Pour un de ses avant-derniers tours de piste, Chaplin échange ses frusques de Charlot pour celles d'un certain Calvero et joue à se faire croire qu'il n'est plus qu'un tocard solitaire qui ne fait plus rire personne. Plus inquiétant encore : fidèle à son grand coeur, il sauve du suicide une charmante jeune fille, elle lui tombe dans les bras et voilà qu'il s'esquive pour laisser la place à un plus jeune (même pas plus drôle) que lui (qui pourrait même être son fils). Ca va vraiment mal pour les vieux drôles (Buster Keaton aussi, aurait besoin d'être sauvé du suicide). Le temps d'un avant-dernier tour de piste, jouons à croire qu'ils ne pourront plus jamais nous faire rire comme avant.
C'était au temps où Woody Allen n'avait aucun mal à nous faire croire à son désarroi de voir Mia Farrow lui échapper. Et où il faisait des rêves (c'est-à-dire des films) graves et douloureux, pleins de couloirs sombres, de crimes impunis et d'imposteurs adulés, sous l'oeil absent du Dieu de son enfance. Faux semblants et illusions d'optiques (tout est dans le regard, évidemment). Singin' in the Rain contre Une Place au soleil.
Pour bien enfoncer le clou, la construction du film est "binoclaire" : deux histoires parrallèles qui ne se rejoignent qu'à peine, à la fin -sauf que l'une pourrait être un film réalisé par le personnage de l'autre. Des éclats de rire (éblouissants !) dans un joyau de mélancolie.