Une famille africaine, mais riche : papa est patron, maman se pomponne, deux jeunes filles qui vivent leur vie de jeune fille. Sauf que l'une est muette, comme la souffrance des femmes de son pays : victime idéale pour le beau parleur glandu du quartier, qui vient juste de quitter la boîte du papa. L'intrigue principale est simple et désespérée. Mais on prend au début pour de la maladresse ce qui est en fait de l'audace : un récit plein de digressions, d'ellipses, plein de gens, plein de vie. Du coup, le film est autant une tragédie antique qu'un docu sur la vie à Bamako, ou qu'un tract militant sur la condition féminine. La société entière entre dans l'image comme la musique dans le son : en douce, par imprégnation. Comme la sourde colère du réalisateur contre la misère matérielle des pauvres, et la misère morale des riches.
La Ligne générale suit le destin d'un pousseur de charriots des rues de Bamako. Exploité par des pauvres qui ne peuvent pas payer leur course, il se fait embaucher par un ingénieur plein de bonne volonté, avant de finir manipulé par un patron pas étouffé par les scrupules. Le fond du tableau est une fresque ambitieuse sur la circulation de l'argent dans toutes les couches de la société, et sur ce qui préoccupe tout le monde : travailler pour manger, manger pour travailler. L'Afrique aussi sait ce que signifie le pouvoir du capital et l'aliénation des masses. Heureusement, l'Afrique aussi a son Ken Loach.
Jours du bac à Bamako. Révisions de dernières minutes, joints, musique et amourettes, comme pour presque tous les lycéens du monde (non, non, pas pour moi !). Conciliabules, ambiance fébrile, suspicions sur les résultats. Le gouverneur militaire a trois femmes, des grosses lunettes orange et du souci à se faire. Non seulement ses femmes se crèpent les tresses, mais le vent de la connaissance et celui de la révolte se liguent contre ses méthodes douteuses et musclées. Pire : sa propre fille se joint aux rebelles. Version black en vraie V.O. de Hair (moins les chansons), façon naturalisme magique, poétique et politique. Très gonflé, très étonnant, très bien !
Chez les Bambaras, pour devenir un homme, il faut faire connaissance avec ses ancêtres et avec leur histoire -longue et compliquée, forcément. Il faut quitter sa mère, traverser le pays et les générations, rencontrer d'autres femmes. Il faut affronter ses semblables différents et mesurer sur eux l'étendue de ses pouvoirs. Et il faut bien, un jour, affronter le "pilon magique" de son père. Chez les Bambaras, comme partout, pour devenir un homme, il faut, au moins, toute la mémoire du monde. Ce 2001, l'Odysée de l'espace à l'africaine est une machine à remonter le temps du mythe jusqu'à la lumière originaire, une Genèse animiste à la complexité biblique, belle comme une cosmogonie et universelle comme un conte.