Ca se passe à une époque reculée, au tournant d'un millénaire, juste avant la fin du monde. La Mort fait sa tournée mais elle est provisoirement retardée par une partie d'échecs avec un chevalier de retour des croisades (Max le grand, à qui ça a dû faire drôle de se retrouver de nouveau, un millénaire plus tard, devant un type menaçant avec un capuchon noir sur la tête). Le chevalier en sursis en profite pour tenter, une dernière fois, de comprendre quelque chose au monde qui l'entoure et au silence de Dieu. Dieu, justement, il se fait aussi bruyamment attendre par des pénitents qui fuient la peste et par des soldats qui brûlent une sorcière. Mais il se fait tendrement entendre d'un troubadour en roulotte. Un film qui ose allier le symbolisme mystique, le trouble métaphysique et le burlesque de foire, sans jamais tomber dans le ridicule. Presque aussi grand que les sujets qu'il traite.
A 78 ans, Isaac Borg est devenu le type de grand professeur auquel j'espère bien ne jamais ressembler : sec, maniaque, arrogant par habitude. Aujourd'hui, à l'autre bout du pays, on lui fête son jubilée : 50 ans de bons et loyaux diagnostics médicaux. Pour se sentir encore jeune, sans doute, il fait un caprice, renonce à l'avion et part en voiture. Le temps de cette journée particulière, il rêve de ce qu'il est déjà devenu -un homme mort-, et imagine les souvenirs d'enfance qui ont échappé à sa mémoire. Sur la route, il remonte à l'envers le cours de sa vie. Il rencontre celui qu'il a été, la famille dont il est issu, celle qu'il n'a pas su fonder, les libertés qu'il n'a jamais osé prendre. Au bout du chemin, il a droit à sa médaille mais il sait, qu'en fait, il a été recalé à son certif de belle vie. Le bilan est impitoyable : c'est celui qu'un homme encore jeune fait à son avenir, et c'est encore plus troublant.
Voici un chaînon -pas manqué du tout- entre Vertigo et Mulholland drive. : un portrait de l'artiste en deux femmes. Qu'importe le prétexte, l'histoire. C'est la rencontre entre une comédienne mutique et une infirmière pleine de remords. C'est l'impossible et nécessaire fusion entre une façade sociale et un inconscient, un corps et une parole, un fantôme et une âme -bref, entre deux actrices. C'est un souvenir d'enfance qui s'efface. C'est une géométrie de la lumière sur des visages humains. C'est une exploration par tous les bouts du pouvoir des images et des limites de la représentation. C'est un film extraordinaire.
Johan et Marianne, 10 ans de mariage, 2 enfants, couple modèle. Lui : parle bien, dit ne pas douter, se sent un peu enfermé. Elle : réservée, a peur de douter, ne se rend pas encore compte de son enfermement. En fait, le ver est déjà dans le fruit du paradis conjugal. A la première tentatrice venue, Johan se tire. Marianne pleure un peu, mais au fond c'est elle qui a la meilleure part. Ils se déchirent, se séparent, se revoient, se redéchirent. En fait, on ne les voit s'embrasser et se désirer qu'au plus fort de leurs scènes de ménage. Les corps ne veulent jamais la même chose que les paroles qui en sortent. Les années passent. Johan et Marianne, 10 ans de divorce, couple modèle. Un film de chambre avec vue sur les âmes par temps d'orage. Avec deux musiciens experts dans l'art du sentiment qui traverse un visage.