La Russie en 42 : les tatars menacent à l'est, les teuton grondent à l'ouest. Au fait : c'est le XIIIème siècle. Pour faire face aux redoutables envahisseurs germaniques, cachés derrière leurs casques extravagants et leurs capes blanches à croix noire, un héros-pêcheur est appelé à la rescousse. Il a fait ses preuves face aux suédois, il s'appelle Alexandre, ça rassure. Le peuple russe, la terre russe, les chants russes : tout le monde (russe) est avec lui. L'hymne patriotique est décliné suivant une succession de tableaux animés éblouissants, pleins de trognes, de lances et de ciel, qui culminent lors d'une méga-baston de près d'1/2h sur un lac gelé, qui vaut bien celle du Seigneur des anneaux (épisode 3). Genre propagande épique, mais où l'art terrasse à plate couture les intentions politiques.
Après Alexandre Nevski, un nouveau portrait pseudo-historique de Grand Russe Eternel. Ivan, c'est le centralisme de la dictature (du prolétariat démocratique) à lui tout seul ; la Raison d'Etat incarnée dans un géant. Dans cette 1ère partie, il étend progressivement son ombre sur toute la terre russe, et se fait progressivement pousser la barbichette. Ivan se fait couronner, Ivan se marie, Ivan gagne une bataille... L'impératrice rouge n'a qu'à bien se tenir : chaque scène est une cérémonie, un lent ballet de poses et de regards, un défilé de figures dans un tableau de maître. Chaque plan est une icône à la grandeur du cinéma.
Ivan is back et il n'est pas content. Maintenant que sa barbichette est à point -et en pointe-, on va enfin comprendre pourquoi il a mérité son "Terrible" surnom. Désormais il est seul, sombre, torturé. Il ne fait confiance à personne. Sa grande ombre s'étend surtout sur lui-même. Ce sont encore ces gros lards de Boyards -et leurs alliés cléricaux- qui lui en veulent. Et sa tante est son pire ennemie. Alors, il préfère s'entourer de jeunes gens dévoués, avec qui il organise des fêtes décadentes. Y aurait-il quelque chose de pourri dans le royaume de Russie ? Il paraît qu'Eisenstein a eu une crise cardiaque quand il a su que le petit père des peuples (du prolétariat démocratique) visionnait son film. Et le pays a dû attendre 13 ans avant de pouvoir se regarder dans ce miroir déformé. Heureusement, les images du poète ont survécu à leur inspirateur.