Un homme entreprend un voyage à la rencontre de ses fantômes... En fait, il est envoyé par son patron (un peu louche, le patron) dans les Carpathes pour proposer une affaire immobilière à un certain comte Nosferatu -ou Dracula, suivant les versions (un peu louche, le client). Il aurait dû se méfier, c'est sûr. En fait, en matière immobilière, le comte se contente de fort peu (un petit cercueil lui suffit). Mais en matière de ravitaillement, en revanche, il semble nettement plus exigeant... Un cauchemar obsédant, filmé comme un théâtre de marionnettes en ombres chinoises (expressionnisme, qu'y disent). Un piège à retardement, une bombe d'ombre et de lumière dont l'explosion dure le temps d'un film.
En matière de portes, il s'y connaît, le bonhomme : il est portier à "l'Atlantik", le plus bel hôtel de la ville. Serviteur servile des riches, mais roi arrogant chez les gueux, avec son rutilant costume à boutons dorés. Sauf que les portes, elles sont faîtes pour être tournées : quand il est muté préposé aux lavabos, c'est la cata. La blouse blanche remplace les boutons dorés. Le ciel, la ville et les voisins (et même le happy-end) lui tombent sur la tête. Pas besoin d'un seul mot pour suivre, en toute subjectivité, la déchéance d'un homme. Pas besoin d'un seul intertitre pour en être ému.
Faust, respectable savant à l'ancienne (barbe blanche, grimoires et fioles) est tenté par une reconversion expresse en dandy à la mode (pourpoing, belle gueule et belles paroles) par le diablotin Méphisto. Le pouvoir de séduire vaut bien une petite damnation. Bataille dans les âmes, bataille dans le ciel : la lumière affronte les vapeurs malines ; l'homme affronte la fragmentation de son désir. Avec une invention visuelle constante, Murnau truffe ses plans de split-screen naturels et invente le cinéma-kaléidoscope : les miroirs y reflètent l'imaginaire, les fenêtres s'y ouvrent sur le rêve. Et Faust, enfin, découvre sa vraie nature, que le grotesque Méphisto ne réussit qu'à singer : l'amour vaut bien une petite damnation.
C'est l'histoire d'un mec qui hésite entre sa maîtresse et sa femme, entre la ville et la campagne, entre l'ombre et la lumière. C'est l'histoire d'un type pour lequel tout semble difficile, qui doit se battre sans arrêt contre les autres, contre la nature et surtout contre la sienne propre. C'est l'histoire d'un homme qui est toujours un peu largué, dépassé, lourd, étranger à lui-même et au monde. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? C'est l'histoire d'un acteur qui a toujours l'air de s'être trompé de plateau, de ne pas être dans le bon décor. C'est l'histoire d'un cinéaste qui a inventé l'art de faire du sens avec des images, et des images avec du sens.