Oskar, comme tous les hommes de sa famille, a toujours adoré vivre dans les jupes de sa mère. Il est blond comme son père polonais, têtu comme son père allemand. A 3 ans, il décide d'arrêter une fois pour toute de grandir, et se consacre à plein temps à son tambour. Cette audacieuse initiative lui permet de traverser les années 30-40 incognito, libre dans sa tête dans son corps d'enfant, tambour éternellement mineur. Oskar, c'est un peu une vigie qui n'arrête pas de sonner l'alerte, mais que personne n'écoute. C'est un grand homme qui veut rester petit dans un pays qui, lui, se trouve trop petit pour ses grandes ambitions. C'est comme l'Allemagne qui se projetterait dans une chambre noire : à l'envers, en miniature, mais terriblement ressemblante.
Le Décalogue, c'est ce truc en 10 leçons pour apprendre à compter sur ses doigts, qui date d'au moins 3000 ans avant Jean-Paul II, que Charlton Heston a descendu du Mont Sinaï avec de la poussière dans la barbe et des étoiles dans les yeux... En plus, au Trivial Pursuit, on en oublie toujours un ou deux. Le Décalogue, c'est aussi le pari fou d'un cinéaste génial, réalisé pour la télé polonaise, à une époque où son pays roulait en pots de yaourt derrière le rideau de fer.
Dix films, donc : environ 1h chacun, quelques dizaines de personnages. Ils habitent presque tous le même bloc d'immeubles tristes de Varsovie. De multiples liens les relient entre eux, à leurs voisins de palier et au reste du monde. Ils sont profs, artistes, médecins ou chauffeurs de taxi : des pros de la condition humaine, donc. Le co-scénariste, lui, est avocat : un pro, lui aussi. Il plaide ici la cause de ses semblables, ces bonshommes maladroits qui rêvent de contrôle et de maîtrise. Ces dix histoires ne donnent aucune leçon. Elles ne mettent pas en scène des cas de conscience ; elles évoquent juste ces moments où le sort d'une vie se joue sur le fil d'un rasoir. Où l'âme est au bord du précipice, où un regard muet peut tout changer. Elles montrent que chaque homme est le miroir de ses semblables. Dans ces films, on croise le vertige métaphysique au coin d'un bloc de béton. Les acteurs nous sont inconnus mais ils sont nos proches, nos tout proches. Quant à la nature, aux décors et aux objets, ils n'ont jamais joué aussi bien dans aucun autre film...