Quand on n'aime pas la télé, la moindre des choses, c'est d'aimer la radio. La radio, c'est comme un monde parallèle où les gens sont forcément plus grands et plus beaux, puisqu'on ne les voit jamais. La radio, c'est la voix de l'enfance. D'ailleurs ce film est le seul de
Woody Allen qui parle de l'enfance. C'est une chronique schizophrène qui mélange les souvenirs du monde réel et ceux de cet autre monde que la radio introduit en douce dans les maisons. Un monde multiple, où les faits divers et l'actualité sérieuse cotoient les potins mondains et les feuilletons romanesques. Mine de rien, la vie quotidienne en est toute transformée. Tata aime les chansons, maman préfère les interviews de vedettes... Ce film, c'est comme sur les ondes : il y en a pour tous les goûts...
Raging bull est une bête, un taureau : c'est un boxeur -le genre poids lourd et cervelle plume. Il doit tout à ses poings : son argent, sa gloire, sa femme. Mais qui a vécu par les poings périra par les poings... Alors, parce que rien ne lui a jamais résisté, peut-être, il se laisse un jour démolir sur un ring sans réagir. Rédemption, rédemption... Un boxeur sans ses poings, ça ne peut que devenir un manager de cabaret gras et vulgaire. Qu'importe, lui, au moins, sait ce dont il est capable. De Niro, plus génial caméléon que jamais, incarne ce type à la recherche de son âme : il arriverait presque à me faire aimer la boxe, c'est dire !
Bob est un bon bougre heureux en ménage. Il est même catho, c'est dire comme Loach a l'esprit large. Mais il manque de sous, donc de tout -sauf d'imagination. Et voilà que la fifille a besoin de se déguiser en nonne -le costume est très cher- pour sa première communion. D'où, pour assurer, un enchaînement de plans-débrouilles foireux avec son pote Tommy, de galères qui prennent l'eau et de bonne volonté embourbée au fond de divers marécages. Il a aussi l'orgueil un peu mal placé et la descente de bière un peu en pente, l'ami Bob. Mais bon, des fois, même chez Loach, le ciel est avec les hommes de bonne volonté. Un ciel pour qui la mort d'un homme -un beau salaud, of course- peut être légitime. Mine de rien, même quand ils nous font un peu rire (comme ici), ses films ne disent toujours que ça : contre ceux qui les exploitent et les écrasent, les prolos font bien de retrousser leurs manches -pour cogner !
Quand Tom rentre chez lui après avoir purgé 4 ans de prison, il rencontre un pasteur qui a perdu la foi, et des paysans qui ont perdu leur terre. C'est la faute aux proprios, aux patrons des proprios, aux banquiers des patrons des proprios, aux patrons des banquiers des patrons des proprios -bref, à personne. A Mme La Grande-Crise-de-29 (promise à une grande descendance). Pa' et Ma' sont réfugiés chez tontons, et ils s'apprètent à partir eux aussi. L'exode s'engage donc vers la terre promise "qui ruisselle de lait et de miel" : la Californie... Dans un tacot surchargé qui fume comme une loco, ils traversent la misère et l'injustice, l'exploitation et la suspicion. L'esprit de révolte souffle où il veut, mais il souffle fort. On dirait du Ken Loach évangélisé : Qu'elle était verte sa colère !
Shakespeare était japonais, les filles du roi Lear étaient des samouraïs et Kurosawa est un grand peintre. Il nous régale ici d'un match fratricide entre porteurs de casaques jaunes, rouges et bleues. L'affrontement commence par une partie de chasse familiale qui tourne au vinaigre, se prolonge en manoeuvres de cour et intrigues d'alcôve, et s'achève par une grande baston en plein air. Kurosawa est à l'aise sur tous les terrains, car c'est toujours de guerre qu'il s'agit. Et à ces guerres-là, il n'y a que des perdants. Le film se termine avec le plan d'un joueur de flûte aveugle au bord d'un précipice, et il ne reste plus grand monde pour le retenir...
Réfugiés sous une porte de Kyoto (Rashômon, c'est la "porte des démons") pour échapper au déluge, trois hommes se racontent une histoire. Une sombre histoire, qui met en scène un couple traversant tranquillement la forêt, et le bandit bondissant qu'ils y rencontrent. L'histoire se termine mal, un procès vient d'avoir lieu. Face au tribunal invisible de l'Histoire, chacun des protagonistes donne sa version des faits. Les images, chaque fois, lui donnent raison. L'homme est mort, la femme a été violée, le bandit jugé. Mais c'est à peu près tout ce qu'il y a de sûr. Pour le reste, chacun sa vérité et honneur pour tous. L'histoire prend l'eau, comme tout le reste. Si on ne peut plus faire confiance aux images, où va-t-on ! Quant aux hommes... Un grand coup de de modernité dans les côtes, largement pompé depuis.
