Drôle de drame, bazar bizarre (si si, cousin, vous l'avez dit !), craquante confiserie classique... Dans un drôle de pays qui prétend être l'Angleterre (mais sans cette langue barbare qui s'y pratique) évoluent de drôles de gens qui prétendent ne pas être ce qu'ils sont (ou le contraire). Qu'ils s'affichent comme pasteur, scientifique excentrique, policier ou serial-(butchers)-killer, ils ont toujours une identité de rechange en cas de besoin. Le meilleur alibi des tordus est la bienséance sociale -surtout en Angleterre, vraie ou fausse. Une seule chose est sûre : tous coupables ! A un petit détail près tout de même : pas moyen de dénicher le moindre cadavre -mais ce n'est pas faute d'essayer, ni d'y penser. A force de se cacher dans le double-fond de leurs arrières-pensées, ces pantins pas malins finissent par ne plus trop savoir où ils en sont. L'intrigue est donc impossible à résumer, tant mieux !
Encore un mythe qui passe de justesse la barre du potable à sauver. C'est un film choral, comme on ne le disait pas encore alors. Le décor : un hôtel au coeur de Paris, avec vue sur le canal St Martin et pittoresque à tous les étages. Les personnages principaux : Paris canaille, et Paris populo. Les histoires : des maris, des femmes, des amants, et quelques coups de feu. Celle qui est mise au premier plan (une histoire de petit couple tellement jeune, beau et amoureux que c'en est désespérant -c'est eux qui le pensent !) est de loin la plus tarte et la plus barbante. Heureusement, il y a quelques briscards, pas encore si vieux que ça, qui sauvent la mise. Ils s'incrustent, forcent un peu les portes de la fiction, changent l'atmosphère à force de brasser de l'air. Ils sont les seuls à parler parisien comme aucun parisien n'a jamais parlé. Les seuls à être dignes du mythe qu'ils ont créé.
Il y a des films qui deviennent mythiques pour de mauvaises raisons : une vague atmosphère d'époque, une réplique qui permet à des générations entières de draguer, les premiers pas d'une star... Quai des brumes possède tout cela, mais sa poésie s'est un peu égarée en chemin dans le brouillard. A moins d'être encore sensible à la poésie des quais, à la poésie des brumes, à la fatalité qui lie les destins des jeunes filles pas encore perdues à celui des mauvais garçons pas encore pourris. Pas gagné d'avance. Encore heureux qu'il lui reste quelques ingrédients indémodables : un méchant jublatoire (Michel Simon) et un couple éternel (Gabin/Morgan). Juste de quoi échapper de peu aux limbes de l'histoire, tout en restant à quai...
Un homme en tue un autre au seuil de son appartement haut perché. Le mort dévale l'escalier, le tueur s'enferme chez lui en attendant les gendarmes. Avant que le jour ne se lève, la nuit va être longue... Une nuit pour revoir l'essentiel de sa vie, résumée par les objets présents dans sa chambre, une petite vie d'ouvrier soudeur qui a bien le droit à sa(ses) petite(s) histoire(s) d'amour. Sauf qu'un autre homme s'en mèle toujours. C'est celui qui dévale l'escalier au début, il aime mener les hommes (surtout les femmes) et les chiens à la baguette, sa vraie profession est beau salopard. Le genre à déclencher tous les engrenages fatals. Le film qui a inventé le flash-back, le réalisme poétique, Arletty sortant de sa douche, les répliques de Prévert et les colères de Gabin : on s'incline...
On est au temps (et dans les terres) des très riches heures du duc de Berry, la paix n'a que trop duré. Pour éviter aux hommes d'être heureux trop longtemps, le Diable a parfois envie d'ajouter son grain de fiel à l'histoire. Deux de ses envoyés arrivent donc sur Terre. Il y a Gilles, musicien mélancolique, parfois hélas un peu attiré par le côté lumineux de la Force. Et il y a Dominique, dont on se demande si les autres l'apprécient plus en homme ou en femme (et si il/elle eut jamais un coeur). Ils sont là pour faire des ravages, ils en font. Pourtant, s'ils utilisent les mêmes mots, leurs yeux ne disent pas toujours la même chose. En fait, Gilles se met même à croire un peu trop à son propre jeu avec Aaaannne. Alors, le Diable lui-même vient remettre un peu de (dés)ordre dans tout cela. Le film est un rien pompeux et solennel. On ne sait trop si c'est le coeur de la France sous occupation qu'il a voulu faire battre, à la fin, mais au moins a-t-il donné naissance à une belle statue palpitante, une certaine idée du cinéma français.
