Doc Erwin Riedenschneider, agrégé en combriolage juteux et metteur en scène affuté de son art, sort de prison et ne tarde pas à reprendre ses chères études. Pour mettre la main sur quelques bijoux, il a un scénario en or qui lui permet de choisir son casting : quelques stars incontestées de la cambriole, quelques seconds rôles de plus ou moins gros calibres. Le producteur-promoteur est véreux et amateurs de starlettes, ça n'étonnera personne. Préparation, exécution, conséquences : le plan (devenu) habituel (depuis) de toutes les écoles de casses, de cinéma et d'ailleurs. Comme d'hab, ce serait trop beau que tout se passe bien. Comme d'hab, tout est prévu sauf l'imprévisible : le hasard et la faiblesse des hommes -pas toujours la même, mais il suffit de la trouver. Quand la ville dort, tous les chats sont gris et tous les films sont noirs. Surtout les bons.
C'est un western à la fois classique et étonnant. Classique parce qu'on y croise des héros de la gachette, un saloon-tripot, une attaque de diligence, un casse de banque, un projet de gare et des oppositions entre bandes. Toute la panoplie ! Et comme toujours, la loi et l'autorité sont à négocier en permanence ; ils reviennent à ceux qui ont l'énergie de s'en emparer. Mais, en même temps, tout semble nouveau : les meneurs y sont des femmes (ce qui donne lieu à un duel final iconoclaste) ; les hommes, "gun-crazy" fatigués, font la cuisine. Il faut dire que tous les éléments de la nature s'en mèlent : tempête de vent, feu de la vengeance, cascade d'eau et galeries souterraines protectrices. Je ne suis pas très fan des westerns d'habitude, mais celui-là touche à l'essentiel...
Un casse, une bande, un leader. Une garce. Tous avec les gueules de l'emploi. Des solos d'honnêtes travailleurs, des duos de comploteurs, des chorus de maniganceurs. Des masques et des guns. Tous de parfaits artisans cambrioleurs. Une caméra qui traverse les murs, fait des rosaces dans le temps et l'espace, perce les contre-jours et les arrière-pensées. Et une voix off de contremaître à chronomètre. Tous les pions du grand jeu sont à leur place. Le plan était parfait, la mécanique capable de fonctionner même avec quelques éléments défaillants. Mais ce serait compter sans un grand architecte ironique qui, sans doute après avoir trop regardé Le Trésor de la Sierra Madre, a décidé de faire du destin son arme favorite. Et qui a bien raison de croire au sien.
C'était au temps où la guerre froide risquait bien de ne pas le rester très longtemps. Une petite étincelle (un gradé parano, par exemple -
Sterling Hayden, encore plus gun-crazy que dans Johnny Guitar) pouvait à tout moment mettre le feu (atomique) aux poudres. Mais, ce que Kubrick filme mieux que tout et tous, c'est comment la proximité de la catastrophe émoustille les instincts guerriers les plus sauvages de l'homme (au sens purement masculin, pour une fois !), leur bêtise virile et suicidaire. Ils atteignent sans mal le fond du ridicule, pour notre plus grande jubilation, ces mâles frustrés. Le fin mot de l'histoire, laissé au sinistre Dr Folamour (génial Peter Sellers), en dit long sur le peu d'espoir qui nous est laissé...
Le film préféré des américains (cf. IMDB) est l'histoire d'une famille (ce qui ne surprendra guère) qui prospère dans le crime (doit-on vraiment s'en étonner ?). La famille avant toute chose, donc : mariages, baptèmes, repas interminables pendant que les enfants courent autour de la table -de l'universel, avec juste un peu plus de pasta et d'enterrements que la moyenne. Ensuite viennent les affaires : une subtile économie du service rendu et du respect dû, de l'influence monnayée et de l'intimidation musclée ("on n'est pas des communistes !" comme ils le disent eux-même) -avec juste un peu plus de coups de feu que la moyenne. Surtout : l'histoire d'un héritage empoisonné, ou comment le regard insouciant d'un beau jeune homme intègre se fige progressivement. Les meurtres sont filmés comme des cérémonies religieuses, sa résistible ascension à lui comme une damnation.