Quelques années après la La Ligne générale, encore un petit docu-drama signé Eisenstein (enfin, pas vraiment signé parce que le film est resté inachevé de son vivant). Cette fois, il y est modestement question de l'histoire de l'humanité des origines à nos jours -et du Mexique. La séquence "paradis" parle de la nature luxuriante, du mariage et de la fête. Puis, comme dans La Ligne générale, vient le taureau (dans une arène), ce qui nous vaut encore quelques plans en caméra subjective (Eisenstein se prendrait-il décidément pour un taureau ?). Et la fête. Après, vient le propriétaire terrien, arrogant et aviné, et ça se gâte.
Manquent les plans de la révolution et de l'avenir radieux. Dommage : ce gars-là peut réussir à nous faire croire à tout !
Les oubliés du titre, ce sont les enfants des rues de Mexico. Les adultes, ici, sont absents, aveugles ou épuisés de travaux domestiques. La seule loi qui tienne est celle du plus fort de la bande. Or, il s'appelle Jaibo et il sort de prison, ce qui ne présage rien de bon... Mais on est chez Bunuel, pas dans le néo-réalisme : la peinture de la misère se teinte de symbolisme et la figuration des rêves et des fantasmes n'est pas oubliée. Le poids du destin et l'injustice subie par l'enfance sacrifiée n'en est que plus puissante. Dur dur, sobre et beau...
El, comme son nom l'indique, est un homme un vrai. Il vit au Mexique dans les années 50, autant dire qu'il n'a de leçons de machisme à recevoir de personne. Bon bourgeois et bon catholique, autant dire (on est chez Bunuel) qu'il est un parfait psychopathe... Avec sa toute jeune épouse, la lune de miel tourne rapidement au cauchemar domestique. Bunuel s'insinue dans la logique délirante de cet homme avec une délectation ironique. Avec lui, la façade respectable peut cacher l'horreur, les valeurs les plus traditionnelles dissimulent la folie.
Derrière son air de dandy distingué, Archibald est un petit garçon. Un petit garçon attaché de façon fétichiste à sa boîte à musique et persuadé que souhaiter la mort de quelqu'un suffit à le tuer. Pour faire face à l'irruption du désir dans sa vie, cette mythologie d'enfant gâté n'est pas le bagage idéal. Déconcerté par la proximité du sexe et de la mort, il devient un serial killer mental ayant bien du mal à distinguer ses fantasmes de ses actes. Bunuel filme les ravages de la culpabilité dans l'éducation bourgeoise comme un grand jeu pervers et raffiné...
Y'a des moments dans la vie, dans l'Histoire, où on doit être bien content d'avoir son pass pour le Pays des Merveilles. Ofélia a à peu près l'âge d'Alice, et elle habite dans un de ces moments-là, au milieu d'une inquiétante forêt, parmi des militaires en uniforme, à la fin de la guerre d'Espagne. Elle a aussi deux fées-marraines, un petit frère en cours de cuisson et beaucoup d'imagination. Des fois, elle arrive même à croire à l'existence de ses parents -enfin, ça dépend des quels. La forêt autour est peuplée de gentils communistes et de méchants crapauds, de demi-Dieux et de complets salauds. Des fois, il est tortueux, le labyrinthe de la vie des petites filles, la moindre avancée est une épreuve. Ce remake updaté par ordinateur de l'Esprit de la ruche remet à jour toutes ses peurs d'enfants, et aussi tout l'émerveillement qu'on s'est créé pour s'en remettre. En provenance directe du Pays des Merveilles du cinéma.