Au siècle avant-dernier, quand la télé n'existait pas encore, les artistes de théâtre et de cabaret étaient les rois des Boulevards parisiens. Voici une femme et trois hommes qui sortent de la foule anonyme : un acteur sûr de lui, un aristocrate sûr de sa fortune, un mime-poète sûr de rien. Elle préfère le poète, bien sûr. Mais Paris (réinventé par Prévert) s'en mèle et la vie sépare ceux qui s'aiment. Car l'amour des uns fait le malheur des autres. Pour de mystérieuses raisons (c'était un de mes sujets de dissert' au lycée), les histoires d'amour impossible sont celles qui nous touchent le plus... A force d'art et de poésie, ce film envoie direct ceux qui le regardent au paradis des spectateurs.
A Port-en-Bessin : des pêcheurs qui vont au bistrot, surtout celui où sert Marie, la "sournoise" taciturne. A Cherbourg : des marins en uniforme qui vont à la brasserie et au cinéma, propriétés d'Henry, le patron séducteur. 100km, une génération et pas mal d'obstacles les séparent. Un enterrement et un bateau les rapprochent. Ils parlent beaucoup (avec le quota réglementaire de bons mots du cinéma de l'époque) mais rarement pour dire ce qu'ils pensent, et encore moins ce qu'ils ressentent. Mais le patron a les idées larges : la preuve, il passe aussi bien des films de Georges Lampin que de Murnau, dans sa salle de ciné. En coupant les 10 dernières mn, avec une fin façon Enfants du paradis, ça pourrait tenir la route du large. Dommage...
Un jeune homme en prison, beau comme Gérard Philippe, s'évade en douce pendant son sommeil, en rejoignant en rêve un mystérieux village où le temps s'est arrêté et où tout le monde est à la recherche de sa mémoire. Il a bien envie d'y rester, d'autant qu'il vient d'y rencontrer la jeune fille de ses rêves (c'est bien la moindre des choses), belle comme Suzanne Cloutier. Il a assez de mémoire pour tout le monde, mais ça présente aussi quelques inconvénients. Bon, on n'est pas vraiment dans Paprika ou dans Inception, mais il y a de ça quand même. En fait, c'est plutôt un remake caché du Jour se lève, où l'imagination prend la place du passé -avec le même mode d'emploi au début, pour ne pas larguer les spectateurs. Un poil de Magicien d'Oz, aussi, sans les couleurs. Tentative pour passer du réalisme poétique à la poésie réaliste. La magie et les grands sentiments sont un peu laborieux mais il y a de ça quand même.
Avant même le drame, elle est déjà tout en noir et pleine d'épingles, Thérèse, comme un papillon dans la vitrine de sa boutique de tissus. Un mari toujours au lit (mais uniquement pour dormir ou se faire soigner), une belle-mère comme on les craint toujours sur le dos : on la plaint, Thérèse. Alors, le collègue italien à biscottos, on le voit arriver comme les petits chevaux auxquels le mari ne cesse de jouer : avec ses gros sabots. Le drame est sur les rails... Pas très nouveau, pas très étonnant : un médiocre drame de la médiocrité. Une espèce de ressucé de la Bête humaine plein d'humains très bêtes. Sans oublier le matelot, qui sonne toujours deux fois. Zola a sans doute vu pire. On a vu mieux mais ça n'a rien de déshonorant.
A la fin des années 50, déjà, les djeun's, comme on ne le disait pas encore, posaient problème. Toujours à traîner dans les cafés, à boire et à draguer, au lieu d'avoir envie de bosser comme tout le monde. Parfois, ils faisaient des boums dans le château de leurs parents toujours absents, et manifestaient leur révolte en vidant la cave et en couchant avec n'importe qui dans le lit des parents toujours absents -l'horreur. En ce temps-là, déjà, venir de la banlieue était infamant, mais parce que ça voulait dire à l'époque porter une cravate et crêcher à Neuilly -l'horreur. Décidément, il y avait bien quelque chose de pourri au royaume du cinéma français : ces jeunes-là ont déjà mille ans, ils n'ont pas l'air de croire à leur cynisme. On ne prédit aucun avenir intéressant aux acteurs : à part au second rôle à longue figure, qui s'empressera de fuir cette galère au théâtre, et à un quasi-figurant à grandes oreilles qui ne tardera pas à passer à l'ennemi, dans le camp de la jeunesse qui se filme elle-même. Le film d'un vieux ronchon donneur de leçons.