C'est les vacances : Rohmer, il aime bien les vacances. C'est propice à la parole et à la chair. Delphine, elle, ça dépend. Son copain l'a lachée il y a deux ans, la copine qui devait l'accompagner en Grèce vient de la lacher, elle est toute seule. Elle se fait inviter par-ci, elle s'ennuie par-là. Elle cherche la consolation dans les forces de la nature, mais la consolation n'est pas dans les forces de la nature. Elle croit pourtant aux jeux de l'amour et du hasard, mais sans concession, sans compromis. Pas de maître du jeu explicite, pour une fois, si ce n'est un joueur de cartes étourdi qui laisse traîner des indices sur son chemin -et le parrainage de Jules Verne. Le portrait gagne en liberté ce qu'il perd en maîtrise, les paroles gagnent en chair ce qu'elles oublient en style.
C'est sur la French Riviera (lieu d'envoutement classique des films américains) qu'ils font connaissance. Il est anglais, veuf, très riche. Elle est jeune et innocente. Ils se marient et vont habiter dans la somptueuse demeure de Monsieur, à l'aura mystérieuse. Machine (comment s'appelle-t-elle, au fait ? personne ne l'appelle par son prénom) se retrouve à la tête d'une maison où tout est trop grand pour elle, où tout porte la griffe de Rebecca, la première épouse. Problème : comment lui faire oublier son ex ? Comment se faire aimer d'une propriété où tout -choses et êtres- est encore sous le charme de l'autre ? Comment lutter contre un fantôme qui ne se manifeste que dans les vivants ? Un drôle de cauchemar luxueux, un thriller mental au style gothique flamboyé, avec ce qu'il faut de fièvre et de secrets.
A 5 ans, elle monte sur le trône de Suède. Elle devient belle, lit Descartes, s'habille comme papa et gouverne comme lui -tout en aimant un peu moins la guerre, tout de même. Elle croit connaître les hommes, puisqu'elle leur ressemble. Mais elle n'a pas encore rencontré l'ambassadeur d'Espagne. Antonio lui parle d'abord comme un frère, puis la séduit comme un amant. Avec lui, elle se découvre des envies bizarres (se vautrer dans du raisin, par exemple). Elle devient Garbo, comme Victor/Victoria, une anti-Impératrice Rouge. Et quand, par amour, elle quitte son trône pour abdiquer -au grand désespoir de ses sujets-, on la croirait en train de descendre les escaliers de Cannes, assaillie de paparazzi. A la fin, elle bat haut la main le record du plus long plan sans cligner une paupière. Une reine, une vraie, n'a pas besoin de déguisement.
Au coin d'une rue de Budapest, années 30 : c'est chez Matuschek, on y vend de la maroquinerie (des ceintures, des sacs à main...). Alfred, brave garçon poli, est le chef des vendeurs ; Klara, gentille fille enthousiaste, est la nouvelle vendeuse. Pourtant, ils ne s'entendent sur rien. Il y a autant de différences entre eux qu'entre une boîte à cigares et une boîte à bonbons (entre un homme et une femme, quoi). Ils n'ont pas leur langue dans leur poche mais, dans leurs poches, ils gardent précieusement les lettres enflammées qu'ils s'envoient sous pseudo (boîte à lettres numéro 237). Subtiles variations sur les intermitences de la vie sociale et le petit commerce de la vie privée, ces théâtres où tout le monde est un agent double.
A la sortie de la guerre, c'est bien connu, les jeunes étaient zazous. Ca veut dire qu'ils n'avaient pas encore tombé la veste, mais qu'ils commençaient à oser se passer de cravate. Qu'ils fréquentaient des caves obscures, résonnant d'une musique nouvelle venue d'Amérique. Ca veut dire surtout qu'ils étaient comme tous les jeunes de toutes les époques : ils avaient des rêves (en gros : voyager, aimer et faire l'artiste) qui ne plaisaient pas à leurs parents... Ils vivaient en bande, ils avaient un monde à explorer et à reconstruire. C'était une génération insubmersible (cf. leur voiture). C'est un film indémodable.
