Forcément, avec son gros corps maladroit, ses frusques usées et sa grosse tignasse rousse sur les verts patûrages néo-zélandais, elle fait un peu tache. Et puis, ça vit dans un trou à rats et ça voudrait faire des études littéraires ? Janet Frame -c'est son nom- est pourtant paraît-il une des plus grandes écrivaines de son pays. Mais, toute sa vie, elle s'est sentie de trop, pas à la bonne place, pas à sa place du tout. La bonne société de son temps pensait visiblement la même chose, puisqu'elle l'a envoyée des années entières chez les fous, avec doses réglementaires d'électrochocs. Le plus dingue, c'est qu'elle s'en soit sortie. En scènes brèves et quotidiennes, défile la vie très ordinaire d'un très banal génie terriblement timide. Et ça donne le seul biopic supportable que je connaisse, parce que son héroïne n'est pas une star, que sa vie est le contraire du glamour et qu'elle n'a jamais eu aucun destin à accomplir, à part celui de faire tache. Une vraie artiste, quoi.
Ca se passe au XIXème siècle en Nouvelle-Zélande. Quand les frèles corps d'Ada et de sa petite fille débarquent sur une plage, aux portes d'une forêt sauvage, pour un mariage arrangé, on ne donne pas cher de leurs peaux douces. D'autant qu'Ada est muette et qu'on la sépare tout de suite de son piano, sa voix, son âme, qui échoue par marchandage chez un voisin analphabète. Alors, il va lui falloir tout reconquérir : son indépendance, son art, sa vie, au prix de quelques sacrifices. Elle a tout à apprendre mais c'est elle qui donne les leçons et c'est ça qui la sauve. L'art et de la barbarie, les corps et la nature enfermés dans un bocal : c'est la recette de la passion.