Un chantier immobilier pourri, dans une banlieue de Londres pourrie, mené par un pourri de patron : bienvenue au joyeux pays de Margaret. On se doute bien que ceux qui travaillent là -touristes sans carte de séjour, bidouilleurs en fin de droit, déclassés de longue durée...- n'ont pas trop le choix -et qu'ils ont intérêt à fermer leur gueule. Mais toutes les Margaret du monde ne peuvent les empêcher de former un groupe d'humains -le début de l'espoir, chez Ken Loach. Steeve trouve tout de suite sa place dans cette petite communauté. Il se déniche même une copine chanteuse, et l'installe dans son squat -une île précaire de liberté dans un océan de misère. Tract terrible et joyeux contre l'horreur économique ; portrait joyeux et terrible du bordel ambiant.
Bob est un bon bougre heureux en ménage. Il est même catho, c'est dire comme Loach a l'esprit large. Mais il manque de sous, donc de tout -sauf d'imagination. Et voilà que la fifille a besoin de se déguiser en nonne -le costume est très cher- pour sa première communion. D'où, pour assurer, un enchaînement de plans-débrouilles foireux avec son pote Tommy, de galères qui prennent l'eau et de bonne volonté embourbée au fond de divers marécages. Il a aussi l'orgueil un peu mal placé et la descente de bière un peu en pente, l'ami Bob. Mais bon, des fois, même chez Loach, le ciel est avec les hommes de bonne volonté. Un ciel pour qui la mort d'un homme -un beau salaud, of course- peut être légitime. Mine de rien, même quand ils nous font un peu rire (comme ici), ses films ne disent toujours que ça : contre ceux qui les exploitent et les écrasent, les prolos font bien de retrousser leurs manches -pour cogner !
Au bout de 2mn, n'importe quel spectateur normalement constitué devrait déjà sentir l'eau salée lui monter aux pupilles. Maggie chante dans un karaoké, et c'est comme si sa vie en dépendait. D'ailleurs, c'est le cas. Heureusement, il y a au moins un bon gars dans le pub qui s'en rend compte. On apprend, avec lui, ce qui bout dans Maggie : 4 enfants, de 4 pères différents, placés dans 4 foyers différents. Un passé lourd comme une enclume et comme les coups de poing qu'elle a déjà largement encaissés. La bon gars va s'employer à alléger les souvenirs, et à fabriquer avec elle d'autres enfants, puisqu'il n'y a que comme ça que Maggie se sent vivante. Toujours borderline, toujours en rage, mais toujours vivante. Au bout de 2h, si vos yeux ne se sont pas complètement noyés dans un océan d'eau salé, c'est que vous n'êtes pas un spectateur normalement constitué.
Liverpool 1995 : un vieil homme meurt, ça n'intéresse pas grand monde à part sa petite-fille. Espagne, 1936 : le même, en plus jeune, militant communiste enthousiaste, vient offrir ses petits bras à la cause républicaine. Il rejoint le POUM, un groupe de prolétaires de tous pays unis dans la lutte, un peu anars, un peu révolutionnaires, rouges et noirs comme leurs foulards. Le problème, c'est qu'on ne fait pas une bonne révolution avec de bonnes intentions. Il faut aussi apprendre à utiliser des pétoires, à se méfier de ses alliés et à essayer de suivre les aléas des intérêts russes. Ken Loach est bien le seul à être capable de démèler dans un film les querelles crypto-trotkistes. Il est le seul à pouvoir faire sentir ce que frères d'armes veut dire. Il est le seul à filmer l'histoire comme un documentaire, et à voir dans les papys de son pays des héros pour la jeunesse d'aujourd'hui.
Los Angeles : ses stars, ses buildings... et, de l'autre côté des vitres, ses passagers clandestins venus du Mexique. Ils travaillent de nuit, balaient, nettoient et se taisent, en parfaits hommes invisibles qu'on leur demande d'être. Rosa et sa soeur Maya sont de ceux-là. Trop heureuses d'être là pour oser, en plus, réclamer quoi que ce soit (congés payés, sécu et paiement des heures sup). Heureusement, Ken Loach veille et leur dépèche un syndicaliste comme il les aime, débrouillard et insolent, pour donner une leçon de politique à ses grands frères d'outre Atlantique. Ils les auront, ces exclus, leurs roses -épines comprises, qu'ils s'empresseront de planter dans le talon du géant américain.