Un jeune cinéaste français qui se coltine le problème des 35h dans une petite usine de province, en faisant jouer des acteurs recrutés aux guichets de l'ANPE : c'était pas gagné d'avance. Et bien, c'est plus que réussi : criant de vérités jamais dites sur le monde du travail et surtout (c'est là le coeur du sujet) sur ceux à qui leurs études permettent de prétendre à une promotion sociale. Franck en fait partie : son père est ouvrier, lui porte la cravate pour faire un stage dans les bureaux. Traitre à tous, en lutte (des classes) avec lui-même, il cherche sa place. Et nous, on a trouvé un nouveau cinéaste à aimer.
D'abord : libérer Han et Leïa de la bave d'une grosse limace lubrique qui les retient prisonniers. Ensuite, recueillir les dernières paroles de son petit grand maître vénéré, avant de participer à des courses de motocyclette volante en pleine forêt. Enfin, détruire l'étoile noire nouvelle version (cf. La Guerre des étoiles : le propre des méchants, c'est qu'ils manquent d'imagination) grâce à une armée de Teddy Bears, tout en réglant son Oedipe à coup de sabre laser. Pas de tout repos, d'être un apprenti Jedi, surtout quand on n'a pas la carrure d'un Hercule. Le mythe fait un peu place à un catalogue qui se parodie lui-même. La suite va manquer de méchants. On va s'ennuyer. On regrette déjà la série...
Un chantier immobilier pourri, dans une banlieue de Londres pourrie, mené par un pourri de patron : bienvenue au joyeux pays de Margaret. On se doute bien que ceux qui travaillent là -touristes sans carte de séjour, bidouilleurs en fin de droit, déclassés de longue durée...- n'ont pas trop le choix -et qu'ils ont intérêt à fermer leur gueule. Mais toutes les Margaret du monde ne peuvent les empêcher de former un groupe d'humains -le début de l'espoir, chez Ken Loach. Steeve trouve tout de suite sa place dans cette petite communauté. Il se déniche même une copine chanteuse, et l'installe dans son squat -une île précaire de liberté dans un océan de misère. Tract terrible et joyeux contre l'horreur économique ; portrait joyeux et terrible du bordel ambiant.
Dans les westerns, c'est facile : le méchant, c'est celui qui tue sans raison. Le héros, il tue aussi mais il a la loi avec lui. En plus, il s'appelle souvent John Wayne. Ici, il est shérif, il doit garder en prison un méchant qui a plein de copains dans la région, avec pour adjoints un vieillard infirme et un ex-alcolo en cure de désintoxication. Un gamin joueur de guitare, aussi. Et le soutien moral d'une charmante tricheuse professionnelle avec qui il adore s'engueuler à la première occasion. Autant dire un saint bourru en santiag, surpris en plein chemin de croix dans la poussière de l'ouest. En flagrant délit de mythe.
Quatre frères du sud débarquent un soir sans prévenir, avec mama et barda, à la soirée de fiançaille du cinquième frère, installé à Milan : début de l'exil. A cette époque, en Italie, le réalisme n'est déjà plus très neo, et Visconti commence à devenir ce qu'il est. Ses personnages habitent une cave, mais se promènent sur le toit des cathédrales. Parmi les cinq frères, il en pioche surtout deux : Rocco et Simone. Un saint et un salaud, le bon et la brute-truand dans la même famille. Et une femme, pour leur permettre de devenir ce qu'ils sont. Deux frères, deux boxeurs, deux anges en exil sur la terre.
Le dernier monarque d'un royaume d'opérette -non, il n'a pas épousé Grace Kelly- destitué par une révolution, débarque fauché à New-York. Il y découvre la pub, l'info-spectacle et le lifting. Il comprend surtout qu'il n'a aucune leçon de démocratie à recevoir de la part d'un pays en pleine paranoïa MacCarthiste, qui assassine si bien ses petits Mozart... Amer plutôt que drôle, pas très vif et pas très léger, comme chargé déjà de tout ce qui sortira de pire des années à venir -comme nous le rappelleront, plus tard, The Truman Show et Lost in Translation. Ce roi déchu d'une époque bénie à la recherche de sa grandeur perdue est le seul pour lequel on voterait bien.
Décors naturels, prises rapides, impression de vie palpitante : dans les derniers soubressauts de la guerre, Rossellini crée le cinéma moderne. Avec les modestes habitants d'un modeste immeuble romain, il fait des héros de la résistances. Il invente Anna Magnani. Non, assène-t-il : tous les italiens n'étaient pas fascistes. Pour sauver l'honneur, il y a eu des ouvriers, des enfants, des prêtres. 30 ans avant Aldo Moro, il voyait déjà ce qui pouvait rapprocher les cathos et les gauchos : leur même foi en l'humanité, pour contrer la barbarie des surhommes (qui n'y croyaient déjà plus, aux surhommes). Et il fait une fresque modeste et fervente, comme prise sur le vif et à la dérobée, devenue une étape cruciale de l'histoire du cinéma.
