Affreux, certes. Sales, incontestablement. Méchants, à coup sûr. Mais d'abord et avant tout : pauvres. Entassés comme des rats dans un bric à brac de fortune, mais avec vue sur le Vatican. Dans les années 70, il y avait encore des bidonvilles à Rome (et ailleurs aussi). Et des pauvres. L'heure n'est plus à la dignité qu'ils manifestaient chez Rosselini, De Sica ou Pasolini. Ici, c'est plutôt Shakespeare dans un tas d'ordures, avec des gens pas sympas dont rien de bon ne sort. Miroir à peine déformant de la société normale, de ceux qui savent y mettre les formes (beaux, propres et gentils) mais qui, au fond, partagent les mêmes valeurs : l'argent, l'argent et l'argent (et le sexe, aussi). Et si l'on est parfois tenté de rire, c'est avec la grossièreté du désespoir.
Au début : bandes d'actu d'époque, qui commentent la triomphale visite de courtoisie du Fuhrer au Duce. On se croirait dans un remake pas drôle de To Be or Not to Be ou du Dictateur. Puis : début d'une journée pas comme les autres pour Antonietta, une ménagère romaine de moins de 50 ans -mais avec 6 gamins et 2 000 ans de machisme sur le dos. Sa marmaille et son mari s'en vont faire le salut fasciste au camarade visteur, en compagnie de la totalité de leur immeuble. Tous ? Non, un homme est resté là, aussi, dans l'appartement d'en face, au milieu de ses livres, dans un autre monde. Grâce à un oiseau en cage, à une concierge à moustache et à quelques malentendus, Antonietta et Gabriel s'échangent quelques mots, et même un peu plus, et même ce qu'ils n'ont pas, sur fond de discours militaires et de musique martiale. A peine une étincelle, le temps de croire que Trois Mousquetaires peuvent quelque chose contre deux tyrans. Rien, mais qui sauve l'honneur. Rien, mais qui change la vie.
PS : Honte aux DVDs René Chateau, qui ne proposent que la VF, et même pas avec la voix de Mastroianni !
Un grand buffet avec des pâtes et des haricots, sur une grande terrasse romaine. Les convives sont nombreux, intelligents, énervés. En majorité : des intellos-bobos, caviar-cocos. Ils bossent dans la culture politique, ou dans la politique culturelle. Ils ont tout vu, tout lu, tout connu, ils se sont tant aimé. Il y a Enrico, qui n'arrive pas à écrire le scénario du film en 5 sketchs, qui pourtant se déroule devant nous. Luigi et Amedeo, qui n'arrivent pas à retenir leur femme, qui pourtant leur doit tout. Sergio, qui n'arrive pas à retenir le semblant de vie qu'il a pourtant sauvé de la guerre. Et Mario qui, en amour comme en politique, n'arrive clairement pas à écrire des textes clairs. Des mâles drôlement tragiques, tragiquement drôles. On a beau les voir de plusieurs point de vue, sous plusieurs angles : ils sont toujours aussi las, lâches et fuyants. Portrait de l'artiste en hommes vieillissants.