Encore un mythe qui passe de justesse la barre du potable à sauver. C'est un film choral, comme on ne le disait pas encore alors. Le décor : un hôtel au coeur de Paris, avec vue sur le canal St Martin et pittoresque à tous les étages. Les personnages principaux : Paris canaille, et Paris populo. Les histoires : des maris, des femmes, des amants, et quelques coups de feu. Celle qui est mise au premier plan (une histoire de petit couple tellement jeune, beau et amoureux que c'en est désespérant -c'est eux qui le pensent !) est de loin la plus tarte et la plus barbante. Heureusement, il y a quelques briscards, pas encore si vieux que ça, qui sauvent la mise. Ils s'incrustent, forcent un peu les portes de la fiction, changent l'atmosphère à force de brasser de l'air. Ils sont les seuls à parler parisien comme aucun parisien n'a jamais parlé. Les seuls à être dignes du mythe qu'ils ont créé.
Au début, on est dans un reportage radiophonique en direct. On passe dans un salon bourgeois. Des fois, on se croit dans une pièce de boulevard -mais pleine de répliques dignes du meilleur théâtre classique. A d'autres moments, c'est une comédie sentimentale, une satire sociale, un drame mondain. Décidément, ce film ne respecte aucune loi de construction dramatique et d'unité de ton ! Ses multiples personnages -bien que réunis ponctuellement pour une partie de chasse- ont bien du mal à constituer une société homogène. On dirait qu'ils jouent chacun une partition différente, tout en faisant mine de tenir leur rang. C'est la veille de la guerre et chacun joue perso : voilà qui ne présage rien de bon. Quant à Renoir, acteur inattendu et chef d'orchestre virtuose de cette inquiétante cacophonie, il démontre par l'absurde que l'illusoire harmonie sociale ne tient qu'à un fil. Oeuvre de chef !
Rien de tel qu'un grand viennois pour adapter notre Maupassant national (maison Tellier comprise, mais je ne crois pas que ce soit celle de mes ancêtres). On y voit des humains de toutes conditions (bourgeois, putains ou artistes, c'est tout comme) errer dans le labyritnthe de leur vie, coincés qu'ils sont dans des désirs frustrés et des destins étriqués. Et qui, parfois, trouvent tout de même une petite voie, un petit passage secret qui mène à leur innocence, un raccourci inattendu vers la grâce qu'ils ont perdue. Un petit moment de plaisir derrière les barreaux de leur morne existence. Ephémère ou illusoire, cela va sans dire, mais c'est déjà ça, juste le temps d'apercevoir ce qui aurait pu être. Et on voit ça par l'oeil d'une caméra malicieuse, plus libre qu'eux puisqu'elle traverse les murs et le temps -et les âmes aussi, parfois. C'est beau comme une partie de campagne, c'est triste pareil. Mais le bonheur (même celui du spectateur) n'est pas toujours gai...
C'est un jeune vieux veuf qui vit à la campagne avec sa maman et qui s'appelle Milou -on ne saura pas s'il a eu un chien qui s'appelait Tintin. La maman -très vieille France- a le bon goût de mourir au moment où s'annonce le printemps 68. La famille, étendue à quelques invités et pique-assitettes de passage, tiendra lieu de groupe de camarades, l'enterrement tiendra lieu de défilé de manif, et le partage des biens maternels d'héritage à liquider. A part ça, c'est presque comme à Paris : plein de faux-frères en état second. Le huis-clos à l'air libre, encerclé de dangereux grévistes, permet une relecture ironique (et très drôle) de L'Ange exterminateur (hommage de Jean-Claude Carrière au scénario qu'il aurait pu écrire). La révolution au vert mode d'emploi, par ceux qui auraient pu ne pas passer complètement à côté.