Les oubliés du titre, ce sont les enfants des rues de Mexico. Les adultes, ici, sont absents, aveugles ou épuisés de travaux domestiques. La seule loi qui tienne est celle du plus fort de la bande. Or, il s'appelle Jaibo et il sort de prison, ce qui ne présage rien de bon... Mais on est chez Bunuel, pas dans le néo-réalisme : la peinture de la misère se teinte de symbolisme et la figuration des rêves et des fantasmes n'est pas oubliée. Le poids du destin et l'injustice subie par l'enfance sacrifiée n'en est que plus puissante. Dur dur, sobre et beau...
El, comme son nom l'indique, est un homme un vrai. Il vit au Mexique dans les années 50, autant dire qu'il n'a de leçons de machisme à recevoir de personne. Bon bourgeois et bon catholique, autant dire (on est chez Bunuel) qu'il est un parfait psychopathe... Avec sa toute jeune épouse, la lune de miel tourne rapidement au cauchemar domestique. Bunuel s'insinue dans la logique délirante de cet homme avec une délectation ironique. Avec lui, la façade respectable peut cacher l'horreur, les valeurs les plus traditionnelles dissimulent la folie.
Derrière son air de dandy distingué, Archibald est un petit garçon. Un petit garçon attaché de façon fétichiste à sa boîte à musique et persuadé que souhaiter la mort de quelqu'un suffit à le tuer. Pour faire face à l'irruption du désir dans sa vie, cette mythologie d'enfant gâté n'est pas le bagage idéal. Déconcerté par la proximité du sexe et de la mort, il devient un serial killer mental ayant bien du mal à distinguer ses fantasmes de ses actes. Bunuel filme les ravages de la culpabilité dans l'éducation bourgeoise comme un grand jeu pervers et raffiné...
Dans la famille Pervers Ordinaires, il y a le grand-père, fétichiste des bottines et de Huysmans. Il y a la fille, tellement riche qu'elle est frustrée de tout, et il y a son époux, tellement frustré d'elle qu'il saute sur tout ce qui bouge. Quelques domestiques aussi, bien sûr, tellement habitués aux vices de la famille qu'ils savent à peine quels sont ceux qu'ils n'ont pas eux-mêmes. Et enfin il y a Célestine, la nouvelle femme de chambre tout juste débarquée de Paris, seule âme libre de la maison. Forcément elle intrigue, Célestine, elle attire les regards, les instincts et les sollicitations. Elle est comme un tableau blanc (ou noir, à votre guise), un miroir inversé tendu à tous. Elle est aussi belle qu'ils ne le sont pas, mais malheureusement impuissante à guérir à elle toute seule toute la bonne bougeoisie de son époque.
Madame rêve. Elle rêve de traverser en calèche une forêt obscure avec son gentil mari. Elle rêve de se faire humilier, attacher, fouetter, violer. Avec la complicité du gentil mari. Elle rêve qu'il lui arrive quelque chose. Madame vit dans un joli appartement. Elle ne fréquente que des gens raisonnables. A part peut-être ce Husson, passeur pervers vers d'autres mondes. Un jour, cédant à de douces suggestions, Madame va se décider. Elle va s'adonner à un très respectable petit artisanat local. Madame va faire la pute. Mais en maison bourgeoise. A mi-temps, dans ses heures creuses, avant 5h. Pendant le turbin de son gentil mari. Là, c'est comme si elle pénétrait enfin dans les coulisses du monde. Et dans les siennes. Comme si elle vivait une autre vie, enfin. Madame rêve, madame vit ses rêves, carambolage garanti. Et malaise assuré chez tous les spectateurs, dont la vocation est de se contenter de rêver.
Dans le compartiment d’un train, Mathieu raconte à ses compagnons de voyage (qui, bizarrement, se connaissent tous : le monde est décidément petit), comment il en est arrivé à adorer et à détester une femme. En fait, vu qu’elle l’encourageait et se dérobait sans cesse, l’objet de son désir à lui n’est pas difficile à deviner. Il attrape très bien les souris et les mouches mais, avec elle, il a plus de mal. Il a l’esprit tellement obscurci qu’il ne voit même pas que cette femme aux deux visages a aussi, littéralement, deux incarnations (deux actrices se partagent le rôle, en alternance, sans logique claire). A vrai dire, vu que Fernando Rey est doublé par Michel Piccoli, on a un peu l’impression que Matthieu est double, lui aussi. Quant au monde autour, dont tout le monde se fiche, il est obscurci d’étranges attentats terroristes. L’obscurité, c’est comme la lumière : dans l’oeil de tous les spectateurs.