Au jeu de Marienbad, quand on connaît le truc et qu'on joue en premier, on est sûr de gagner. Mais les humains, on ne sait jamais trop à quel jeu ils jouent. Ces pingouins en cage dans un chateau, par exemple, qu'est-ce qu'ils font à ne jamais rien faire ? Et ce type, là, toujours en train d'essayer de parler à cette statue de chair en forme de Delphine Seyring, qu'est-ce qu'il cherche ? A la faire descendre de son piedestal ? A l'emmener dans les limbes ? A la piéger dans sa toile d'araignée de mots ? A l'hypnotiser pour qu'elle retrouve la mémoire ? A réveiller la somnambule qui sommeille en elle ? Petit jeu de cache-cache en labyrinthe mental. Petite leçon de jubilation gelée.
1968. Antoine Doinel, l'ado turbulent des 400 coups est devenu un jeune homme romantique. Enthousiaste et maladroit, éternel étonné doutant de tout. De belles mains qui bougent beaucoup, et inventent des gestes qui n'appartiennent qu'à elles. Toujours amateur de littérature -surtout Balzac, Stendhal et Flaubert- et de jolies femmes -surtout celles chez qui on mange du fromage, et qui ont des parents sympas. Il essaie tous les métiers, tous les lits, toutes les humeurs. Instable mais pas révolté -sa mèche est ce qu'il a de plus rebelle. L'adolescence grave a fait place à une jeunesse étourdie et pétillante : le plus léger de la série des Antoine Doinel, le plus drôle et le plus euphorisant. Un personnage qui a bien vieilli, regardé avec indulgence, comme en arrière, avec la nostalgie de ce qu'il n'a pas encore vécu.
Dans le pays bleu, vit un roi très riche, grâce à un âne banquier (comme tous les banquiers). Il aime tellement sa fifille qu'il voudrait bien l'épouser. Ne cache-t-il pas une âme de bête, celui-là ? Comme cela ne se fait pas, la princesse -très belle- s'enfuit planquée dans la peau de la bête (l'âne, pas le père). Pendant ce temps, dans le pays rouge, un prince très charmant et très déprimé s'ennuit. Une fée des lilas high-tech et quelques stratagèmes permettent leur rencontre... Tous les contes donnent un mode d'emploi du bonheur. Ici, c'est clair. Les jeunes filles doivent avoir quelques peaux en réserve, avant de pouvoir montrer qu'elles sont belles à l'intérieur. Mieux vaut aussi pour elles savoir tenir une maison et faire des gâteaux. Les jeunes hommes seront bien inspirés d'écouter les roses, et de ne pas se lasser trop vite des pâtisseries. Les couples, alors, pourront se permettre de faire des projets ambitieux (faire des galipettes et fumer la pipe en cachette). Le bonheur (très flower power) du cinéphile, lui, est disponible à tout âge.
Marguerite, c'était la gourou de mon adolescence ; Le ravissement de Lol V. Stein un de mes livres cultes. Autant dire que je suis capable de tenir des heures devant un vide aussi plein qu'India Song... Nocturne indien, réception chez l'ambassadeur. Champagne, musique. Une femme passe de bras en bras. Un homme pur et maudit crie qu'il l'aime. Mélancolie ouatée, élégance du désespoir. Des fois, il y a des personnages ensemble dans le même plan, mais ils n'habitent jamais le même espace. Sauf quand ils dansent. Sinon, des paysages flottants, des bouts de conversation. Comme L'année dernière à Marienbad, ce film, c'est comme un objet qui serait quelque part entre l'écran et le spectateur. Ailleurs, avant. Les images en sont une projection partielle, les sons en sont une autre. La meilleure, c'est celle qui reste dans la tête,
Jeanne est le parfait prototype de la parfaite bourgeoise respectable. Elle est veuve, élève seule son grand fiston à hormones, tient son parfait intérieur du plus parfait mauvais goût de l'époque avec une conviction parfaite qui force de le respect. Une femme, sous le regard d'une femme qui ne montre que ce qu'on ne montre pas d'habitude : tout le temps qu'il faut pour ne rien faire d'autre (courses, cuisine, ménage...) que simplement maintenir à flot une vie de parfaite desperate housewive. Une vie tellement bien (en)cadrée que c'en est insupportable. Jeanne, donc, lave, nettoie, plie, range, arrange tout ce qu'elle touche, ne fait jamais la cuisine sans son tablier ni l'amour sans une petite serviette en dessous. Ben oui, faut bien gagner sa vie, quand même -mais pas plus d'un homme par jour, à domicile, pas plus que le temps de cuisson du plat du jour. Un jour, les patates sont trop cuites et on comprend qu'il a dû se passer quelque chose d'inhabituel, d'inconcevable, d'indécent, quelque chose de pas prévu au programme de cette vie-là. Le lendemain, on comprend que ça ne s'arrange pas. Il va falloir remédier au problème... Simplement génial et glaçant !