Toujours Vienne, toujours 1900 (mais ça n'a aucune importance). La ronde, c'est ce jeu supide -j'te prends la main, tu m'prends la main- que les humains apprennent dans les cours d'école -un gars, une fille, un gars, une fille- et auquel ils jouent toute leur vie. Par "amour de l'art de l'amour", ils rejouent tous et toujours les mêmes scènes, inconsolables de leurs souvenirs, obsédés par le temps qui passe trop ou pas assez vite. Bref, ils ne pensent qu'à ça et le plus dur, pour eux, est de ne pas en avoir l'air. Pour faire sa typologie des prélimaires amoureux, Ophuls met en place un dispositif très artificiel, avec maître de cérémonie tireur de ficelles et passages de témoin systématiques d'un couple à l'autre. On a compris : le monde est un théâtre dont tout le monde fait mine d'être dupe...
New-Orleans, années 30. Un journaleux qui a déjà perdu quelques plumes trouve le sujet en or de son prochain papier. Il fera le portrait d'une des troupes les plus minables qui traine dans le coin pendant le carnaval : un aviateur ex-héros de guerre, une ex-fan devenue sa femme, et le mécano dévoué, ex-prétendant de Madame. Il y a un petit garçon aussi, mais on ne sait pas trop qui est son père. Il sont là pour participer à des compet' aériennes, sortes de manèges pour grandes personnes où la queue du Mickey ne vaut pourtant pas tripette. Rien que des has-been en deuil de leurs espoirs passés, fâchés avec la gloire qui leur était promise, ivres de leurs rêves brisés. Avec le journaleux, la ronde à trois devient une ronde à quatre, qui ne résoud pas pour autant la quadrature du cercle. Un petit bijou qui démontre une fois de plus que le mélo, c'est de la tragédie déguisée en farce de foire.
Qui n'a osé rencontrer personnellement, "pour de vrai", les héros de ses films fétiches ? Bon début d'idée. Et si maintenant, en plus, ces héros pouvaient sortir physiquement de l'écran, si de la salle obscure on pouvait les voir nous voir, réagir à nos réactions et improviser face aux contretemps, comme au théâtre. Ca, on n'a jamais osé l'imaginer et Woody en fait un film génial. Il transforme l'écran de cinéma en porte magique et poreuse entre deux mondes que tout oppose. Lequel est le mirroir, le leurre de l'autre ? Qui, dans chacun d'eux, tire les ficelles ? Ce conte de fée cruel est un fabuleux hommage au mythe même du cinéma, à son ambiguïté, au plaisir que nous prenons tous à nous tromper nous-mêmes en faisant mine de croire à ses histoires.
Début des années 60, début de l'été, quand la lumière commence à envahir la campagne du sud-ouest. Pourtant, pas si loin, de l'autre côté de la mer, la France est en guerre. Ca préoccupe les hommes. Et par contagion, les ados qui préparent leur bac. Les roseaux souples du titre, ce sont eux. Ils font leur début en tout. Ils sont à l'âge où ils font connaissance avec le personnage qu'ils auront à jouer le reste de leur existence, et qui ne ressemble pas forcément à ce qu'ils imaginaient quelques années, quelques mois, quelques semaines auparavant. Ils passent A travers le miroir. Ils apprennent le maniement de nouveaux sentiments et de nouveaux mots. Ils en sont tout bouleversés. Nous aussi.
Remake de La Chienne : dans la rue rouge, Chris Cross, comptable gris, peintre du dimanche, va en voir de toutes les couleurs. Sa femme lui donne le blues. Avec une autre, il croit voir la vie en rose. En fait, c'est clair : il est aveugle et se fait rouler comme un bleu. La vérité le rendra vert de rage... Personne n'est sympathique, dans cette histoire. La seule vraie couleur de ce film, c'est le noir de chez noir (dommage que la copie pourrie de ce DVD tranforme tout en gris quasi-uniforme).
Un Rebel Without a Cause prend RDV avec un autre, pour une baston de parking. Il sont partis pour nous refaire le coup de West Side Story, en version expressionniste. Mais la dérive nous fait plutôt remonter aux sources d'un Gus Van Sant.. D'ailleurs, le vrai héros, c'est pas Rusty, le cogneur en bandana, c'est donc son frère, le grand Motocycle Boy, l'ex-roi du quartier. Il est de retour, justement, après quelques années d'errance, daltonien et à moitié sourd. Il ressemble à un ange en exil, à un prince déchu. En fait, le titre anglais évoque une espèce de poissons bagarreurs. L'histoire est vue depuis l'intérieur de l'aquarium, ou du dedans d'un vieux poste de télé en noir et blanc. De dedans l'enfance éternelle du souvenir.
