Dans mon album de famille de cinéma, mes grands-parents habitaient le village de Jour de fête. Mes parents ont bien connu Vincent, François, Paul et les autres. Et moi, j'ai fait mes études avec les zigottos de ce film, du genre à se nourrir de mots et à ne jamais s'arrêter de penser. On a fréquenté les mêmes librairies, discuté des heures dans les mêmes cafés, arpenté les mêmes rues et les mêmes allées des mêmes parcs parisiens. Et nul doute que si j'avais croisé Mathieu Amalric, normalien philosophe "nul avec les filles", je l'aurais trouvé craquant (comme 3 des filles du film). Le montage, brillant, multiplie les effets de mémoire. Et une voix off très littéraire (on la croirait sortie de chez Mme de la Fayette - ou de chez La Collectionneuse) parvient à donner une dimension épique et romanesque au quotidien de ces jeunes gens. Notre vie était donc si passionnante et on ne le savait pas !
Quand un pêcheur mythomane raconte sa dernière pêche, et qu'il est meilleur mythomane que pêcheur, ça peut devenir une épopée fantastique, une aventure fabuleuse. Edward est comme ça : il n'a pas de mains d'argents (il en a pourtant vendues) mais sa parole est d'or. Son don à lui, c'est de transformer en mythe le moindre épisode de sa petite vie tranquille - et d'énerver son matérialiste de fils. Edward est très malade, le fils et sa femme enceinte sont à son chevet, ils ont enfin le temps de se refiler le seul héritage familial qui vaille : des histoires, encore des histoires. Des histoires en images, parce que c'est ce que son pays a inventé de mieux. Quand un cinéaste mythomane, aussi bon cinéaste que mythomane, raconte à quel point il aime les histoires (de cinéma), ça peut devenir un film fantastique, une oeuvre fabuleuse.
Ah Paris, Paris…! Ah, les douze coups de minuit…! Conte de fée au carré, donc, pour Woody, plus Américain à Paris que jamais. Parce que ce qu’il aime à Paris, au fond, c’est quand les meilleurs américains de leur temps (Fitzgerald, Hemingway, Gertrude Stein, Joséphine Baker, j’en passe et des pas moins bons…) y faisaient la fête loin de chez eux. Alors, quand il y envoie un jeune couple américain côte ouest bien propre sur lui, c’est pour le subvertir à coup de trou noir temporel en forme de carrosse de cendrillon shooté à la culture. Un peu Belles de nuit, un peu Quelque part dans le temps, beaucoup de jazz et de fayotage francophile. Pas sûr qu’il ait dépassé le périph’ ni la page 1930 de son encyclopédie, l’oncle Woody, mais il a à coup sûr parcouru tout le bottin des stars du moment. Et on pardonne tout à ceux qui font les même rêves que nous.