Réception chez Mrs Rittenhouse, tenue de (non) rigueur exigée. Il y a là un grand professeur qui ne dit jamais rien, un petit escroc qui démasque les imposteurs et un grand explorateur qui n'arrête pas de dire le contraire de ce qu'il dit. Il prétend entre autres revenir d'Afrique, où il a croisé des ours polaires et débusqué un éléphant dans son pyjama... Il y a là aussi un tableau pompier représentant un cavalier "après la chasse" : apparemment un chef d'oeuvre insurpassable, dont deux des invités ont réalisé une copie supérieure à l'original, qui passent tous entre pas mal de mains. Bref, c'est du théâtre de l'absurde en concentré énergétique, du délire acoustico-visuel en décors de carton pâte, de la plongée en apnée dans les vertiges de l'artifice. Supérieur à l'original qu'il est, sans aucun doute.
Les paquebots les plus sérieux -ceux, par exemple, qui transportent Maurice Chevalier- ne sont pas toujours à l'abris des passagers clandestins. On ne se méfie jamais trop des frères Marx : philosophes de l'absurde squatteurs de tonneaux, passeurs de bons mots et de mauvais esprit en bonne société, trafficants d'incongruités dans un monde sérieux. De dangereux contrebandiers, capables tout en même temps de draguer les dames, duper les truants et de cloner Maurice Chevalier en son absence... Jamais en cale sèche d'inspiration. Bon, c'est pas leur meilleur film mais, dans la succession des sketchs, il y a des perles (glissées en douce, comme tout le reste) où la croisière s'amuse (vraiment, pour une fois).
Marabout - boutes-en-train - train d'enfer - fer à cheval : c'est (en gros) le script. Ca se passe accessoirement dans un prestigieux College U.S. : Groucho est le doyen, Zeppo son (grand) fiston, les deux autres auraient pu/dû être les fers de lance de l'équipe de football locale. Mais, au lieu de bosser, tout le monde dit I love you à la vamp du coin. Tout le monde fait n'importe quoi. Les Marx ne sont jamais aussi à l'aise que quand on leur laisse les clés d'une institution : un Etat, une école. Les clés, c'est sûr qu'on les retrouvera jamais sous le paillasson (eux, éventuellement, c'est possible). Mais elles ouvrent des portes insoupçonnées. Comme chantait l'autre : s'en passer, I'm against it !
Ca commence avec une riche rombière qui réalise notre voeux le plus secret : imposer Groucho à la tête de l'Etat. Ca continue avec un chef d'Etat voisin qui doit faire face à notre pire cauchemar : confier à Harpo et Chico une mission délicate... On passe les détails (dommage, c'est ce qu'il y a de meilleur, les détails), tout finit comme prévu : une guerre stupide et abracadabrant-gigantesque entre les deux Etats. Entre-temps, une leçon fondamentale : nous sommes tous des Groucho Marx. On est dans un autre monde possible, affranchi de la logique et du sérieux. Dans ce monde possible-là, l'année 1933 restera un excellent cru.
L'opéra c'est beau, c'est noble, c'est le grand art par excellence. En plus, la jeune première est jolie. Sauf que son copain, le gentil ténor, est un figurant sans le sou tandis que le jeune premier officiel est un salaud qui la colle de trop près. Enfin, on s'inquiète pas trop quand même. Ils partent tous en tournée sur l'océan, agents, doublures et agents doubles plus ou moins officiels compris. On nous avait promis du spectacle première classe et on se retrouve embarqués dans une croisière d'opérette, à partager une cabine à 25 (attention scène culte) et à danser la polka sur le pont. Au nez et à la barbe (surtout la barbe) de héros de guerre en vadrouille. En fait, l'opéra, c'est beau et un peu emmerdant, sauf quand on en confie la machinerie et tous les rouages à une bande de brothers déchaînée. Le vrai grand art, c'est eux.
Maintenant qu'on sait où ils passent leurs nuits, restait à savoir ce qu'ils font de leurs journées. Et bien, ils sont en clinique privée -chauffeur-livreur-homme à tout (dé)faire et vétérinaire-chevalier servant pour vieille bique friquée, respectivement. Et pour celui qui reste, jokey au champ de course local (il a toujours aimé les chevaux, celui-là, cf. ici par exemple). Expliquer comment et pourquoi tout ce petit monde se retrouve constamment dans des situations perpétuellement absurdes et compromettantes, est au-dessus de mes forces (et sans intérêt). Les journées sont parfois un peu longues (surtout les inévitables pauses musicales) mais il y a quelques séquences qui méritent qu'on parie sur elles.
En bons camarades, les frères Marx(istes) ont inventé le partage du rire (entre l'intello, le mime et le magouilleur). Ils sont ici chefs d'une troupe de théâtreux fauchés, flanqué d'un beau-frère compatissant et d'un auteur provincial encore plus fauché qu'eux. Un odieux capitaliste propriétaire d'hôtel ose leur réclamer des notes de frais. Alors, ils font ce qu'ils savent le mieux faire au monde : berner, truquer, jouer pour nous une pièce bien meilleure que celle qu'ils font mine de préparer. Ce qui inclut : faire mine d'être partis, faire mine d'être malades, faire mine d'être morts (apparemment, il n'y a que comme ça qu'on tolère les artistes...). On ne fait pas mine de rire.