Un drôle de petit vagabond à baluchon, embarqué dans une mythique quète de l'or en Alaska. A vrai dire, on ne le verra pas beaucoup creuser ni fouiller. Le décor est surtout prétexte à ramener l'homme à sa plus simple expression, petit point noir dans un grand désert blanc où la survie au froid, à la faim et à la solitude est la principale préoccupation. Avec à peine deux cabanes, un saloon et un ours blanc, on y est, sur la banquise. Avec deux petits pains, on y est, à l'opéra. Chaplin reconstitue ainsi le rêve d'une époque, l'enfance d'un peuple, dont il est à la fois le messager et la victime. On a tous laissé un éclat de rire et une larme sur le décor d'opéra de cette banquise-là.
Au début, on est dans un reportage radiophonique en direct. On passe dans un salon bourgeois. Des fois, on se croit dans une pièce de boulevard -mais pleine de répliques dignes du meilleur théâtre classique. A d'autres moments, c'est une comédie sentimentale, une satire sociale, un drame mondain. Décidément, ce film ne respecte aucune loi de construction dramatique et d'unité de ton ! Ses multiples personnages -bien que réunis ponctuellement pour une partie de chasse- ont bien du mal à constituer une société homogène. On dirait qu'ils jouent chacun une partition différente, tout en faisant mine de tenir leur rang. C'est la veille de la guerre et chacun joue perso : voilà qui ne présage rien de bon. Quant à Renoir, acteur inattendu et chef d'orchestre virtuose de cette inquiétante cacophonie, il démontre par l'absurde que l'illusoire harmonie sociale ne tient qu'à un fil. Oeuvre de chef !
Ca commence par la mort d'un flic qui n'a plus du tout envie de vivre, et ça se termine par celle d'une pétasse qui aurait bien mérité d'être sauvée. Le chemin entre les deux passe par le Sgt de police Bannion, brave type incorruptible que la rage peut tout de même rendre assez méchant. Surtout quand on lui tue sa femme sans le faire exprès. Dans cette histoire, tout ou presque est à double face, comme un bout de scotch qui colle aux doigts. Le pape de la pègre est fier de sa lignée respectable, les officiers de police jouent aux cartes avec les truands, et les veuves éplorées se font du fric sur la mort de leur époux. Mais chacun va finir par ressembler à ce qu'il est, et c'est pas toujours beau à voir. Il y a des films noirs qui ont une sacrée lumière intérieure.
Elle s'appelle Carole, elle vit à Londres. Elle est jeune, blonde et très jolie. Mais pas causante. Le genre crustacé qui se rétracte au moindre contact avec un doigt poilu. Elle travaille dans un gynécée : un salon de beauté où des femmes s'occupent d'autres femmes. Ca lui convient visiblement mieux que de fréquenter les hommes qui se retournent en vain sur sa beauté dans la rue. Elle vit avec sa soeur, mais sa soeur a un amant qui laisse des poils dans le lavabo. Et puis, un jour, la soeur part en vacances avec l'amant et Carole se retrouve toute seule dans le grand appartement. C'est à ce moment-là que le lapin qui trainait dans le frigo commence à se réveiller. A ce moment-là aussi que les fissures du mur se mettent à s'agiter, et que les bras poilus qui se planquaient dedans se décident à sortir. A partir de là, malheur aux doigts qui oseront appuyer sur la sonnette. Elle est jeune, blonde et complètement névrosée : attention ange méchante !
Un lieu prestigieux et chargé d'histoire. Des hommes et des femmes qui ont consacré leur vie à un grand art. Un chef esthète et inflexible. Non non, on n'entre pas pour autant dans les coulisses guindées d'un événement mondain. C'est juste la petite repet' privée d'un orchestre symphonique. Pourtant, y'a un(e) intrus(e) : une caméra de télé. Invisible, mais toujours là. Insaisissable, intrusive. Devant elle, les musiciens ne se sentent plus de joie. Chacun devient plus bavard que sa musique. Chacun a sa petite théorie pour justifier la prééminence de son instrument au sein du groupe, et ne se prive pas de la donner. On sent que c'est mal parti pour le jeu collectif. Et d'ailleurs, bientôt, la révolte gronde de derrière les pupitres. Le travail à peu près sérieux tourne au happening beatnik - à moins que le maestro ne parvienne à rétablir l'équilibre sur la balance de l'art... En mineur, pas reposant mais pas désagréable.