs qu'il a lui-même conçus, afin de neutraliser le Great Master Control, un ex-programme d'échecs qui a buggé mégalo. Bon, pour les explications sur l'architecture de Von Neumann, je conseille plutôt mon poly de cours. Mais aucun informaticien -et aucun spectateur- ne peut être insensible à la poésie d'une discussion -forcément un peu binaire- avec un bit errant, ou aux éclairs bleutés d'une donnée en transit dans les mornes plaines numériques.
Il m'arrive d'avoir des faiblesses et des fautes de goût. J'avoue donc : j'aime beaucoup ce film. Parce que c'est gros comme un immeuble et sans complexe, comme Autant en emporte le vent (vers lequel ça lorgne pas mal). Parce qu'ils sont jeunes et beaux, et caricaturaux à souhait. Parce que la vieille dame a été la fiancée de l'Homme invisible. Parce que la métaphore féministe, aussi, est énorme : c'est le symbole du machisme le plus brutal et le plus attardé qui sombre avec tant de fracas et de victimes (mais quand on aime, on ne compte pas). Parce que, même en sachant tout à l'avance, on arrive encore à se laisser surprendre. Parce que c'est du faux bâti sur du vrai bâti sur de l'imposture. Parce que c'est du cinéma grandeur artifice.