Certes, il y a une histoire d'espionnage dont le prétexte est (presque) aussi obscur pour ses héros que pour le spectateur. Certes, il y a du marivaudage dans l'air. Des coups de fil intrusifs, des choses cachées derrière les portes, et derrière les notes de musique. Du jeu, des décors de studio, du style. Un train, des morts. Du fétichisme (un bouton), des messages codés. Des personnages qui ne savent pas bien ce qu'ils font là -mais qui n'arrivent pas encore à faire mine de ne pas y attacher d'importance. Bref, ça ressemble à du Hitchcock qui aurait en main toutes les clés de sa maison, mais qui n'aurait pas encore trouvé toutes les bonnes serrures.
Enorme. Il est énorme, en poids du corps et en poids des mots. Il gagne sa vie en déchargeant les bourses de quelques uns de ses semblables, et surtout en régalant les autres des récits de ses énormes exploits. En les exagérant ou en les inventant, si besoin. Il paie en mots ce qu'il ne peut pas payer en monnaie sonnante, c'est le plus généreux des bavards. En plus, il a d'excellentes fréquentations qui font de lui, aussi, un potentiel poids lourd politique. Le fils du Roi himself l'accompagne dans ses chasses, et lui prête des oreilles qui valent l'or de la couronne qu'il ne porte pas encore. Le Prince apprend avec Falstaff la seule chose que son père est incapable de lui payer ou de lui transmettre : jouer, et rire. Mais rien n'échappe à la raison d'Etat, surtout pas la bonne humeur de sang royal... Le budget fut sans doute modeste mais les mots sont de l'énorme Shakespeare, et les comédiens font le poids. Sans aucune lourdeur, et comme à la vitesse d'un cheval au galop.
Jours étranges. Pendant qu'une épidémie d'hommes-loups semble couver, un avocat grand bourgeois -et très britannique- s'acharne à encourager l'idylle fantomatique de son épouse avec le jeune homme vaguement hippy qu'il a échoué à faire condamner. Ils ont tous l'air de s'ennuyer, ou de ne pas savoir ce qu'ils font là. Chronique d'un changement d'époque ? Oui mais en fait, non, tout ça c'est rien que dans la tête bien imbibée d'un vieil écrivain malade -mais toujours très britannique- pendant une nuit d'insomnie. Il a des comptes à régler et les idées pas très claires, ce qui explique sans doute les incongruités de son scénario balbutiant. Et comme il vit à Providence, sa magnifique propriété, pas étonnant qu'il se prenne pour un démiurge. Chronique d'une fin de vie annoncée ? Oui mais en fait non, c'est encore un peu plus compliqué que ça, mais on laisse le suspens aux néophytes. En fait, de toute façon, c'est tout ça en même temps, et plus encore. Une superposition de banalités, conventions et lieux (plus ou moins) communs, qui finit par donner de la profondeur à la surface des choses.
Une drôle d'histoire d'espionnage tragique, mâtinée d'humour anglais où, pour réchauffer un peu la guerre froide agonisante, on fait appel au bon vieil apartheid sud-africain, alors florissant. Le cadre, c'est la cellule africaine des services secrets anglais, peuplée de petits fonctionnaires paisibles et discrets : des Sherlock Holmes en attaché-case, des James Bond de bureau. Malgré leur volonté affichée de mettre leur vie dans des petites boîtes étanches, elle prend l'eau. Il y a des fuites. Et le téléphone, comme ailleurs, est en train de devenir l'instrument de torture le plus raffiné de ce monde raffiné. Un film pour rire, pleurer et avoir peur tout à la fois. Pour transformer tout spectateur en agent double.
L'angleterre victorienne a tout inventé de notre monde moderne : l'exploitation de l'homme par l'homme (enfin, ça c'était déjà pas nouveau) et par la machine, et la mise en spectacle de ses marges, pour mieux les apprivoiser. John Merrick, le Freak qui n'est pas un monstre, en est un exemplaire révélateur. D'abord, il suscite les bas instincts des spectateurs de foire, leur voyeurisme et leur intolérance -et le nôtre aussi, par la même occasion. Sauf que, rapidement, c'est la monstruosité des autres qui nous saute au visage. La bonne société le traite apparemment mieux, surtout quand il consent à devenir l'alibi idéal de sa bonne conscience. Mais, comme un éléphant dans un jeu de dupes, il n'a évidemment de place nulle part... Dès ses premiers films, David Lynch faisait déjà de drôles de rêves.